Garantie des salaires : un infléchissement de jurisprudence conforme au droit européen

Publié le 13/01/2025

Cour_cassation_Chambre_civile_biais_Philippe_Cabaret

Un salarié, chauffeur-livreur, prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur et saisit la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de salaires impayés, des indemnités liées à la rupture du contrat de travail, des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et une indemnité pour travail dissimulé.

Deux mois plus tard, la procédure de redressement judiciaire dont l’employeur était l’objet convertie en liquidation judiciaire.

Aux termes de l’article L. 3253-6 du Code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l’étranger ou expatriés mentionnés à l’article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation.

Selon l’article L. 3253-8, 2°, du Code du travail, l’assurance mentionnée ci-dessus couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant pendant la période d’observation, dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession, dans les quinze jours, ou vingt-et-un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation et pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt-et-un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.

La Cour de cassation a jugé que les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par ce dernier texte s’entendent d’une rupture à l’initiative de l’administrateur judiciaire ou du liquidateur, de sorte que les indemnités dues au salarié à la suite de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur ne sont pas garanties par l’AGS (Cass. soc., 20 déc. 2017, n° 16-19.517) ou à la suite d’une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur (Cass. soc., 14 juin 2023, n° 20-18.397).

Toutefois, la CJUE, (CJUE, 22 févr. 2024, n° C-125/23) a dit pour droit que la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 oct. 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui exclut la couverture de salaires impayés par une institution de garantie lorsque le travailleur en cause a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et une juridiction nationale a jugé cette prise d’acte comme étant justifiée.

La CJUE a relevé que la différence de traitement, tel qu’interprété par la Cour de cassation, selon que l’auteur de la rupture du contrat de travail est ou non le salarié, outre le fait que la cessation du contrat de travail par une prise d’acte de la rupture de ce contrat par un travailleur ne saurait être regardée comme résultant de la volonté de ce travailleur dans le cas où elle est, en réalité, la conséquence des manquements de l’employeur, ne peut être justifiée pour les besoins de la poursuite de l’activité de l’entreprise, du maintien de l’emploi et de l’apurement du passif, lesdits besoins ne pouvant occulter la finalité sociale de la directive 2008/94.

Elle a également précisé que cette finalité sociale consiste à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum de protection au niveau de l’Union en cas d’insolvabilité de l’employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail.

Il en résulte qu’il y a lieu de juger désormais que l’assurance mentionnée à l’article L. 3253-6 du Code du travail couvre les créances impayées résultant de la rupture d’un contrat de travail, lorsque le salarié a pris acte de la rupture de celui-ci en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et intervenant pendant l’une des périodes visées à l’article L. 3253-8, 2°, du même code.

Ayant retenu que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, intervenue le 27 mars 2017, pendant la période d’observation ouverte par un jugement de redressement judiciaire du 14 mars 2017, était justifiée et s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, c’est à bon droit que la cour d’appel ordonne au liquidateur judiciaire d’inscrire sur le relevé des créances salariales de l’employeur des sommes à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour travail dissimulé et dit que sa décision est opposable à l’AGS CGEA.

Sources :
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