Le droit européen et l’asymétrie d’une clause attributive de compétence : renvoi préjudiciel
Une société française conclut avec une société italienne un contrat portant sur la fourniture de panneaux de bardage et stipulant que la compétence du tribunal de Brescia s’appliquera à tout litige qui surgirait du présent contrat ou qui aurait un rapport avec ce dernier, la société italienne se réservant la faculté de procéder à l’égard de l’acheteur devant un autre tribunal compétent en Italie ou à l’étranger.
Invoquant des désordres, des maîtres d’ouvrage assignent en responsabilité et indemnisation l’ensemble des locateurs d’ouvrages, ainsi que le fournisseur des panneaux et la société italienne soulève une exception d’incompétence internationale à l’encontre de la demande de garantie de la société française que la cour d’appel rejette en retenant que cette clause donnait à la société italienne un plus grand choix de juridictions à saisir qu’à la société française sans préciser les éléments objectifs sur lesquels les parties s’étaient mises d’accord pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie, qu’elle ouvrait donc à la société italienne un choix discrétionnaire qui est contraire à l’objectif de prévisibilité auquel les clauses attributives de juridiction doivent satisfaire et qu’elle est, dès lors, illicite.
Sous l’empire de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, la CJUE (CJCE, 9 nov. 2000, n° C-387/98, Coreck Maritime) a dit pour droit que l’article 17, premier alinéa, doit être interprété, en ce qu’il n’exige pas qu’une clause attributive de juridiction soit formulée de telle façon qu’il soit possible d’identifier la juridiction compétente par son seul libellé, qu’il suffit que la clause identifie les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d’accord pour choisir le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître, que ces éléments, qui doivent être suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent, peuvent être concrétisés, le cas échéant, par les circonstances propres à la situation de l’espèce.
Aux termes de l’article 25 § 1, du règlement Bruxelles I bis, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.
En l’espèce, la Cour de cassation renvoie à la CJUE une question préjudicielle pour les motifs suivants :
L’article 25 § 1, a introduit un renvoi au droit de l’État membre de la juridiction désignée pour apprécier la validité de la clause attributive de juridiction quant au fond.
Cette précision invite à s’interroger sur la portée de ce renvoi, particulièrement en présence de clauses attributives de juridiction asymétriques offrant à l’une seulement des parties la possibilité d’opter pour une juridiction de son choix, compétente selon les règles de droit commun, autre que celle mentionnée par cette même clause.
Si l’autre partie soutient que cette clause est illicite en raison de son imprécision et/ou de son caractère déséquilibré, cette question doit-elle être tranchée au regard de règles autonomes tirées de l’article 25 § 1, du règlement Bruxelles I bis et de l’objectif de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivi par ce règlement, ou doit-elle être tranchée en faisant application du droit de l’État membre désigné par la clause ? Autrement dit, cette question relève-t-elle, au sens de ce texte, de la validité au fond de la clause ? Faut-il au contraire considérer que les conditions de validité au fond de la clause s’interprètent de manière restrictive et ne visent que les seules causes matérielles de nullité, et principalement la fraude, l’erreur, le dol, la violence et l’incapacité ?
Si la question de l’imprécision ou du caractère déséquilibré de la clause doit être tranchée au regard de règles autonomes, cet article doit-il être interprété en ce sens qu’une clause qui n’autorise une partie à saisir qu’un seul tribunal, alors qu’elle permet à l’autre de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente selon le droit commun doit ou ne doit pas recevoir application ?
Si l’asymétrie d’une clause relève d’une condition de fond, comment faut-il interpréter ce texte et particulièrement le renvoi au droit de l’État de la juridiction désignée lorsque plusieurs juridictions sont désignées par la clause, ou lorsque la clause désigne une juridiction tout en laissant une option à l’une des parties pour choisir une autre juridiction et que ce choix n’a pas été encore opéré au jour où le juge est saisi.
– la loi nationale applicable est-elle celle de la seule juridiction explicitement désignée, peu important que d’autres puissent également être saisies ?
– en présence d’une pluralité de juridictions désignées, est-il possible de se référer au droit de la juridiction effectivement saisie ?
– enfin, eu égard au considérant n° 20 du règlement Bruxelles I bis, faut-il comprendre que le renvoi au droit de la juridiction de l’État membre désigné s’entend des règles matérielles de cet État ou de ses règles de conflit de lois ?
Sources :