L’office du juge et la production d’une preuve illicite ou déloyale

Publié le 10/06/2024

L'office du juge et la production d'une preuve illicite ou déloyale

Un salarié déclare avoir été victime de violences verbales et physiques commises par le gérant de la société employeur, accident que la caisse primaire d’assurance maladie prend en charge au titre de la législation professionnelle. L’employeur conteste cette décision et le salarié demande la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Suivant les principes dégagés par la jurisprudence de la CEDH, la Cour de cassation a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi.

La Cour de cassation jugeait néanmoins, sur le fondement des articles 6 § 1, de la Conv. EDH, 9 du Code de procédure civile et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, qu’est irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème.

Par un arrêt d’assemblée plénière (Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20648), la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence. Elle juge désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

L’arrêt relève que l’employeur conteste l’existence même de l’accident du travail et que, pour établir avoir été molesté par le gérant au cours de la dispute, la victime produit, outre un procès-verbal de dépôt de plainte et deux certificats médicaux, un procès-verbal d’huissier de justice retranscrivant un enregistrement effectué sur son téléphone portable lors des faits.

Il relève encore que cet enregistrement des propos tenus par le gérant de la société a été réalisé à l’insu de celui-ci et qu’il est présenté par l’employeur comme ayant été obtenu de manière déloyale.

Il énonce qu’il résulte toutefois des articles 6 et 8 de la Conv. EDH, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Il constate qu’au moment des faits, trois collègues de travail de la victime ainsi qu’une personne, cliente de l’entreprise et associée avec le gérant dans une autre société, étaient présents sur les lieux. Il retient qu’au regard des liens de subordination unissant les premiers avec l’employeur et du lien économique de la seconde avec le gérant, la victime pouvait légitimement douter qu’elle pourrait se reposer sur leur témoignage.

L’arrêt relève ensuite que l’altercation enregistrée est intervenue au sein de la société dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous, et notamment de trois salariés et d’un client de l’entreprise.

Il ajoute que la victime s’est bornée à produire un enregistrement limité à la séquence des violences qu’elle indique avoir subi et n’a fait procéder au constat de la teneur de cet enregistrement par un huissier de justice que pour contrecarrer la contestation de l’employeur quant à l’existence de l’altercation verbale et physique.

De ces constatations et énonciations, dont il résulte qu’elle a recherché, comme elle le devait, si l’utilisation de l’enregistrement de propos, réalisé à l’insu de leur auteur, portait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du dirigeant de la société employeur et le droit à la preuve de la victime, la cour d’appel peut déduire que la production de cette preuve était indispensable à l’exercice par la victime de son droit à voir reconnaître tant le caractère professionnel de l’accident résultant de cette altercation que la faute inexcusable de son employeur à l’origine de celle-ci, et que l’atteinte portée à la vie privée du dirigeant de la société employeur était strictement proportionnée au but poursuivi d’établir la réalité des violences subies par elle et contestées par l’employeur.

 

Sources :
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