CEDH : rétention administrative d’une mère et de son nourrisson

Publié le 15/05/2023

CEDH : rétention administrative d’une mère et de son nourrisson

L’affaire concerne le placement en rétention administrative de la requérante et de son fils mineur, âgé de sept mois et demi au moment des faits, sur une période de neuf jours en vue de leur transfert vers l’Espagne en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, dit « règlement Dublin III ».

Les requérants soutiennent que leur placement en rétention administrative est contraire aux articles 3 et 8 de la Convention et le requérant mineur soutient que son placement en rétention administrative est contraire à l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté). Invoquant l’article 5 § 4, le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour contester son placement en rétention administrative.

La Cour constate qu’en l’espèce, le requérant mineur était accompagné de sa mère durant la période de rétention. Elle rappelle toutefois que cette circonstance n’est pas de nature à exonérer les autorités de leur obligation de protéger l’enfant mineur et de prendre des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention. Il convient de garder à l’esprit que la situation de particulière vulnérabilité de l’enfant mineur est déterminante et prévaut sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier de son parent.

Même si l’âge constitue l’un seulement des trois critères qu’il convient de combiner ensemble, elle rappelle qu’elle est parvenue à un constat de violation de l’article 3 s’agissant de nourrissons.

S’agissant du critère relatif aux conditions d’accueil, la Cour a déjà constaté que si le centre de rétention concerné est au nombre de ceux qui sont habilités à recevoir des familles, les annonces du centre diffusées par haut-parleur, exposent les personnes qui y sont retenues à de sérieuses nuisances sonores, la cour extérieure de la zone de vie dédiée aux familles est uniquement séparée par un simple grillage de la zone réservée aux autres retenus permettant ainsi de voir tout ce qui s’y passe et si des équipements pour enfants et bébés y sont disponibles, il ressort des constats du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que ce centre de rétention, mitoyen du centre pénitentiaire, se caractérise par sa dimension sécuritaire omniprésente.

Ces conditions d’accueil, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes à elles seules pour que soit atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. La Cour réaffirme, en revanche, qu’au-delà d’une brève période de rétention, la répétition et l’accumulation des effets engendrés, en particulier sur le plan psychique et émotionnel, par une privation de liberté entraînent nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant alors le seuil de gravité précité. Il s’ensuit que l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance particulière.

Compte tenu du très jeune âge du second requérant, des conditions d’accueil dans le centre de rétention et de la durée du placement en rétention qui s’est déroulé sur neuf jours, la Cour considère que les autorités compétentes l’ont soumis à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Eu égard aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé de sept mois et demi, ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent, la Cour estime qu’il en va de même, dans les circonstances particulières de l’espèce, s’agissant de la première requérante.

Le requérant mineur soutient également que son placement en rétention administrative est contraire à l’article 5 § 1 de la Convention.

En l’espèce, il ressort de l’arrêté ordonnant le placement initial en rétention de la première requérante que l’autorité préfectorale a recherché si, compte tenu de l’enfant mineur, un nourrisson, une mesure moins restrictive que le placement en rétention était possible. Elle a, en effet, estimé que, dans le cadre de l’exécution à bref délai du transfert vers l’Espagne des requérants, il n’était plus envisageable de recourir aux mesures d’assignation à résidence qui avaient été mises en œuvre dans un premier temps, compte tenu du risque de fuite que révélait, à ses yeux, d’une part, l’intention de la requérante adulte de refuser d’exécuter la procédure de transfert manifestée par son refus de la proposition d’aide au transfert volontaire, et d’autre part, la dissimulation des éléments de son identité.

S’agissant de la prolongation de la rétention des requérants autorisée par le JLD et confirmée en appel, s’il ne lui appartient pas en principe, de substituer son appréciation à celle des autorités nationales, la Cour doit vérifier, dès lors qu’un enfant mineur est ici en cause, si la mesure litigieuse était nécessaire pour atteindre le but qu’elle poursuit.

Or, la Cour estime disposer d’éléments suffisants pour considérer que les autorités internes n’ont pas suffisamment vérifié, dans le cadre de la mise en œuvre du régime juridique applicable en France, que la prolongation du placement en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur pour une durée de 28 jours, alors qu’elle a été autorisée dans la perspective d’un départ prévu pour le jour même, constituait une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée.

Sources :
Rédaction
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