CEDH : insuffisance de la France pour protéger les mineurs sexuellement agressés

La première requérante se présenta avec sa mère dans un commissariat de région parisienne pour dénoncer des faits de viol commis alors qu’elle était âgée de 14 ans, par deux individus exerçant la profession de sapeur-pompier. Elle déclara qu’elle souffrait depuis l’âge de 12 ans de crises de tétanie, ce qui avait entraîné de nombreuses interventions des sapeurs-pompiers. Elle avait eu avec un de ceux-ci plusieurs rapports sexuels à leur domicile respectif, dans un véhicule ou dans la forêt, et qu’ils se rencontraient uniquement dans ce but. La requérante déclara que ses coordonnées avaient par la suite circulé parmi les pompiers de plusieurs casernes, qui la contactaient par le biais de messageries électroniques.
La Cour de cassation considéra que les motifs retenus par la chambre de l’instruction, selon lesquels la requérante disposait du discernement nécessaire pour consentir aux actes dénoncés relevaient de l’appréciation souveraine des juges du fond puis, à la suite d’un non-lieu de la cour d’appel statuant sur renvoi, déclara les pourvois joints des parties civiles non admis.
Dans la deuxième affaire, les parents d’une adolescente signalèrent à la gendarmerie la disparition de leur fille. Selon le procès-verbal de la gendarmerie, la requérante se trouvait, à son retour chez ses parents, en état d’ivresse manifeste et dans l’incapacité de répondre à leurs questions. À la suite de son audition, des poursuites pénales furent engagées par le ministère public à l’encontre de deux individus majeurs sous la qualification d’atteintes sexuelles commises sans violence, contrainte, menace, ni surprise, par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans et le tribunal correctionnel jugea que les faits devaient s’analyser comme étant de nature criminelle et être qualifiés de viols aggravés. Il se déclara dès lors incompétent et renvoya le ministère public à mieux se pourvoir.
La cour d’appel rejeta la demande de supplément d’information présentée par les parties civiles s’estimant suffisamment informée par les actes selon elle complets de l’enquête. Évoquant le fond, elle infirma le jugement et prononça la relaxe des prévenus.
Dans la troisième affaire, la requérante, âgée de 22 ans, se présenta au commissariat de police pour porter plainte à l’encontre d’une personne pour des actes répétés de pénétrations sexuelles non consentis commis à l’issue d’une fête entre amis qu’elle avait organisée à son domicile alors qu’elle était âgée de 16 ans et le mis en cause de 18 ans. Le procureur de la République classa la plainte de la requérante sans suite au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée s’agissant de l’élément intentionnel.
La requérante porta plainte avec constitution de partie civile et une information judiciaire fut ouverte du chef de viol.
Le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu, retenant notamment que si le traumatisme de la partie civile était incontestable, l’information judiciaire n’avait permis de caractériser ni les actes de violence, contrainte, menace ou surprise du viol au sens de l’article 222-23 du Code pénal ni l’intention du mis en cause de forcer le consentement de la requérante.
L’appel confirma l’ordonnance de non-lieu et la Cour de cassation déclara le pourvoi en cassation non admis.
La Cour rappelle, tout d’abord, que le viol et les agressions sexuelles graves s’analysent en des traitements qui tombent sous l’empire de l’article 3 de la Convention et mettent en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la « vie privée » au sens de l’article 8.
La Cour considère que, dans chacune des trois requêtes, les autorités d’enquête et les juridictions internes ont failli à protéger, de manière adéquate, les requérantes qui dénonçaient des actes de viols alors qu’elles n’étaient âgées que de 13, 14 et 16 ans au moment des faits.
Après avoir relevé, dans deux des requêtes, l’absence de célérité et de diligence dans la conduite de la procédure pénale, la Cour est d’avis que, dans chacune des trois requêtes, les juridictions internes n’ont pas dûment analysé l’effet de toutes les circonstances environnantes ni n’ont suffisamment tenu compte, dans leur appréciation du discernement et du consentement des requérantes, de la situation de particulière vulnérabilité dans laquelle elles se trouvaient, en particulier eu égard à leur minorité à la date des faits litigieux.
Rappelant que le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances, la Cour considère que, compte tenu à la fois du cadre juridique alors applicable et de l’application qui en a été faite aux cas d’espèces, l’État défendeur a manqué à ses obligations positives qui lui imposaient, eu égard aux exigences résultant de sa jurisprudence et à la lumière des standards internationaux, d’appliquer effectivement un système pénal apte à réprimer les actes sexuels non consentis.
La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas respecté ses obligations positives à l’égard des trois requérantes et, partant, qu’il y a eu violation des articles 3 et 8 de la Convention dans chacune des trois requêtes.
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