CEDH : vaccination obligatoire des soignants contre le Covid

Publié le 02/09/2024
CEDH : vaccination obligatoire des soignants contre le Covid
Cour européenne des droits de l’homme (Photo : © 18mm/AdobeStock)

Dans plusieurs pays européens, et notamment à San-Marin, les requérants, un groupe de professionnels de santé, avaient refusé d’être vaccinés contre la Covid-19 et se virent en conséquence imposer une ou plusieurs mesures, pour l’essentiel relatives à leur emploi, notamment suspension sans salaire, travail d’intérêt général en contrepartie d’une indemnité proportionnée au nombre d’heures travaillées ou réaffectation à des postes vacants.

Les requérants se plaignent de l’obligation qui leur était imposée, en tant que professionnels de la santé et du secteur social, de se faire vacciner contre la Covid-19 conformément à la loi n° 107/2021 et de ce que ses conséquences ultérieures, sont contraires à l’article 8 de la Convention.

À part une requérante qui s’est finalement fait vacciner, les requérants ont été affectés par l’une ou plusieurs des mesures de suspension sans salaire pour avoir refusé d’exercer des activités socialement utiles. La Cour doit donc répondre à la question de savoir si ces mesures ont affecté la vie privée des requérants, rendant ainsi l’article 8 applicable. La Cour a déjà jugé que les mesures spécifiques imposées aux requérants résultaient, entre autres, de leur choix de ne pas se faire vacciner de manière facultative. Si elle rappelle que les programmes de vaccination facultatifs ne constituent pas en soi une ingérence dans l’article 8, la Cour est prête à admettre que le choix de se faire vacciner ou non, qui en l’espèce repose vraisemblablement uniquement sur le souci des requérants de leur intégrité physique, est suffisamment lié à l’autonomie personnelle pour considérer que les mesures qui ont été appliquées aux requérants, en conséquence de leur refus de se faire vacciner volontairement, étaient fondées, entre autres, sur des raisons empiétant sur la liberté de choix de l’individu dans le domaine de la vie privée. Les raisons sous-jacentes à la mesure litigieuse affectant la vie professionnelle en l’espèce étant liées, entre autres, à la vie privée de l’individu, ces raisons suffisent à rendre l’article 8 applicable. Ce grief doit donc être déclaré recevable.

La Cour relève qu’aucun des arguments portés à sa connaissance n’est de nature à remettre en cause la légalité des mesures mises en place, ce qui a également été confirmé par la Cour constitutionnelle. L’objectif de ces mesures était de protéger la santé publique et de maintenir des conditions de sécurité adéquates dans le contexte d’une pandémie qui présentait un risque grave pour l’ensemble de la population. La Cour a déjà eu l’occasion de relever que la pandémie de Covid-19 était susceptible d’avoir des conséquences très graves sur la santé. Comme l’a relevé la Cour constitutionnelle, en vertu de l’article 2 de la Convention, les États membres ont l’obligation positive de prendre des mesures appropriées pour protéger la vie des personnes relevant de leur juridiction. En effet, en ce qui concerne la pandémie de Covid-19, la Cour n’a pas exclu que des individus puissent être victimes d’une violation alléguée de l’article 2 s’ils démontrent que, dans leur propre situation, les actes ou omissions de l’État ont mis ou auraient pu mettre leur vie en danger réel et imminent. Elle a également estimé que le passage du temps avait apporté une connaissance scientifique approfondie du virus ainsi que des réponses pertinentes (tant par la vaccination que par le traitement médical). Tous ces facteurs ont permis aux gouvernements d’adapter leurs politiques et protocoles à l’évolution des circonstances. Il ne fait donc aucun doute qu’une série de mesures restrictives dans le domaine de la santé adaptées à l’évolution constante de la pandémie de Covid-19, comme celles de la présente affaire, poursuivaient le but légitime de la protection de la santé et de la protection des droits et libertés d’autrui. La Cour relève que le 31 décembre 2020, l’OMS a validé le premier vaccin anti-Covid-19 par la procédure d’utilisation d’urgence. Le 5 mai 2023, à l’issue d’une campagne de vaccination massive qui avait permis de contenir les effets de la maladie, l’OMS a levé l’alerte classant le Covid-19 comme urgence de santé publique de portée internationale. À cette date, plus de 766 millions de cas d’infection au Covid-19 et près de 7 millions de décès avaient été enregistrés dans le monde. La Cour a déjà considéré que cette situation devait être qualifiée de « contexte exceptionnel et imprévisible ». C’est dans ce contexte, et sans le bénéfice du recul, que la Cour doit déterminer si les mesures imposées aux requérants étaient nécessaires dans une société démocratique. Les requérants ont soutenu qu’en tant que personnes non vaccinées, ils ne présentaient pas un risque plus élevé pour les autres que les personnes vaccinées. La Cour observe que, sur la base des éléments disponibles à l’époque, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a estimé que « la vaccination et la guérison d’une infection passée peuvent bien réduire le risque de transmission, mais l’ampleur et la durée de cet effet sont actuellement incertaines ». Cependant, bien que les observations des requérants reposent dans une large mesure sur cet argument, la Cour n’a pas à trancher cette question. Il en est ainsi parce qu’il est incontestable que les personnes non vaccinées (ce qui était la situation de toutes les personnes avant l’arrivée du vaccin) étaient et restaient à la fois susceptibles d’être infectées et en mesure de contaminer et de propager le virus, qui circulait activement à l’époque (2021-2022). Ainsi, le maintien des mesures de protection à l’égard de l’ensemble de la population, y compris les requérants, et particulièrement de la population vulnérable dépendante des structures sanitaires et socio-sanitaires continuait de répondre à un besoin social impérieux, au moment où les mesures contestées ont été mises en place, c’est-à-dire avant le 5 mai 2023. En outre, la Cour ne peut ignorer que la loi contestée était le résultat d’une réduction globale des mesures restrictives, au vu de la disponibilité de la vaccination en 2021, devenue nécessaire pour éviter que le monde ne s’immobilise et que l’économie ne se dégrade davantage. Ainsi, la Cour considère que même si l’efficacité de la vaccination pour limiter la contagion était encore douteuse, elle n’était pas déraisonnable.

