Notification d’un titre de paiement d’un créancier public et délai de contestation

Publié le 13/03/2024

Cour_cassation_Chambre_civile_biais_Philippe_Cabaret

Une communauté d’agglomération adresse à une société, titulaire d’un abonnement au service d’eau potable, une facture estimative. Lorsque la société résilie son abonnement, une facture de clôture de compte est émise et, quelques années plus tard, la trésorerie municipale notifie à la société une opposition à tiers détenteur en exécution du titre de recettes.

La société a assigné alors la communauté devant un TGI en annulation des titres émis et en décharge du règlement des sommes y afférentes. Elle se prévaut, notamment, de la notification irrégulière des titres et de leur irrégularité formelle.

Depuis une décision du 13 juillet 2016, le Conseil d’État juge que si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, lequel, en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance (CE, 13 juill. 2016, n° 387763).

Il juge que cette obligation d’exercer un recours dans un délai raisonnable s’applique en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018, n° 401386).

Le pourvoi pose la question de savoir si la règle prétorienne issue de la décision du 13 juillet 2016 devrait recevoir application devant les juridictions judiciaires, notamment en matière de délai de recours contre un titre de recettes.

Si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu’il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres. Tel est le cas en l’espèce.

En premier lieu, les motifs ayant justifié l’application d’une telle règle devant les juridictions administratives, qui permet de prévenir les situations dans lesquelles, faute de notification régulière, une décision administrative pourrait être contestée indéfiniment, sont propres aux règles du contentieux administratif.

En effet, les juridictions judiciaires n’exercent pas de contrôle de légalité par la voie du recours pour excès de pouvoir.

Quant aux contestations d’un titre exécutoire, formées devant ces juridictions, généralement à l’occasion de l’action en recouvrement, elles interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s’agissant des créances d’une collectivité territoriale.

Par ailleurs, les actions tendant à la décharge d’une imposition et à la restitution de l’indu fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle supérieure se prescrivent par deux ans, en application de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales.

Enfin, les mêmes actions, lorsqu’elles sont fondées sur une déclaration de non-conformité à la Constitution du texte servant de fondement à l’imposition, sont ouvertes dans les conditions fixées par la décision du Conseil constitutionnel.

Ainsi, le risque de contestation d’actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique.

En second lieu, la règle issue de l’article 680 du Code de procédure civile constitue un principe général qui s’applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours.

Transposer la solution dégagée par le Conseil d’État pourrait conduire à étendre cette règle à tous les délais de recours, ce qui remettrait en cause l’application de ce principe général et pourrait porter atteinte à l’équilibre des droits des parties dans le procès civil.

Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d’accéder au juge.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments qu’en l’absence de notification régulière des voies et délais de recours, le débiteur n’est pas tenu de saisir le juge civil dans le délai défini par la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2016 précitée.

La cour d’appel qui constate que la preuve d’une notification régulière des titres n’est pas rapportée, en déduit exactement que l’action introduite par la société est recevable.

Sources :
Rédaction
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