CEDH : violences subies dans un commissariat italien par un avocat stagiaire

À l’occasion des manifestations anti-mondialisation qui eurent lieu à Naples dans le cadre du Forum mondial sur la réinvention du gouvernement, un grand nombre de personnes furent blessées. Avec plusieurs autres manifestants, le requérant, un avocat italien, fut sorti du service des accidents et urgences d’un hôpital puis conduit au commissariat de police.
Une enquête fut ouverte pour, entre autres infractions, des chefs d’enlèvement, d’abus d’autorité par des agents de l’État, de contrainte criminelle et de coups et blessures contre le requérant, à la suite de quoi 31 policiers furent inculpés. Le requérant se constitua partie civile dans la procédure.
Le tribunal de Naples jugea que les personnes emmenées au commissariat avaient été victimes de comportements gravissimes, notamment : elles avaient été contraintes d’emprunter un couloir, entourées de policiers qui, à tour de rôle, les giflaient, leur donnaient des coups de pied, leur faisaient des croche-pieds, leur crachaient dessus et les injuriaient.
Elles avaient été forcées de s’agenouiller, les mains derrière la tête, et de garder le silence tout le temps, et il leur était interdit de communiquer avec leurs avocats et d’informer les membres de leur famille de leur situation.
Leurs téléphones portables avaient été confisqués et, dans certains cas, endommagés. Elles avaient été battues et soumises à diverses formes de violences physiques, menacées et insultées et il leur était interdit de manger, de boire ou d’aller aux toilettes.
Le tribunal constata que le requérant avait été battu à plusieurs reprises, notamment alors qu’il était à genoux, les mains derrière la tête. Lorsqu’il s’était présenté comme avocat stagiaire et avait demandé pourquoi il était détenu sans avoir été officiellement arrêté, il avait été maltraité physiquement, ce que le tribunal a jugé particulièrement inacceptable. Il avait été traité d’« avvocatino » (« petit avocat ») par les agents, qui avaient déclaré savoir où il habitait.
En ce qui concerne les coups et blessures et contrainte criminelle, le tribunal a jugé que la procédure devait être classée sans suite au motif que les délais de prescription applicables avaient expiré.
La Cour observe d’emblée que les juridictions internes ont établi de manière très détaillée les différentes formes de mauvais traitements subies par les personnes détenues au commissariat, et le requérant en particulier. Ne voyant aucune raison impérieuse de s’écarter de ces conclusions, et notant la déclaration du Gouvernement selon laquelle il souscrit pleinement aux conclusions des juridictions nationales, la Cour considère les mauvais traitements dénoncés comme établis. Les violences physiques infligées au requérant ont été qualifiées de « très violentes » par le tribunal de première instance, qui a également estimé qu’il était devenu une « cible désignée » pour les policiers.
La Cour relève, au vu des éléments dont elle dispose, qu’il est difficile de penser que le traitement auquel le requérant a été soumis alors qu’il était entièrement sous le contrôle des autorités, tel que décrit ci-dessus, ait été rendu nécessaire par son comportement. La Cour relève en outre que le tribunal de première instance a désigné le requérant parmi les victimes d’insultes « particulièrement odieuses ».
Ce comportement visait, selon ce tribunal, à instiller et à entretenir un état de peur chez le requérant. La Cour note également que, comme l’a souligné le requérant et comme le démontrent les conclusions des juridictions internes, celui-ci s’est présenté comme avocat stagiaire et a demandé des explications, affirmant ne voir aucune raison justifiant son transfert au commissariat, n’ayant pas été formellement arrêté et ayant déjà subi un contrôle d’identité par la police à l’hôpital. Le tribunal de première instance a décrit les tentatives du requérant pour obtenir des informations comme ayant été réprimées par de nouvelles violences physiques et verbales, au point qu’il n’avait eu d’autre choix que de renoncer, circonstance qu’il a qualifiée de « particulièrement inacceptable ».
De plus, ce traitement s’est accompagné de l’impossibilité pour le requérant, qui a passé environ cinq heures au commissariat, de contacter le monde extérieur afin de faire connaître sa situation.
De l’avis de la Cour, il ne fait guère de doute que ces circonstances ont dû causer au requérant une détresse émotionnelle et psychologique considérable.
Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, la Cour conclut que le requérant a été soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, et que ce traitement doit être considéré comme à la fois inhumain et dégradant.
La Cour ne peut que conclure que la prescription des infractions, telle que prévue par le cadre juridique applicable, a empêché l’établissement de la responsabilité pénale et, le cas échéant, la sanction des responsables pour la plupart des actes constituant le traitement en question. Elle a déjà invité l’Italie à mettre en place des mécanismes juridiques propres, entre autres, à empêcher que les responsables d’actes de torture et d’autres types de mauvais traitements bénéficient de mesures incompatibles avec la jurisprudence de la Cour, notamment la prescription, qui peut, en pratique, empêcher la sanction des responsables d’actes contraires à l’article 3, malgré tous les efforts déployés par les autorités de poursuite et les tribunaux.
Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour n’est pas convaincue que la réponse des autorités, notamment en ce qui concerne les peines avec sursis et les peines accessoires ainsi que la non-divulgation du casier judiciaire, puisse être considérée comme adéquate au vu de la gravité des actes pour lesquels les agents ont été condamnés en leur qualité d’agents de l’État et comme ayant un effet dissuasif suffisant pour empêcher la commission d’actes similaires à ceux dénoncés par le requérant. Il s’ensuit que les exigences d’une enquête effective n’ont pas été pleinement satisfaites en l’espèce.
Sources :