CEDH : la règle de l’épuisement des recours et le recours en cassation

La requérante est une ressortissante roumaine qui avait déposé une demande en vue d’un recours en cassation devant la Haute Cour contre un arrêt définitif, invoquant comme motif de cassation les situations de condamnation pour des faits qui n’étaient pas punis par la loi. Par un arrêt définitif, la Haute Cour rejeta le recours en cassation pour défaut de fondement, après avoir rappelé que les circonstances factuelles telles qu’établies par la juridiction d’appel ainsi que les preuves ne pouvaient pas faire l’objet d’un réexamen par le moyen de cassation invoqué.
La requérante considère que son procès n’a pas été équitable, soutenant qu’elle a été condamnée par la cour d’appel en l’absence d’administration directe des preuves, et plus particulièrement des témoignages, alors qu’elle avait été acquittée par le tribunal départemental sur le fondement de ces mêmes preuves.
Dans ces conditions, la tâche de la Cour consiste à examiner si, à la lumière des observations des parties, le recours en cassation tel qu’il est défini dans le système juridique de l’État défendeur constitue une voie de recours efficace susceptible de remédier directement à la situation dénoncée par la requérante.
À cet égard, la Cour relève, tout d’abord, qu’en droit pénal roumain, le recours en cassation est, depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale, en 2014, une voie de recours extraordinaire directement accessible aux parties au litige. Néanmoins, le simple fait qu’une voie de recours soit qualifiée d’extraordinaire en droit interne ne la rend pas ineffective d’emblée.
La Cour constate ensuite que le recours en question est seulement destiné à corriger des situations d’illégalité manifeste. En effet, il est strictement limité à cinq motifs de cassation clairement définis dans le code susvisé, qui portent sur des erreurs commises soit dans l’établissement de la compétence d’attribution ou de la compétence ratione personae, soit relativement à l’application de mesures de grâce présidentielle, à une application illégale de peines ou à une clôture illégale de procès, ou sur le cas de personnes condamnées pour des faits qui ne sont pas couverts par la loi pénale.
La Cour note également que dans sa jurisprudence, la Haute Cour a précisé l’étendue de son contrôle lorsqu’elle est saisie, comme en l’espèce, d’un recours en cassation fondé sur ce même code. La haute juridiction a ainsi indiqué de manière constante que sa compétence était limitée à une vérification quant à l’incrimination des actes ou à l’existence des éléments objectifs de l’infraction. De l’avis de la Cour, il s’agit là d’un contrôle restreint permettant à la Haute Cour d’examiner uniquement la question de savoir si l’intéressé a été condamné pour un acte qui constituait une infraction selon le droit pénal national, ce qui peut s’apparenter à un autre droit garanti par la Convention que celui invoqué par l’intéressée dans la présente espèce, notamment à l’article 7 de la Convention.
L’ensemble des éléments de droit interne pertinents produits en l’espèce montre que, eu égard à la compétence limitée dont dispose la Haute Cour dans le cadre du recours en cassation, cette voie de recours extraordinaire ne permettait pas d’obtenir réparation de la violation qui est alléguée devant la Cour, pas plus d’ailleurs qu’elle ne permettrait de réparer toute autre atteinte dénoncée par un plaignant relativement à l’administration des preuves par les juridictions ordinaires.
La Cour souligne que sa décision se limite aux circonstances de l’espèce, et qu’elle ne doit pas s’interpréter comme une déclaration générale qui signifierait qu’un recours en cassation n’est jamais une voie de recours à exercer aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, et ce d’autant plus lorsque le grief soulevé devant la Cour coïncide avec le motif de recours en cassation prévu par le droit interne.
Dans ce contexte, il suffit à la Cour de relever qu’en l’espèce, la décision interne définitive est l’arrêt rendu par la cour d’appel, lequel a été signifié à l’intéressée le 10 décembre 2021. Compte tenu de ce que l’arrêt définitif a été prononcé en l’espèce avant la date de prise d’effet de la modification apportée par le Protocole n° 15 à la durée du délai prévu à l’article 35 § 1 de la Convention, le délai applicable en l’espèce est de six mois et, ayant commencé à courir le 11 décembre 2021, il a expiré le 11 juin 2022 à minuit. Or, la requête a été introduite le 2 décembre 2022, c’est-à-dire après la date d’expiration.
Au vu de ce qui précède, l’exception préliminaire tirée par le Gouvernement du non-respect du délai de six mois doit être accueillie. Dès lors, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’exception du Gouvernement tirée d’un abus du droit de recours individuel et la requête est irrecevable au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
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