Dons manuels et révélation

Publié le 16/11/2020

Un nouvel arrêt sur la notion de révélation en matière de dons manuels marque une inflexion de la Cour de cassation. Une réponse à une demande de l’administration fiscale peut constituer la révélation d’un don manuel. Cette solution favorable à l’administration fiscale doit inciter les contribuables à la prudence lors de leurs échanges avec cette dernière.

La Cour de cassation vient d’apporter des précisions à la notion de révélation d’un don manuel (Cass. com., 4 mars 2020, n° 18-11120). Pour la Cour de cassation, la révélation du don manuel peut être la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration fiscale. Cet arrêt marque une évolution de sa doctrine sur un sujet qui a déjà donné lieu à des revirements de jurisprudence. Le don manuel consiste à remettre, de la main à la main, différents types de biens. Il concerne les biens suivants : objets (bijoux, voiture, tableau, etc.), somme d’argent (espèces, chèque, virement), valeurs mobilières (action ou obligation, par exemple). Il n’est pas obligatoire de porter un don manuel à la connaissance de l’administration fiscale. Tant qu’il ne lui est pas révélé, aucun droit n’est à payer. En effet, conformément aux alinéas 1 et 2 de l’article 757 du Code général des impôts (CGI), pour être imposable, le don manuel doit être révélé à l’administration fiscale par le bénéficiaire de la mutation. La révélation d’un don manuel à l’administration fiscale permet de le dater officiellement et ainsi de faire courir le délai au terme duquel l’abattement se reconstitue.

Notion de révélation

La définition usuelle du verbe « révéler » est la suivante : « faire connaître à quelqu’un quelque chose qui était ignoré, inconnu, caché ou secret (synonyme ; dévoiler) ». Il admet deux sens. Avec le premier sens, le sujet du verbe révéler désigne une personne : « révéler un fait, révéler un complot, une identité, etc. … ». Avec la deuxième acception, le sujet du verbe révéler désigne une chose : « les documents, les circonstances révèlent que… ». Dans le premier cas, la révélation est le fait d’une initiative active, dans le deuxième cas, elle se fait de façon passive. C’est en réalité tout l’enjeu de l’interprétation qui doit être faite de la notion de révélation à l’administration fiscale. Celle-ci doit-elle être spontanée ou peut-elle être subie, notamment dans le cadre d’une procédure de contrôle fiscal ? Pour l’administration fiscale, cette révélation peut être contrainte et résulter d’une réponse à son questionnement. Sa doctrine (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10) prévoit qu’ « en vertu des alinéas 1 et 2 de l’article 757 du Code général des impôts, pour être imposable, le don manuel doit être révélé à l’administration fiscale par le bénéficiaire de la mutation : soit spontanément ; soit en réponse à une demande de l’administration ; soit au cours d’une procédure de contrôle ou d’une procédure contentieuse ». La Cour de cassation a dans un premier temps validé cette position, au motif que la révélation n’exige pas un aveu spontané. Dans ces circonstances, elle a considéré que l’examen des écritures comptables d’une association par un vérificateur permet de révéler les dons manuels inscrits dans cette comptabilité (Cass. com., 5 oct. 2004, n° 03-15709). Elle a également admis la révélation de dons manuels dans le cadre lors de la présentation de ses comptes bancaires par un contribuable faisant l’objet d’un examen de situation fiscale personnelle (Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-23230 F-D). La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné cette interprétation en juin 2011 dans le cadre de l’affaire des Témoins de Jéhovah, au motif que la taxation des dons découverts lors d’un contrôle fiscal constituait une violation de la convention des droits de l’Homme pour imprévisibilité de la loi fiscale (CEDH, 30 juin 2011, n° 8916/05).

Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

En janvier 2013, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence antérieure en matière de révélation de don manuel pour préciser que les dons découverts au cours d’un contrôle fiscal ne peuvent être considérés comme révélés. Dans cette affaire, l’administration fiscale après avoir vainement mise en demeure l’Arche de Marie, une association religieuse, de déclarer les dons manuels qu’elle avait pu recevoir, a engagé une procédure de taxation d’office. La société n’a manifesté à aucun moment sa volonté de déclarer ces sources de financement, puisqu’elle a renvoyé l’imprimé numéro 2735 avec la mention « néant ». L’article L. 74 du Livre des procédures fiscales (LPF) dispose que « les bases d’imposition sont évaluées d’office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers en cas de défaut ou de retard dans le dépôt des déclarations ». Conformément à l’article L. 66 4° du LPF, l’administration a la possibilité de taxer d’office aux droits d’enregistrement et aux taxes assimilées les personnes qui n’ont pas déposé une déclaration ou qui n’ont pas présenté un acte à la formalité de l’enregistrement dans le délai légal, soit un délai de 30 jours à compter de la mise en demeure envoyée. L’administration fiscale a donc notifié à l’Arche de Marie un redressement au titre des droits afférents à ces dons pour les années 1999 et 2000  suivi d’un un avis de mise en recouvrement. L’Arche de Marie n’a donc rien révélé volontairement et c’est à son corps défendant que sa comptabilité, examinée par les contrôleurs, a révélé les dons manuels enregistrés. Pour Bercy, la révélation n’exigeant pas l’aveu spontané du don de la part du donataire, il lui était loisible d’imposer les dons manuels mis en évidence par la vérification de comptabilité. Or au regard des termes parfaitement clairs de l’alinéa 2 de l’article 757 du Code général des impôts, la révélation doit être le fait « du donataire », et donc, du contribuable lui-même, précise la Cour de cassation.

En avril de la même année (Cass. com., 16 avr. 2013, n° 12-17414), la Cour de cassation a réaffirmé cette solution à propos d’un particulier ayant reçu plusieurs dons manuels entre 2004 et 2006. Après l’avoir mis vainement en demeure de les déclarer, l’administration fiscale a notifié un redressement, puis un avis de mise en recouvrement. La réclamation du contribuable ayant été rejetée, il a saisi le juge judiciaire afin d’obtenir la décharge des droits et pénalités réclamés. La cour d’appel de Colmar a été convaincue par les conclusions de l’administration et a débouté le contribuable estimant que la vérification de la comptabilité « a fait apparaître les dons manuels litigieux ». Pour la cour d’appel de Colmar la mise à disposition de  comptabilité par le contribuable lors d’un contrôle fiscal, est assimilable à une révélation, au sens de l’alinéa 2 de l’article 757 du Code général des impôts, « dès lors que celui-ci n’exige pas l’aveu spontané du don de la part du donataire », précise le juge d’appel. La Cour de cassation censure la décision des juges du fond au motif que « la découverte d’un don manuel à l’occasion d’une procédure de vérification de comptabilité ne saurait constituer la révélation volontaire de celui-ci à l’administration ».

Une solution confirmée en 2016

L’administration fiscale a intégré à sa doctrine ces deux arrêts rendus par la Cour de cassation, mais a pris soin d’y intégrer également un arrêt du TGI de Limoge qui lui était favorable (TGI Limoges, 21 nov. 2013, n° 12-00665). Pour ce tribunal, « ce serait ajouter à l’article 757 du Code général des impôts que d’exiger que la déclaration par le contribuable soit  » spontanée  » au sens d’être faite à la seule initiative de celui-ci » et donc qu’une réponse à une interrogation de l’administration fiscale sur la nature de produits exceptionnels apparaissant dans sa comptabilité ne puisse contenir une révélation à l’administration fiscale de dons manuels. Pour Bercy, la réponse à une demande de l’administration constitue bien une révélation au sens de l’article 757 du Code général des impôts, quel que soit le fondement de la demande de l’administration. En 2016, la Cour de cassation s’est prononcée sur cette affaire, à l’origine une vérification de comptabilité diligentée à l’encontre de l’association Shambhala, dont l’objet principal consiste à promouvoir et pratiquer les enseignements et les arts tibétains. La Cour de cassation confirme que, comme l’avait jugé à bon droit le juge d’appel, les associations sont soumises à l’obligation de déclaration des dons manuels révélés à l’administration fiscale et se trouvent assujetties à l’imposition de ces dons, sauf lorsqu’elles relèvent de la catégorie des organismes d’intérêt général visés à l’article 200 du Code général des impôts. Les juges du fond ont constaté que la vérification de comptabilité de l’association avait permis à l’administration fiscale d’établir que celle-ci avait perçu d’importantes sommes qui avaient été comptabilisées comme produits exceptionnels et relevé que c’est par la réponse spontanée de l’association à l’interrogation de l’administration quant à la nature de ces sommes que l’existence des dons manuels a pu être découverte. Or la découverte d’un don manuel lors d’une vérification de comptabilité, résulterait-elle de la réponse apportée par le contribuable à une question de l’administration formée à cette occasion, ne peut constituer une révélation par le donataire au sens de l’article 757 du Code général des impôts, conclut la Cour de cassation. Seule une démarche volontaire du donataire peut constituer une révélation au sens de l’article 757 du Code général des impôts. En pratique, dans le cadre d’un contrôle fiscal, la révélation du don manuel ne pourra résulter ni de la présentation obligatoire de documents, ni de la réponse adressée à une question du vérificateur.

