CEDH : la question de la garde des enfants issus d’unions internationales

Publié le 02/04/2024

CEDH : la question de la garde des enfants issus d'unions internationales

La requérante est une ressortissante française qui se maria en France avec un ressortissant japonais puis partit vivre avec lui au Japon. Le couple eut un enfant et la requérante retourna en France avec l’enfant, exprima son intention d’y rester et demanda le divorce.

Son époux saisit le ministre des Affaires étrangères japonais d’une demande d’aide au retour de l’enfant et l’autorité centrale du Japon sollicita la Chancellerie, en sa qualité d’autorité centrale désignée pour la mise en œuvre de la Convention de la Haye, pour qu’une décision ordonnant le retour de l’enfant soit rendue. Le Procureur de la République assigna la requérante à cette fin devant le TGI.

À l’issue d’un procès de plus d’une année, le procureur de la République notifia à la requérante un ordre de remise de l’enfant à son père. Celle-ci s’est opérée le même jour en présence des forces de l’ordre et de l’avocat du père.

La requérante soutient que les décisions des juridictions françaises d’ordonner le retour de son fils au Japon emportent violation de ses droits au respect de sa vie privée et familiale.

Pour la Cour, le point décisif consiste à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public – a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la principale considération, les objectifs de prévention et de retour immédiat répondant à une conception déterminée de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Dans le cadre de cet examen, la Cour rappelle qu’elle n’entend pas substituer son appréciation à celle des juridictions internes. Elle doit cependant s’assurer que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à prendre la mesure litigieuse a été équitable et qu’il a permis aux intéressés de faire valoir pleinement leurs droits.

La Cour constate à titre liminaire que moins d’un an s’était écoulé en l’espèce à partir du déplacement et relève que la Convention de la Haye prescrit dans cette situation le retour immédiat de l’enfant. Il est vrai que ce dernier n’a eu lieu que plus de deux ans après le déplacement, en raison de la longueur inhabituelle de la procédure, due à la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier et à l’exercice d’un nouveau pourvoi en cassation par la requérante contre l’arrêt de la cour d’appel de renvoi.

S’agissant, en premier lieu, de l’allégation de la requérante concernant l’acquiescement postérieur du père au non-retour de l’enfant et la non‑application de la Convention de la Haye en conséquence, la Cour relève que les juridictions internes l’ont effectivement examinée et qu’elles ont amplement motivé leur décision à cet égard. Elle constate en tout état de cause que, devant elle, la requérante ne se prévaut plus de ce motif pour faire valoir que les autorités françaises auraient dû refuser d’ordonner le retour de son fils au Japon.

S’agissant, en second lieu, de l’allégation de la requérante selon lequel l’enfant serait en danger avec son père en raison des violences que ce dernier aurait exercées contre elle au moment de la vie familiale au Japon et du risque qu’il soit une victime indirecte à cet égard, la Cour constate que les juridictions internes ont été unanimes quant à la réponse donnée à cette allégation. Elles ont souligné qu’elle n’avait pas apporté la preuve d’actes de violence domestique au sein du foyer lorsqu’elle vivait au Japon à l’exception d’un épisode, dont elles n’ont pas considéré qu’il avait pu exposer l’enfant à une forme de violence psychologique. La Cour considère que les juridictions internes ont suffisamment motivé leur décision de retour en ce qui concerne le risque allégué qu’elle expose l’enfant à un danger psychique. La Cour en déduit qu’en l’état des pièces qui leur ont été soumises, les juridictions internes ont procédé à un examen effectif de l’allégation de la requérante, sans perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant.

En ce qui concerne, en troisième lieu, l’argument selon lequel la séparation de l’enfant d’avec la requérante était constitutive d’un danger psychologique pour lui au motif qu’il était très jeune et qu’il avait vécu la majeure partie de sa vie avec elle, la Cour observe que les juridictions internes l’ont apprécié en prenant en considération les deux certificats précités, et qu’elles ont rejeté la demande d’expertise à ce sujet.

La Cour relève que les juridictions internes ont effectué un examen effectif du risque de répercussions traumatiques sur l’enfant en cas de retour au Japon au regard de son très jeune âge et de son besoin d’affection. Au vu de l’ensemble de la situation familiale en cause, elles ont considéré que l’intégration de l’enfant en France ne constituait pas un obstacle à son retour, lequel visait au rétablissement d’une vie harmonieuse avec son père et la famille de celui-ci dont il avait été brutalement séparé. La Cour constate encore que les juridictions internes ont explicitement rejeté la demande d’expertise à cet égard, en faisant valoir, au vu des éléments du dossier, qu’elle n’était pas utile ou nécessaire dès lors que l’enfant, dans une situation de séparation d’avec un de ses parents, ne courait pas un danger spécifique en retournant au Japon auprès de son autre parent.

