CEDH : la question du mineur non accompagné

Un orphelin de mère, qui avait quitté la Guinée, se présenta en France comme étant un mineur non accompagné et fut pris en charge à titre provisoire par un service de l’aide sociale à l’enfance.
Un examen médico-légal demandé par le procureur de la République, établit que l’âge physiologique de l’intéressé, sans certitude absolue en l’état actuel de la science, était supérieur à 18 ans. Le procureur de la République prononça un non-lieu à la mesure d’assistance éducative et le président du conseil départemental mit fin à l’accueil provisoire d’urgence. Le requérant quitta l’hôtel où il résidait jusqu’alors et soutient avoir été livré à lui-même, sans ressource, hébergement, relations ou nourriture.
La Cour a déjà examiné des affaires dans lesquelles un mandat de représentation avait été remis par un requérant mineur ou par un requérant dont l’âge n’avait pas pu être déterminé avec certitude. Elle ne voit aucune raison de s’écarter de cette approche en l’espèce et reconnaît la qualité pour agir devant elle du requérant.
La Cour considère qu’il y a lieu d’examiner la présente affaire sous l’angle des obligations positives incombant à la France au titre de l’article 8 de la Convention.
Elle souligne que cette disposition ne contient, concernant la protection à accorder aux mineurs non accompagnés, aucune obligation de résultat d’ordre matériel.
La Cour rappelle, à titre liminaire, qu’il ne lui appartient pas, dans le cadre du contrôle qu’elle effectue pour rechercher si les obligations découlant de l’article 8 de la Convention ont été respectées, de se prononcer sur la conformité de la situation litigieuse avec les normes juridiques nationales et internationales qui lui sont applicables. Néanmoins, elle considère qu’il lui appartient de prendre en considération, dans son examen, ce cadre juridique dans la mesure où il témoigne d’une reconnaissance générale de la nécessité d’accorder une protection spéciale aux migrants mineurs non accompagnés.
La Cour note, en premier lieu, que la législation française prévoit un certain nombre de garanties pour une personne se présentant aux autorités internes comme mineure non accompagnée et pour laquelle un doute existe quant à sa minorité. Cette personne est tout d’abord accueillie à titre provisoire jusqu’à l’issue de la procédure d’évaluation de son âge. Un entretien est réalisé, dans un cadre pluridisciplinaire, par des professionnels justifiant d’une formation spécifique, dans une langue que cette personne comprend. Le contenu de l’entretien est défini par arrêté et porte sur six points différents, au minimum, dont l’état civil de la personne et ses conditions de vie depuis son arrivée en France. Les services départementaux, en charge de l’évaluation de l’âge, ont également la possibilité de saisir les services de l’État afin de s’assurer de l’authenticité des documents présentés par l’intéressé, le cas échéant. Les textes applicables prévoient par ailleurs que les autorités internes procèdent aux investigations nécessaires pour évaluer la situation de la personne. Si des examens radiologiques osseux peuvent être réalisés, ils ne le sont qu’à titre subsidiaire, en l’absence de documents d’identité valables et si l’âge allégué ne paraît pas vraisemblable. Ils ne peuvent être ordonnés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé. Enfin, la personne est informée des motifs du refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, des voies et délais de recours, ainsi que des droits reconnus aux personnes majeures.
La Cour relève en outre l’évolution introduite par la loi n° 2022-140 du 7 février 2022, postérieure au cas d’espèce, qui prévoit désormais un temps de répit pour la personne se présentant comme mineure non accompagnée, lequel permet, avant la mise en œuvre de la procédure d’évaluation de son âge, la prise en compte de ses besoins en santé.
