Condition d’accueil en centre de rétention d’une femme et de son nourrisson
Les requérantes sont des ressortissantes maliennes résidant en France. L’une d’elle a fui le Mali au motif qu’elle risquait d’y subir des mutilations génitales et d’y être mariée de force. Passant par l’Italie, elle arriva en France où un préfet prit à son encontre un arrêté portant transfert aux autorités italiennes, responsables de l’examen de sa demande d’asile en application du règlement de Dublin. Elle donna naissance à sa fille puis fut assignée à résidence et enfin, invoquant le risque non négligeable de fuite, le préfet décida de la placer, avec son enfant, en centre de rétention pour une durée maximale de deux jours mais, le transfert vers l’Italie ayant été retardé par son refus d’embarquer, le JLD fit droit à la demande du préfet de prolonger la rétention pour vingt-huit jours.
Sur requête en procédure d’urgence, la Cour demanda aux autorités françaises de mettre fin à la rétention administrative et le gouvernement français s’exécuté. Les requérantes furent prises en charge par les services du conseil départemental et la France devint responsable de la demande d’asile auprès de l’OFPRA et la requérante fut provisoirement admise au séjour à ce titre.
Les requérantes soutiennent que leur placement en rétention administrative constitue un traitement inhumain et dégradant. Elles invoquent l’article 3 de la Convention.
S’agissant du critère relatif à l’âge de l’enfant, la Cour relève qu’il s’agissait d’un nourrisson âgé de quatre mois, à la date de la rétention administrative, même si l’âge constitue l’un seulement des trois critères qu’il convient de combiner ensemble.
S’agissant du critère relatif aux conditions matérielles d’accueil, la Cour constate que le centre est au nombre de ceux qui sont habilités à recevoir des familles, mais si la cour extérieure grillagée de la zone de vie dédiée aux familles a ensuite été protégée par un brise-vue, elle était, au jour d’arrivée des requérantes, uniquement séparée par un simple grillage de la zone réservée aux hommes et si des équipements pour enfants et bébés y sont disponibles, il ressort des constats du CGLPL qu’ils sont sommaires et largement inadaptés aux besoins spécifiques d’un nourrisson.
Enfin, le droit absolu protégé par l’article 3 interdit qu’un mineur accompagné soit maintenu en rétention dans les conditions précitées pendant une période dont la durée excessive a contribué au franchissement du seuil de gravité prohibé.
De l’examen de ces critères, il apparaît qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
Concernant la violation de l’article 5 § 1, la Cour relève que l’autorité préfectorale a recherché, si, compte tenu de la présence d’un enfant mineur, une mesure moins restrictive que le placement en rétention était possible. Elle a estimé qu’il n’était plus envisageable de recourir aux mesures d’assignation à résidence qui avaient été mises en œuvre dans un premier temps, compte tenu du risque de fuite que, selon elle, révélait la déclaration de la première requérante de refuser d’exécuter la procédure de transfert. La Cour observe que le JLD s’est livré aux mêmes vérifications et appréciations avant d’ordonner la prolongation de la période de rétention pour une durée de 28 jours.
S’il ne lui appartient pas en principe, dans le cadre du contrôle du respect de l’article 5 § 1, de substituer son appréciation à celle des autorités nationales, la Cour doit vérifier, dès lors qu’un enfant mineur est ici en cause, si la mesure litigieuse était nécessaire pour atteindre le but qu’elle poursuit. Au cas d’espèce, elle estime disposer d’éléments suffisants, lesquels ont conduit au constat d’une violation de l’article 3 de la Convention, pour établir que les autorités internes n’ont pas effectivement vérifié, dans le cadre de la mise en œuvre du régime juridique désormais applicable en France, que le placement initial en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de la seconde requérante.
La Cour relève avec satisfaction que le droit français définit, de manière précise, les conditions dans lesquelles le JLD contrôle la légalité du placement initial en détention puis décide, le cas échéant, de prolonger la période de rétention. S’agissant du cas de l’espèce, la Cour considère que si le JLD a pris en compte la présence de l’enfant mineur, il s’est borné, pour ce faire, à relever que le centre de rétention était habilité à recevoir des familles et disposait d’équipements spécifiques adaptés, ainsi qu’à mentionner la durée limitée de la rétention sans véritablement s’attacher, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la mesure de rétention et de son appréciation de la possibilité de la prolonger au-delà d’une brève période, aux conditions concrètes dans lesquelles le nourrisson était privé de liberté.
Ensuite, le JLD, constatant qu’aucun vol à destination de l’Italie n’était prévu à bref délai, a conclu à l’absence de mesure alternative après avoir considéré que les requérantes n’offraient aucune solution d’hébergement et qu’elles ne remplissaient pas les conditions d’une assignation à résidence. La Cour constate néanmoins que la circonstance que, jusqu’à leur placement en rétention, les requérantes faisaient l’objet, à l’endroit où elles étaient alors hébergées par le conseil départemental, de mesures d’assignation à résidence qu’elles avaient respectées, n’a pas été sérieusement prise en considération.
Enfin la Cour note qu’alors même que la loi prévoit qu’en la matière « L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », ni le JLD ni le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel n’ont suffisamment tenu compte de la présence de la seconde requérante et de son statut d’enfant mineur, avant d’apprécier la légalité du placement initial et d’ordonner la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il leur incombait d’exercer.
L’ absence de vérification effective des conditions qui concernent tant la légalité de la mesure de rétention en droit interne que le principe de légalité au sens de la Convention est particulièrement imputable aux juridictions internes auxquelles il incombait de s’assurer effectivement de la légalité du placement initial puis du maintien en rétention de l’enfant mineur. Il s’ensuit que la requérante mineure n’a pas bénéficié d’un contrôle portant sur l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la régularité de la rétention au regard du paragraphe 1 de l’article 5. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à son égard.
Sources :