CEDH : port de signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires flamands

Publié le 23/05/2024

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L’affaire concerne trois jeunes femmes qui indiquent être de confession musulmane. Elles se plaignent de l’impossibilité, en tant qu’élèves, de porter le voile islamique dans leurs établissements scolaires secondaires à la suite de l’interdiction du port de signes convictionnels visibles dans l’enseignement officiel de la Communauté flamande.

Les requérantes allèguent que l’interdiction de porter des signes convictionnels visibles dans leur établissement scolaire s’analyse en une atteinte à leur droit de manifester leur religion au sens de l’article 9 de la Convention.

La Cour a déjà indiqué que, dans une société démocratique où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. La Cour a souvent mis l’accent sur le rôle de l’État en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des divers religions, cultes et croyances, et indiqué que ce rôle contribue à assurer la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique. La Cour a également répété que lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’État et les religions, questions sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national.

La Cour rappelle à cet égard que le mécanisme de contrôle institué par la Convention a un rôle fondamentalement subsidiaire et que les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe en ce qui concerne la protection des droits de l’homme.

La Cour relève d’emblée que la présente affaire concerne un type d’enseignement public, à savoir l’enseignement officiel de la Communauté flamande et observe que, conformément à la Constitution, cet enseignement doit être neutre. Selon cette disposition constitutionnelle, la neutralité implique notamment le respect des convictions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves.

La Cour note qu’en vue de réaliser cette exigence constitutionnelle, le Conseil des établissements scolaires concernés a décidé d’instaurer dans ses établissements une interdiction générale de port de signes convictionnels visibles et que la Cour constitutionnelle a jugé cette conception de la neutralité compatible avec la Constitution.

La Cour relève que la décision de ce Conseil a été motivée de manière circonstanciée, en tenant compte tant du contexte de l’enseignement organisé par la Communauté flamande que des différents intérêts en jeu au regard de l’article 9 de la Convention. Rappelant la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales dans le domaine de la réglementation des ports convictionnels dans l’enseignement public, la Cour estime que la conception de la neutralité de l’enseignement communautaire, entendue comme interdisant, de manière générale, le port de signes convictionnels visibles par les élèves, ne heurte pas en soi l’article 9 de la Convention et les valeurs qui le sous-tendent. La possibilité de mettre en œuvre une autre conception de la neutralité par le décideur national n’implique pas que celle retenue en l’espèce, et admise tant par la Cour constitutionnelle que par la cour d’appel d’Anvers, est contraire à l’article 9.

La Cour note à cet égard que l’interdiction litigieuse ne vise pas uniquement le voile islamique, mais s’applique sans distinction à tout signe convictionnel visible et observe par ailleurs que les requérantes ont librement choisi l’enseignement communautaire et qu’elles n’ignoraient pas que le pouvoir organisateur compétent était tenu, en vertu de la Constitution, de garantir le respect du principe de neutralité dans de tels établissements. Elle relève en outre que les requérantes ont été informées au préalable des règles applicables dans les écoles concernées et ont accepté de s’y conformer.

Dans la mesure où l’interdiction litigieuse vise à protéger les élèves contre toute forme de pression sociale et de prosélytisme, la Cour rappelle qu’il importe de veiller à ce que, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, la manifestation par les élèves de leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires ne se transforme pas en un acte ostentatoire pouvant constituer une source de pression et d’exclusion. À cet égard, elle ne voit pas de raisons de remettre en cause les constats du Conseil de l’établissement scolaire quant à la survenance de comportements problématiques ni ceux de la cour d’appel d’Anvers selon lesquels des incidents s’étaient produits dans certains établissements relevant de l’enseignement communautaire.

Quant aux positions des organes des Nations Unies auxquelles les tiers intervenants se réfèrent, la Cour note que nombre d’entre elles ont une visée très large en ce qu’elles dépassent la seule interdiction du port des signes convictionnels dans l’enseignement de la Communauté flamande. En toute hypothèse, ces positions ne pourraient être déterminantes aux fins d’appréciation par la Cour de la compatibilité de l’interdiction litigieuse avec la Convention dont elle assure le respect, d’autant qu’elle dispose d’une jurisprudence déjà fournie sur la question présentement en jeu. Quoi qu’il en soit, il n’a pas été établi que l’interdiction litigieuse ait été inspirée par une quelconque forme d’hostilité à l’égard des personnes de confession musulmane.

En l’occurrence, les autorités nationales ont pu, eu égard à la marge d’appréciation dont elles disposent, chercher à concevoir l’enseignement organisé par la Communauté flamande comme un environnement scolaire exempt de signes religieux portés par des élèves. La Cour a souligné à plusieurs reprises que le pluralisme et la démocratie doivent se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique. La restriction litigieuse peut dès lors passer pour proportionnée aux buts poursuivis, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui et de l’ordre public, et donc « nécessaire » « dans une société démocratique ».

Sources :
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