Après la réponse de la CJUE, les dérogations d’accès à la profession d’avocat

Publié le 07/05/2021

L’accès à la profession d’avocat est réglementé par la loi du 31 décembre 1971, notamment par l’article 11, 3°, selon lequel nul ne peut accéder à cette profession s’il n’est titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat, sous réserve des dispositions réglementaires mentionnées au 2° du même article. Figure au nombre de ces dispositions l’article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, modifié, aux termes duquel sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale.

Répondant aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 20 févr. 2019, n° 17-21006), la CJUE a dit pour droit (CJUE, 17 déc. 2020, n° C-218/19) que les articles 45 et 49 du TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale réservant le bénéfice d’une dispense des conditions de formation professionnelle et de possession du certificat d’aptitude à la profession d’avocat prévues, en principe, pour l’accès à la profession d’avocat à certains agents de la fonction publique d’un État membre ayant exercé dans ce même État membre en cette qualité, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, et écartant du bénéfice de cette dispense les fonctionnaires, agents ou anciens agents de la fonction publique de l’Union européenne qui ont exercé en cette qualité au sein d’une institution européenne et en dehors du territoire français mais qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale réservant le bénéfice d’une telle dispense à la condition que l’intéressé ait exercé des activités juridiques dans le domaine du droit national, et écartant du bénéfice de cette dispense les fonctionnaires, agents ou anciens agents de la fonction publique de l’Union européenne qui ont exercé en cette qualité des activités juridiques dans un ou plusieurs domaines relevant du droit de l’Union, pour autant qu’elle n’exclut pas la prise en compte des activités juridiques comportant la pratique du droit national.

La CJUE précise, d’une part, que la protection des destinataires des services juridiques fournis par des auxiliaires de justice, d’autre part, que la bonne administration de la justice sont des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme constituant des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier des restrictions tant à la libre prestation des services qu’à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement.

Elle ajoute qu’il ne saurait être exclu, a priori, qu’un candidat issu d’une fonction publique autre que celle française, notamment de la fonction publique de l’Union, ait pratiqué le droit français en dehors du territoire français de manière à en acquérir une connaissance satisfaisante mais qu’il est loisible au législateur français de fixer, de manière autonome, ses standards de qualité et de considérer qu’une connaissance satisfaisante du droit français peut être acquise par une pratique de ce droit pendant huit ans au moins.

Il s’en déduit que les fonctionnaires, agents ou anciens agents de la fonction publique de l’Union européenne, qui ont exercé en cette qualité au sein d’une institution européenne, ne peuvent se voir privés du bénéfice de l’article 98, 4°, en raison d’un exercice de leur activité en dehors du territoire français mais que, conformément à la réglementation nationale exigeant l’exercice d’activités juridiques dans le domaine du droit national, pour assurer la protection des justiciables et la bonne administration de la justice, il y a lieu de déterminer si leurs activités juridiques comportent une pratique satisfaisante du droit national et que, dans ces conditions, la réglementation nationale ne heurte pas le droit de l’Union.

La cour d’appel de Paris énonce d’abord, à bon droit, sans s’attacher au lieu d’exercice des activités juridiques, que les exigences posées par ce texte ne créent pas de conditions discriminatoires à l’accès à la profession d’avocat, sont justifiées pour protéger le justiciable et pour garantir, par une connaissance satisfaisante du droit national, l’exercice des droits de la défense et qu’elles sont limitées et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il constate, ensuite, que la demanderesse remplit la condition de diplôme exigée et a travaillé pendant au moins huit ans dans différents services de l’Union européenne en qualité d’agent temporaire, de fonctionnaire stagiaire puis de fonctionnaire titulaire.

Cependant, examinant concrètement les travaux et missions qui lui ont été confiés, la cour d’appel estime que l’intéressée ne justifie d’aucune pratique du droit national, lequel, même s’il intègre nombre de règles européennes, conserve une spécificité et ne se limite pas à ces dernières, et en déduit justement qu’elle ne remplit pas la condition dérogatoire relative à l’exercice d’activités juridiques dans le domaine du droit national.

Enfin, quelle que pourrait être la portée des dispositions de la Charte sociale européenne dans l’ordre interne, celles-ci ne sont pas méconnues par l’article 98, 4°, du décret précité qui ouvre l’exercice de la profession d’avocat à des ressortissants d’États membres, en se bornant à les soumettre, comme les nationaux, à certaines conditions justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général proportionnées à l’objectif de protection des justiciables.

Sources :
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