En effet, les requérants ne contestent pas que la vaccination était efficace en termes de diminution des symptômes, ce qui impliquait que les personnes non vaccinées étaient plus vulnérables aux conséquences graves de la maladie (facteur déjà scientifiquement établi à l’époque comme l’ont admis les requérants). De plus, outre les préoccupations pour la santé des requérants eux-mêmes, on ne peut ignorer que dans le cas probable où les requérants tomberaient malades, leur arrêt de travail – éventuellement de longue durée en cas de symptômes graves – aurait également constitué une charge pour les services de l’État, notamment dans l’un des secteurs les plus importants, à savoir la santé et les services socio-sanitaires, qui avaient été particulièrement sollicités à l’époque. Quant à la question de savoir si un juste équilibre a été trouvé entre les intérêts publics susmentionnés et les droits des individus en matière d’emploi garantis par l’article 8, la Cour observe que les requérants ont été affectés par l’une ou plusieurs des mesures suivantes dénoncées : suspension sans salaire pour refus d’exercer des activités d’utilité sociale ; accomplissement de travaux d’intérêt général en échange d’une indemnité proportionnelle aux heures travaillées (mais ne dépassant pas 600 euros par mois) ; ou réaffectation à des postes vacants dans l’administration publique au même salaire ou à un niveau de salaire inférieur à celui auquel ils avaient droit avant leur mutation. Toutes ces mesures étaient temporaires et ont duré entre un minimum de moins de deux semaines et un maximum de quinze mois.

Étant donné que la vaccination était volontaire et que les requérants étaient libres de ne pas la prendre – une possibilité dont ils ont fait usage –, pour parvenir à un juste équilibre, c’étaient uniquement les intérêts financiers des requérants que l’État devait mettre en balance avec les intérêts concurrents importants de la communauté dans son ensemble.

Dans la mesure où les requérants ont fait référence aux répercussions financières qu’ils avaient subies, la Cour estime que les requérants n’ont pas présenté d’arguments quant à la manière dont une telle réduction de leur salaire, ou l’absence de salaire du tout (lorsqu’ils ont choisi de ne pas entreprendre le travail bénévole) avait aggravé le bien-être matériel de chacun d’eux et de leurs familles respectives. La majorité des requérants ont été relocalisés au moins pendant une partie du temps et ont continué à percevoir une rémunération en échange de leurs services dans un autre poste, bien que parfois à un salaire inférieur et/ou ont reçu des indemnités en échange des heures d’activités socialement utiles effectuées en fonction des besoins disponibles ou de leur choix.

Il est indéniable que la pandémie de Covid-19 a exigé des mesures d’adaptation et des mesures spéciales pour contrer ses effets, mais elle a néanmoins entraîné des pertes financières importantes, voire énormes, ainsi qu’une augmentation du chômage, dans divers secteurs, entreprises et industries. La Cour considère que de telles pertes sont une conséquence inévitable d’une pandémie mondiale et du contexte exceptionnel et imprévisible dans lequel se trouvaient les États à l’époque des faits. Rappelant que, lorsqu’ils adoptent une législation destinée à établir un équilibre entre des intérêts concurrents, les États doivent en principe être autorisés à déterminer les moyens qu’ils estiment les plus aptes à atteindre l’objectif de conciliation de ces intérêts la Cour estime que le choix du législateur saint-marinais d’appliquer un nombre graduel de mesures affectant l’emploi d’un petit nombre de personnes travaillant dans le secteur sanitaire et socio-sanitaire dans le but de protéger la santé de la population en général, y compris les requérants eux-mêmes, ainsi que les droits et libertés d’autrui, était justifié et se situait dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec les buts légitimes poursuivis par l’État défendeur. On ne saurait donc dire que ce dernier a outrepassé sa large marge d’appréciation en matière de politique de santé. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Sources :
Rédaction
Plan