CEDH : strict contrôle du droit à l’assistance d’un avocat
Le requérant est un ressortissant bulgare qui fut entendu par la police belge en qualité de source dans le cadre d’une enquête pour le meurtre puis auditionné une nouvelle fois en qualité de suspect. Retourné en Bulgarie, il fut arrêté puis extradé vers la Belgique.
Dès son arrivée, il fut interrogé par la police en qualité de suspect du meurtre. Renvoyé devant la cour d’assises de Flandre orientale, il fit valoir, dès l’ouverture du procès, une irrémédiable atteinte que droits de la défense au motif qu’il n’avait pas été assisté d’un avocat durant les auditions et interrogatoires et que des déclarations avaient été obtenues à charge auprès du co-accusé et de témoins qui n’avaient pas non plus bénéficié de l’assistance d’un avocat. La cour d’assises rejeta cette demande.
Finalement, le jury le déclara coupable de meurtre avec préméditation et intention de donner la mort.
La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que les restrictions en vigueur à l’époque en Belgique étaient d’une ampleur particulière et que, résultant du silence de la loi belge et de l’interprétation qui en avait été faite par les juridictions internes, elles avaient une portée générale et obligatoire (CEDH, 9 nov. 2018, Beuze c/ Belgique n° 71409/10).
Le Gouvernement fait valoir qu’en l’espèce, avant son arrestation et son voyage en Bulgarie, le requérant avait été auditionné à trois reprises par la police et qu’il pouvait dès ce moment contacter un avocat pour préparer sa défense.
En l’absence de raisons impérieuses justifiant les restrictions litigieuses, la Cour doit évaluer l’équité de la procédure en opérant un contrôle très strict. Ce contrôle doit être d’autant plus strict que ces restrictions découlaient de la loi applicable à l’époque et revêtaient par conséquent un caractère général et obligatoire. La charge de la preuve visant à démontrer de manière convaincante que le requérant a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable pèse sur le Gouvernement.
La Cour rappelle qu’elle ne s’érige pas en juge de quatrième instance. Il lui revient d’examiner soigneusement si la procédure pénale menée à l’égard du requérant, considérée dans son ensemble, a permis de remédier aux lacunes survenues au stade préliminaire de la procédure.
La Cour relève d’abord que l’intégralité des procès-verbaux contenant les dépositions litigieuses faites par le requérant sans l’assistance d’un avocat sont restés au dossier pénal. Comme la cour d’assises n’a tiré aucune conclusion de son constat selon lequel le requérant n’a fait usage de son droit à garder le silence qu’après le contact téléphonique avec son avocat, son affirmation selon laquelle le requérant n’aurait rien dit de nature à être retenu à sa charge est contredite par l’acte d’accusation dont il ressort que les déclarations faites par le requérant dès le stade initial de l’enquête et les résultats du test polygraphique ont fourni aux enquêteurs une trame qui a inspiré l’accusation.
Il en résulte que les juridictions belges n’ont pas procédé à une analyse suffisante de l’incidence de l’absence d’un avocat sur la recevabilité des dépositions du requérant.
Par ailleurs, la Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle l’équité de la procédure se mesure non seulement à l’aune de la possibilité pour le requérant de contester l’authenticité des preuves et de s’opposer à leur utilisation, mais également en tenant compte de la qualité des preuves, notamment du point de savoir si les circonstances dans lesquelles elles ont été obtenues font douter de leur fiabilité ou de leur exactitude. Il en est de même de la non-assistance d’un avocat durant les interrogatoires menés à l’endroit de co-accusés.
En l’espèce le requérant ne s’est pas contenté de se plaindre que les déclarations l’incriminant ont été faites par le co-accusé sans la présence d’un avocat et sans consultation préalable. Il a précisément mis en cause les conditions dans lesquelles les auditions du co-accusé se sont déroulées en soutenant que la fiabilité des déclarations l’incriminant pouvait avoir été compromise du fait que le co-accusé avait pu céder aux pressions des enquêteurs et avoir trouvé un intérêt à témoigner contre le requérant comme il l’a fait. Cependant, dans son arrêt avant dire-droit, la cour d’assises n’a pas examiné les arguments soulevés par le requérant au sujet de l’incidence de l’absence d’un avocat sur la qualité des dépositions faites par le co-accusé, alors que la condamnation du requérant repose de façon déterminante sur celles-ci.
La Cour observe que si l’acte d’accusation, dont la lecture est intervenue au début du procès devant la cour d’assises, s’est appuyé sur divers éléments, à savoir les déclarations des témoins, les constatations des enquêteurs et les enregistrements téléphoniques, il s’est également fondé sur les déclarations du requérant faites en l’absence d’un avocat.
La Cour relève ensuite que, pour déclarer le requérant coupable du meurtre en tant que commanditaire, le jury s’est référé à des éléments qui n’ont pu être mis en concordance que sur la base de l’ensemble des déclarations recueillies auprès du requérant, du co-accusé et des personnes entendues en tant que témoins. S’il apparaît certes que ce sont les déclarations faites par le co-accusé et incriminant le requérant qui ont pesé d’un poids prépondérant dans le verdict, cela ne suffit pas, de l’avis de la Cour, à occulter le fait que les déclarations faites par le requérant sans l’assistance d’un avocat ont occupé une place importante dans la motivation des jurés.
Rappelant le caractère très strict du contrôle auquel elle doit procéder en l’absence de raisons impérieuses justifiant la restriction du droit d’accès à un avocat en matière pénale, la Cour estime que la procédure pénale menée à l’égard du requérant n’a pas été équitable dans son ensemble.
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