Les États s’accordent, de manière générale, à reconnaître la nécessité d’octroyer à la personne un certain nombre de garanties, y compris en dehors des procédures d’asile. Il est ainsi préconisé de ne procéder à l’évaluation de son âge qu’en cas de doute sur sa minorité, dans un cadre multidisciplinaire prenant suffisamment en compte les différents aspects culturels et sociaux. Il est également relevé que les examens médicaux ne peuvent être effectués qu’en dernier ressort et que les examens physiques de maturité sexuelle doivent être proscrits. Ils recommandent de fournir à l’intéressé des informations lui permettant de prendre part au processus de détermination de son âge, dans une langue comprise, avec l’assistance d’un tuteur. Ces instruments soulignent enfin la nécessité d’une prise en charge de l’intéressé au cours de la procédure d’évaluation, notamment son hébergement, et insistent sur la nécessité de prévoir des voies de recours effectives contre les décisions ne reconnaissant pas sa minorité.
La Cour rappelle en outre que ces instruments internationaux reconnaissent clairement l’importance primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant et du principe de la présomption de minorité applicable aux enfants migrants non accompagnés qui arrivent sur le territoire européen.
Au cas d’espèce, la Cour considère qu’il lui appartient, dans la présente affaire, de rechercher si la procédure d’évaluation de l’âge du requérant, qui déclarait être mineur à la date à laquelle il s’est présenté aux autorités françaises, a été entourée, concrètement, dans le respect de son intérêt supérieur et eu égard à sa particulière vulnérabilité, de garanties appropriées et suffisantes se traduisant par la communication des informations de nature à lui permettre, dans le cadre du processus décisionnel, d’assurer la protection effective de ses intérêts. La Cour déduit de ce qu’elle a relevé précédemment que le cadre juridique français offre en principe aux mineurs étrangers non accompagnés des garanties procédurales répondant aux exigences de l’article 8.
Néanmoins, pour être regardées comme adéquates au cas d’espèce, la Cour souligne que leur mise en œuvre aurait dû mettre le requérant effectivement à même de contester utilement les motifs retenus par les autorités internes pour renverser la présomption de minorité dont il bénéficiait.
La Cour relève que le requérant se plaint de n’avoir été ni suffisamment ni utilement informé au cours de cette procédure d’évaluation, ce qui l’aurait empêché d’établir devant les autorités internes qu’il était mineur.
La Cour souligne tout d’abord qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les conclusions de l’évaluation administrative auraient été remises à l’intéressé par les services du département ou qu’il lui aurait été indiqué qu’il pouvait en obtenir copie. Selon ses allégations, elles ne furent portées à sa connaissance que dans le cadre de la défense présentée par l’administration au stade du référé liberté devant le juge administratif. Ensuite, rien n’établit que le requérant aurait effectivement reçu copie des conclusions de l’examen physiologique qui avait été pratiqué et aucune mention n’y a été portée de la marge d’erreur que présentent les résultats de tels examens en l’état actuel de la science.
La Cour relève, en outre, que le non-lieu à assistance éducative décidé par le procureur de la République ne comportait aucune motivation. La décision du président du conseil départemental se bornait quant à elle, de manière stéréotypée, à un renvoi vers l’évaluation de l’âge effectuée par les services départementaux, d’une part, et à la décision du procureur de la République, d’autre part, sans comporter de motivation personnalisée susceptible d’éclairer le requérant sur les raisons ayant conduit à ce que sa minorité soit écartée.
La Cour relève enfin, que les mentions, dans la décision portant refus de prise en charge, des voies et délais de recours étaient incomplètes et imprécises. En effet, aucune mention n’y était faite de la possibilité de saisir le juge des enfants, d’une part, et rien n’indiquait que la saisine du tribunal administratif n’était recevable que dans le cadre de l’introduction d’un référé liberté, d’autre part.
D’un tel cumul de lacunes dans les informations portées à la connaissance du requérant, à la fois incomplètes et imprécises, alors que sa minorité était en cause et qu’il devait, de ce fait, être regardé comme présentant une vulnérabilité particulière, la Cour conclut que la présomption de minorité dont il bénéficiait a été renversée dans des conditions concrètes qui l’ont privé de garanties procédurales suffisantes.
Ces éléments suffisent à la Cour pour constater que, malgré l’existence d’un cadre juridique interne comportant en principe les garanties procédurales minimales requises, les autorités compétentes n’ont pas, en l’espèce, agi avec la diligence raisonnable et ont manqué à leur obligation positive de garantir le droit du requérant au respect de sa vie privée.
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