La chambre mixte se prononce sur la preuve par constat d’huissier d’une contrefaçon

Une société constate qu’une autre offre à la vente un modèle de valise reproduisant les caractéristiques originales de la valise en polycarbonate rainuré qu’elle-même commercialise depuis plusieurs années.
Lorsqu’il agit sans autorisation judiciaire préalable mais à la requête d’une partie, l’huissier de justice n’est pas autorisé à pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, tel qu’un magasin, pour y recueillir des preuves au bénéfice de son mandant et, en particulier, y faire un achat, sans décliner préalablement sa qualité.
Il peut, en revanche, solliciter un tiers, qui n’a pas la qualité d’officier public, afin qu’il pénètre dans un tel lieu pour y faire un achat, et, ensuite, relater les faits et gestes de ce tiers qu’il a personnellement constatés, se faire par lui remettre toute marchandise en sa possession à la sortie du magasin, et les documents y afférent, et recueillir toute déclaration de sa part.
La Cour de cassation a transposé au constat d’achat ce qu’elle énonce pour la saisie-contrefaçon, jugeant que le droit à un procès équitable commande, à peine de nullité des opérations, que, lors de l’établissement d’un tel procès-verbal de constat, l’huissier de justice soit assisté d’un tiers indépendant de la partie requérante.
L’extension de cette jurisprudence au procès-verbal de constat d’achat a suscité des divergences d’application parmi les juges du fond et des critiques de la part de la doctrine et de praticiens, qui ont souligné sa rigueur excessive et le fait qu’elle postule un risque non justifié de manipulation des preuves à l’intérieur du magasin.
Ces éléments justifient un nouvel examen.
La jurisprudence relative aux conditions de validité d’une saisie-contrefaçon est fondée, notamment, sur le caractère intrusif de cette mesure, le juge pouvant autoriser la recherche et la révélation d’informations confidentielles, voire de secrets d’affaires.
Tel n’est pas le cas du constat d’achat réalisé à la requête d’un particulier pour lequel le tiers sollicité par l’huissier de justice n’intervient pas comme expert, ni même en raison d’une quelconque expertise, son rôle étant limité à pénétrer en un lieu privé ouvert au public pour y effectuer un achat et en remettre l’éventuelle preuve à l’officier public.
Par ailleurs, le juge ne peut refuser d’examiner un constat d’huissier établi à la demande d’une personne, même réalisé non contradictoirement, qui vaut à titre de preuve dès lors qu’il est soumis à la discussion des parties.
Il y a lieu de juger désormais que l’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas de nature à entraîner la nullité du constat d’achat. Dans un tel cas, il appartient au juge d’apprécier si, au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d’indépendance affecte la valeur probante du constat.
L’arrêt constate, d’abord, que le procès-verbal de constat d’achat dressé par l’huissier de justice mentionne l’identité et la qualité du tiers acheteur, précisant qu’il s’agit d’un stagiaire au sein du cabinet d’avocats de la société requérante et en déduit qu’il ne peut être reproché à la requérante d’avoir tu un élément essentiel à son adversaire ou au juge et, partant, d’avoir été déloyale dans la mise en œuvre de ce mode de preuve.
L’arrêt relève ensuite que, dans ce même procès-verbal de constat d’achat, l’huissier de justice constate, depuis la voie publique, que le tiers acheteur pénètre dans le magasin sans aucun sac à la main et qu’il en ressort après quelques minutes, tenant ostensiblement une valise ainsi qu’une facture et un ticket de carte bancaire, qu’il lui remet aussitôt, et que les photographies prises par cet officier ministériel révèlent que la valise est de marque supposée contrefaisante et que le même prix apparaît sur l’étiquette attachée à la valise, sur la facture et sur le ticket de carte bancaire.
L’arrêt retient, enfin, que les sociétés soupçonnées de contrefaçon ne démontrent, ni d’ailleurs n’allèguent, aucun stratagème qui aurait été mis en place par la société requérante, le tiers acheteur ou l’huissier de justice instrumentaire et en déduit que, compte tenu du rôle limité du tiers acheteur et du fait qu’il ait agi en permanence sous le contrôle de l’huissier de justice, le défaut d’indépendance de ce tiers n’affecte pas le caractère objectif des constatations mentionnées au procès-verbal.
Après avoir à bon droit refusé d’annuler le procès-verbal de constat d’achat au seul motif de l’absence d’indépendance du tiers acheteur, la cour d’appel apprécie souverainement la valeur probante du constat.
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