Entre liberté d’expression et diffamation : le rôle du juge
Sur le fondement de l’article 6-I 8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, plusieurs personnes demandent qu’il soit enjoint, sous astreinte, à la société Google de retirer divers propos qualifiés par eux, de diffamatoires et injurieux contenus dans six vidéos mises en ligne sur la chaîne Youtube et de communiquer les données d’identification et de connexion de la chaîne Youtube susmentionnée.
Le premiers juges retiennent que seul un abus caractérisé de la liberté d’expression peut justifier que le juge prenne des mesures telles qu’un retrait de contenu ou un blocage de sites, mesures devant être adaptées et proportionnées au dommage dont la réalisation ou l’imminence est reconnue dès lors qu’elles portent atteinte à la liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression.
Malgré le caractère diffamatoire et injurieux des propos allégué par les appelants et justement repris par le tribunal judiciaire de Paris, en l’absence de contradiction possible de la part des auteurs des propos qui seraient susceptibles de les avoir mis en ligne, la cour d’appel fait sienne l’appréciation du tribunal selon laquelle la mesure de retrait n’est pas proportionnée à l’atteinte ainsi envisagée à la liberté d’expression.
Même si les dispositions du I de l’article 6-8 précitées posent comme unique condition le constat d’un dommage, de sorte que la démonstration d’une diffamation ne saurait être exigée, sauf à vider le texte de sa substance, pour autant, la nécessité de prendre des mesures, de même que la nature des mesures elles-mêmes, doivent être appréciées en fonction des enjeux propres à la liberté d’expression et à sa fonction dans une société démocratique.
Concernant la contribution au débat public, que prend en compte la CEDH pour apprécier l’étendue et les limites de la liberté d’expression, l’absence d’identification de l’éditeur ou de l’auteur de la publication interdit au public qui en prend connaissance de mesurer la fiabilité des informations données, ce qui, en soi, en limite nécessairement la portée.
Quant à l’équilibre des intérêts en présence, selon l’avis pertinent de l’avocat général, « il peut se résumer, en l’espèce, d’un côté, à un contenu au statut incertain qui, de ce fait, ne saurait prétendre concourir davantage au débat public qu’une rumeur, de l’autre, à une atteinte à l’honneur et à la probité de quatre personnalités qui se trouvent en pratique privées de la possibilité d’en rechercher le responsable et de soumettre le litige à un juge au contradictoire de ce dernier ».
En rejetant la demande de suppression des propos contenus dans les supports incriminés, l’arrêt retient en outre que, en l’absence de démarches des appelants en ce sens, il n’est pas démontré l’impossibilité d’identification des utilisateurs de la chaîne YouTube, sans répondre aux conclusions des plaignants, qui font valoir, d’une part, que le titulaire du compte YouTube avait utilisé un fournisseur d’accès ne permettant pas son identification, d’autre part, que, à la suite de leur plainte avec constitution de partie civile, un réquisitoire aux fins de non-lieu leur avait été notifié au motif que l’information n’avait pas permis d’identifier l’auteur des faits, l’article 60-1-2 du Code de procédure pénale réservant la possibilité d’ordonner des mesures techniques d’identification des auteurs d’infractions commises par l’utilisation d’un réseau de communications électroniques aux seuls délits punis d’au moins un an d’emprisonnement, ce qui n’est pas le cas du délit de diffamation publique envers un particulier, la cour d’appel ne satisfait pas aux exigences de l’article 455 du Code de procédure civile.
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