CEDH : hébergement d’urgence et inexécution des décisions de référé
Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes concernant l’hébergement d’urgence de requérants étrangers, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique. Les requérants invoquent les articles 6 § 1, l’article 3 et l’article 13 combiné à l’article 3, se plaignant de l’inexécution des ordonnances rendues par le juge des référés du tribunal administratif qui enjoignaient leur prise en charge dans le cadre de l’hébergement d’urgence, des conditions dans lesquelles ils ont dû vivre lors des périodes au cours desquelles ils n’ont pas été hébergés et de l’absence de procédure effective d’urgence pour l’exécution d’une ordonnance de référés.
En premier lieu, la Cour rappelle que le cadre juridique de l’hébergement d’urgence est fixé par les dispositions précitées des articles L. 345-2 et L. 345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles, lesquelles ouvrent à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale un droit à l’hébergement d’urgence.
La Cour entend, d’abord, analyser la complexité de la procédure d’exécution des ordonnances de référé. À cet égard, elle note que le Gouvernement se prévaut d’une saturation des structures d’accueil dans le département de la Haute-Garonne, en particulier au mois de juillet 2018, pour des foyers familiaux tels que ceux des requérants, et d’un défaut de crédits pour recourir à des prestations hôtelières privées. La Cour relève que si les requérants demandent à connaître les sources des informations utilisées par le Gouvernement, celui-ci ne les fournit pas.
La Cour constate que le Gouvernement ne précise pas si l’hébergement dans d’autres départements était envisageable. En tout état de cause, il ne se prévaut d’aucune action positive de la préfecture de la Haute‑Garonne pour signaler à l’administration centrale les difficultés rencontrées concernant l’hébergement d’urgence des personnes à la rue, en particulier dans le cadre de l’exécution des ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse.
La Cour en conclut que le Gouvernement ne démontre pas la complexité de la procédure d’exécution des ordonnances de référé dont bénéficiaient les requérants.
En deuxième lieu, la Cour, analysant le comportement des requérants, ne peut que noter leur diligence particulière en ce qui concerne leurs démarches tendant à obtenir l’exécution des ordonnances du juge des référés du tribunal administratif. En particulier, ils ont multiplié les appels auprès de la veille sociale et de la permanence d’accueil, d’information et d’orientation. Ils ont contacté la préfecture en vue de l’exécution des ordonnances. Ils ont également introduit de nouvelles procédures juridictionnelles en vue de l’exécution des premières ordonnances portant injonction d’hébergement, dans le cadre de la phase administrative d’exécution prévue par l’article L. 911-4 du Code de justice administrative et dans le cadre d’un nouveau référé liberté.
Il ne saurait ainsi leur être reproché une quelconque négligence alors au demeurant que le caractère exécutoire de ces ordonnances de référé impliquait leur exécution d’office par l’État, tant en vertu du droit interne que des exigences attachées à l’article 6 de la Convention.
En troisième lieu, la Cour doit évaluer le comportement des autorités compétentes. Elle relève à cet égard que, postérieurement aux premières ordonnances enjoignant à l’hébergement des requérants, le préfet, représentant de l’État dans le département, n’a pas apporté les explications sollicitées par le tribunal administratif en phase administrative d’exécution, n’a pas défendu dans le cadre du référé liberté tendant à l’exécution des premières ordonnances, n’a pas répondu aux sollicitations des requérants et n’a pas exécuté ces ordonnances avant l’intervention des mesures provisoires prononcées par la Cour. Enfin, la Cour note que l’État n’a jamais fait appel desdites ordonnances.
La Cour déplore l’entière passivité des autorités administratives compétentes en ce qui concerne l’exécution des décisions de la juridiction administrative dans le ressort de laquelle elles se trouvaient, en particulier pour des litiges portant sur la protection de la dignité humaine.
En quatrième lieu, la Cour retient que le Gouvernement ne démontre pas suffisamment qu’il ne pouvait s’acquitter du montant des prestations d’hébergement.
En conclusion, la Cour est consciente que les durées d’inexécution réelles des premières ordonnances de référé peuvent ne pas paraître excessivement longues. Toutefois, elle tient à souligner que les autorités administratives de l’État ont opposé non pas un retard mais un refus caractérisé de se conformer aux injonctions du juge interne et que l’exécution n’a pas, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, revêtu de caractère spontané mais n’a pu avoir lieu qu’à la suite de mesures provisoires prononcées par la Cour. La Cour tient à souligner que revêt, pour l’appréciation du respect des exigences de l’article 6, une importance particulière le fait qu’en l’espèce les ordonnances non exécutées étaient le fruit d’une procédure d’urgence portant sur l’hébergement d’urgence.
La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
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