Évolution de jurisprudence : l’office du juge dans la caractérisation de la contrefaçon de marques et produits viticoles

Publié le 25/10/2021

Après la liquidation d’une société qui exerçait une activité de négociant en vins et la cession de son fonds de commerce à une coopérative vinicole, son ancien dirigeant et sa famille créent une société ayant pour activité la conception, la création, le dépôt, la propriété de marques et produits liés au vin, qui dépose des marques pour, notamment, des vins et des crémants d’Alsace que l’INPI refusé d’enregistrer.

La Cour de cassation a précédemment interprété les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 13 novembre 2019, en ce sens que le dépôt à titre de marque d’un signe contrefaisant constitue à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de son exploitation (Cass. com., 26 nov. 2003, n° 01-11784, Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-17533).

Il y a toutefois lieu de reconsidérer cette interprétation à la lumière de la jurisprudence de la CJUE.

Cette Cour juge en effet que le titulaire d’une marque enregistrée ne peut interdire l’usage par un tiers d’un signe similaire à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait sans le consentement du titulaire de la marque, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJUE, 3 mars 2016, n° C-179/15, Daimler).

Or, la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la CJUE, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire.

Dès lors, la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon.

Le titulaire d’une marque ne peut obtenir que l’utilisation par un tiers de son nom soit interdite ou limitée que si ce dernier a commis un acte de contrefaçon de la marque ou qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il s’apprête à en commettre un.

Lorsqu’un fonds de commerce est le fruit d’une histoire familiale, l’acquéreur de ce fonds est en droit de se prévaloir de cette histoire, sous réserve de ne pas créer un risque de confusion entre son activité et celle des membres de la famille restés actifs dans le même domaine.

Pour condamner la coopérative cessionnaire au paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et lui faire interdiction sous astreinte de faire usage d’éléments intellectuels relatifs à l’histoire de la famille, la cour d’appel retient que, si la coopérative a acquis le fonds de commerce de la société et la marque éponyme, ceci ne lui confère pas pour autant des droits sur les éléments intellectuels et visuels liés à la famille et son histoire qui n’y sont pas attachés, et qu’en s’appropriant l’histoire familiale dans le but d’obtenir un avantage commercial, elle a cherché à profiter indûment des efforts intellectuels et techniques des sociétés de la famille et s’est, de ce fait, livrée à des actes de concurrence déloyale.

En se déterminant ainsi, sans constater que les modalités de l’exploitation à des fins commerciales, par la coopérative, de l’histoire de la société cédée, qui inclut nécessairement des éléments intellectuels liés à l’histoire de la famille dans la viticulture alsacienne, ont entraîné un risque de confusion entre les produits qu’elle commercialise sous les marques acquises avec le fonds de commerce de la société et ceux que commercialise la famille, la cour d’appel prive sa décision de base légale.

Sources :
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