CEDH : nouvelle ombre sur l’état de droit en Pologne

Le requérant est un juge polonais qui se porta candidat à un poste de juge à la chambre civile de la Cour suprême polonaise. Le Conseil national de la magistrature (CNM) proposa 7 des 27 candidats à la nomination par le président de la République, mais ne recommanda pas le requérant. L’affaire concerne le recours que le requérant et les autres candidats non recommandés ont formé contre cette décision devant la Cour administrative suprême qui ordonna le sursis à la nomination aux postes en question, ce qui n’empêcha pas la nomination des candidats recommandés par le CNM furent nommés par le président. La Cour administrative suprême fit droit au recours puis annula la recommandation du CNM, mais sans pouvoir obtenir le réexamen de sa candidature.
Cette affaire est liée à ce qu’il est convenu d’appeler la « crise de l’État de droit » en Pologne, dont la Cour a été saisie en 2018 et 2020.
La Cour estime important de noter que la Cour constitutionnelle et le CNJ lui-même, notamment en retardant la transmission du recours du requérant, tout en transmettant rapidement sa résolution au Président de la République pour la nomination des candidats recommandés, a agi avec l’intention de limiter le droit de contrôle juridictionnel de toutes les personnes non recommandées pour la nomination à la Cour suprême en général, et du requérant en particulier.
Dans ce contexte, la Cour observe que, sans la décision de la Cour administrative suprême lors de l’examen de l’affaire dont elle était saisie, le droit du requérant à un contrôle juridictionnel de la décision contestée du CNJ aurait vraisemblablement été encore davantage restreint. À cet égard, la Cour note qu’en persévérant dans l’interprétation et l’application du droit interne d’une manière visant à donner plein effet à la Convention, la Cour administrative suprême a dûment rempli sa responsabilité découlant du principe de subsidiarité.
Appréciant l’ensemble des circonstances susmentionnées, la Cour estime que le contrôle juridictionnel, tel qu’il a été effectivement effectué par la juridiction interne, n’était pas suffisant au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.
Tant l’ingérence dans le contrôle juridictionnel en cours de la résolution contestée du CNJ que le fait que le Président de la République ait pourvu aux postes judiciaires concernés, malgré l’ordonnance provisoire contraignante dont la Cour a précédemment établi qu’elles constituaient des violations manifestes du droit interne, suffisent à conclure que, d’abord, l’ordonnance provisoire puis l’arrêt définitif de la Cour administrative suprême (en faveur du requérant) ont été rendus inopérants au détriment de ce dernier, privant ainsi les décisions internes de tout effet pratique.
La Cour réitère sa conclusion selon laquelle, dans les circonstances de l’espèce, la question de savoir si la procédure devant la Cour administrative suprême était « décisive » pour les droits civils du requérant était étroitement liée au fond de son grief.
Elle considère que, dans une situation telle que celle examinée, où les autorités de l’État défendeur ont pris des mesures visant à limiter et à éteindre le contrôle juridictionnel du grief du requérant concernant un droit civil, l’ineffectivité des procédures internes qui en résulte ne peut servir de fondement pour conclure que les procédures internes n’étaient pas « décisives » pour le droit en question.
Affirmer le contraire signifierait que l’extinction des procédures judiciaires pendantes au niveau interne pourrait en même temps constituer la base légale pour priver un requérant de la protection découlant de l’article 6 § 1.
Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement tirée de l’incompatibilité ratione materiae du grief avec le volet civil de l’article 6 § 1 de la Convention et conclut à la violation de cette disposition quant à la portée du contrôle juridictionnel en l’espèce.
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