Dignité de la personne humaine et liberté d’expression
Un fonds régional d’art contemporain (FRAC) organise, dans ses locaux, une exposition sur la part d’ombre de la cellule familiale. L’une des œuvres exposées consiste en une série de fausses lettres manuscrites dont les textes ont été conçus par l’artiste pour faire éprouver au public des émotions en le confrontant au thème des violences infra-familiales. Présentées sous la forme de petits mots affectueux qu’un parent peut laisser à ses enfants, ces lettres comprennent des formules telles que : « Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves »; « Les enfants, nous allons vous couper la tête »; « Les enfants, nous allons vous sodomiser et vous crucifier ».
Considérant que l’exposition de ces lettres au cours d’une manifestation culturelle accessible aux mineurs constitue le délit de diffusion d’un message à caractère violent ou pornographique susceptible d’être vu par un mineur, prévu à l’article 227-24 du Code pénal, une association saisit la justice d’une plainte, que le procureur de la République classe sans suite.
En se fondant sur l’atteinte à la dignité de la personne humaine, consacrée par l’article 16 du Code civil, l’association saisit la justice civile pour obtenir réparation du préjudice qu’elle dit avoir subi mais la cour d’appel infirme la décision des premiers juges en décidant, pour débouter l’association de ses demandes, que l’article 16 du Code civil n’a pas de valeur juridique autonome.
La première chambre civile de la Cour de cassation, saisie par l’association, censure cette décision et retient que le respect de la dignité de la personne humaine, prévu par l’article 16 du Code civil, pose à lui seul un principe à valeur constitutionnelle dont le juge doit faire application, mais la cour d’appel de renvoi refuse de s’incliner, ce qui a pour conséquence la saisine de l’assemblée plénière de la Cour de cassation.
La CEDH affirme que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Elle peut toutefois être soumise à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
La dignité humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Conv. EDH.
La Cour de cassation en a déjà déduit que la dignité de la personne humaine ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression (Cass. ass. plén., 25 oct. 2019, n° 17-86605).
Au surplus, l’article 16 du Code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et invoqué par l’association requérante, ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention, permettant de restreindre la liberté d’expression.
La cour d’appel qui relève que l’association poursuit l’exposition des oeuvres en cause sur le seul fondement de l’atteinte à la dignité au sens de l’article 16 du Code civil, retient exactement que le principe du respect de la dignité humaine ne constitue pas à lui seul un fondement autonome de restriction à la liberté d’expression.
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