Enfin, et quatrièmement, la Cour examine le processus décisionnel mis en œuvre au sujet de l’argument de la requérante tenant au risque d’une rupture totale entre elle et l’enfant au motif qu’elle serait privée, notamment en cas de divorce, de ses droits parentaux et de la possibilité de séjourner au Japon en application de la législation japonaise.

La Cour de cassation, dans sa première décision, a cassé l’arrêt de la cour d’appel au motif qu’elle n’avait pas recherché si, comme il lui était demandé, l’application de la législation japonaise n’allait pas priver la requérante de ses droits parentaux et aboutir à une rupture totale des liens entre elle et son fils. Ensuite, la cour d’appel de renvoi, tout en rappelant la ratification par le Japon de la Convention de la Haye, a précisé que le droit japonais prévoyait des procédures de médiation, en particulier le divorce pour consentement mutuel, et qu’il n’était pas possible de préjuger de la situation juridique susceptible d’être créée par une instance en divorce au Japon. Elle a également indiqué que la requérante ne démontrait pas qu’elle était dans l’impossibilité de séjourner sur le territoire japonais alors que le père avait formé diverses propositions amiables pour qu’elle puisse y résider avec l’enfant. Saisi d’un nouveau pourvoi, la Cour de cassation, dans sa deuxième décision, a considéré que la cour d’appel de renvoi avait procédé aux recherches prétendument omises, après avoir pris le soin de préciser que la France avait accepté sans réserve la ratification précitée et que ses autorités disposaient, pour apprécier l’existence d’un risque grave de danger, des informations fournies par l’autorité centrale de ce pays ou de toute autre autorité compétente de l’état de la résidence habituelle de l’enfant.

La Cour reconnaît que les motifs retenus par les juges internes ne répondent pas entièrement aux inquiétudes légitimes de la requérante concernant la loi japonaise, clairement exprimées par le ministère public devant la cour d’appel de Toulouse, les parlementaires français et le Parlement européen. Cela étant, elle relève que la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel de renvoi a « procédé aux recherches prétendues omises » sur ce point et considère que lesdits motifs suffisent à ce qu’elle regarde l’obligation procédurale découlant de l’article 8 en la matière comme remplie.

En effet, premièrement, la Convention de la Haye interdit que les questions de fond liées à la garde ou à l’exercice de l’autorité parentale soient déterminées par les autorités françaises dans le cadre de la procédure de retour. Deuxièmement, la Cour relève que les motivations des juridictions internes ne se sont pas limitées au constat de l’absence de preuves apportées par la requérante sur la possible privation de ses droits parentaux par le droit japonais, étant noté que celle-ci n’avait jamais tenté de mettre à exécution son engagement d’accompagner l’enfant au Japon et ont, au contraire, pris leur décision en toute connaissance de cause, en écartant les informations apportées par le ministère public sur la situation au Japon mais également, comme l’indique la Cour de cassation, en tenant compte de celles fournies par les autorités japonaises compétentes. Elles ont, troisièmement, jugé que la médiation engagée entre les parents au moment de leur prise de décision constituait un élément important qu’il convenait de ne pas sous-estimer au regard de l’intérêt de l’enfant et de la possibilité qu’il garde des relations avec ses deux parents. Elles ont, enfin, et quatrièmement, insisté sur la qualité de partie contractante du Japon à la Convention de la Haye, et refusé de préjuger de la situation juridique qui résulterait de l’ouverture d’une procédure de divorce dans ce pays.

Dans ces conditions, et alors qu’au regard du principe de subsidiarité, les juridictions françaises sont les mieux placées pour évaluer, au cas par cas, l’intérêt supérieur de l’enfant, car elles bénéficient souvent de contacts directs avec les intéressés, et qu’elles disposent d’une marge d’appréciation en la matière, la Cour considère, contrairement à ce que soutient la requérante, et tout en relevant l’attention internationale portée à la question des droits de visite au Japon lorsque l’un des parents est non japonais, qu’elles ont suffisamment motivé la décision de retour au regard de l’existence d’un « risque grave » pour l’enfant du fait d’une possible rupture du maintien des liens entre eux.

Sources :
Rédaction
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