Une nouvelle rédaction de l’article 635 A du CGI

Cependant, entre-temps, dans le cadre du vote de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificatives pour 2011, le législateur a complété l’article 635 A du CGI fixant le délai de déclaration ou d’enregistrement incombant au donataire ayant révélé le don par deux alinéas. Un de ces alinéas renvoie expressément à la « révélation qui est la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration ou à une procédure de contrôle fiscal ». Dans le nouvel arrêt rendu par la Cour de cassation, un couple de contribuables a fait l’objet d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les revenus des années 2008, 2009 et 2010. Dans un entretien avec le vérificateur et par courrier, ils ont justifié des flux financiers intervenus entre 2008 et 2010 sur leur compte bancaire par la vente de dessins d’artistes. Ces dessins leur ont été offerts entre 2000 et 2004 par une de leurs voisines. Par un courrier daté du 12 décembre 2011, consécutif à ce premier entretien avec le vérificateur, Mme Y. a relaté au service de contrôle les conditions dans lesquelles lui avaient été remis ces œuvres. Le 10 mai 2012, pour répondre à une demande de l’administration fiscale, ils ont déposé une déclaration de dons manuels. L’administration fiscale leur a adressé une proposition de rectification en matière de droit d’enregistrement, qu’ils ont contestée. Après mise en recouvrement des droits correspondants et rejet des contestations du couple, Mme Y. a saisi le tribunal de grande instance aux fins d’annulation de l’avis de mise en recouvrement et de décharge de la totalité des droits d’enregistrement. La requérante avançait que la découverte d’un don manuel lors d’un examen contradictoire de situation fiscale personnelle, résulterait-elle de la réponse apportée par le contribuable à une question de l’administration formée à cette occasion, ne peut constituer une révélation par le donataire au sens de l’article 757 du Code général des impôts. Pour la Cour de cassation, en retenant que la lettre de Mme Y. et son époux du 12 décembre 2011, qui révélait l’existence de dons manuels à l’administration fiscale, était une réponse à une demande formulée par celle-ci à l’occasion d’une vérification de la situation personnelle du couple, la cour d’appel en a exactement déduit que la réponse des contribuables valait révélation au sens des articles 635 A et 757 du CGI. En effet, l’article 635 A du Code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011, applicable à l’espèce, dispose que la déclaration des dons manuels supérieurs à 15 000 euros visés à l’article 757 du Code général des impôts doit être réalisée dans le délai d’un mois qui suit la date à laquelle ce don a été révélé lorsque cette révélation est la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration ou d’une procédure de contrôle fiscal. Et l’administration fiscale peut notifier des rappels de droits d’enregistrement en se fondant sur des renseignements recueillis au cours d’un examen contradictoire d’une situation fiscale personnelle, y compris dans le cas où la date du fait générateur ne concerne pas la période vérifiée. La circonstance qu’au cours de l’examen de la situation fiscale personnelle de Mme Y. et de son époux l’administration fiscale a recueilli des éléments pouvant justifier des redressements en matière de droits d’enregistrement ne caractérise pas un détournement de procédure, précise encore le juge de cassation.

Une solution à sécuriser ?

Pour la Cour de cassation la portée des dispositions de l’article 635 A du CGI, dans sa version issue de la loi du 29 juillet 2011, n’est donc pas limitée au sujet de la fixation de délais de déclaration des dons manuels révélés dont le montant est supérieur à 15 000 €. Ces dispositions permettent l’imposition des dons manuels visés à l’article 757 du même code lorsque leur révélation est la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration fiscale. Il serait cependant utile de connaître la position de la CEDH sur cette solution au regard de la portée générale qui est conférée à cet arrêt. En outre, il convient de préciser que cet arrêt a été rendu dans un contexte quelque peu particulier puisque l’administration fiscale a concomitamment exercé son droit de communication auprès de l’autorité judiciaire conformément aux dispositions des articles L. 81 et L. 82 C du Livre des procédures fiscales dans le cadre d’une procédure pénale. L’exercice de ce droit de communication a permis à l’administration fiscale de se se fonder sur plusieurs attestations de la donataire des œuvres, manifestant son intention libérale envers les époux V, afin de s’assurer de la qualification de don manuel à porter. Il ne s’agissait donc ni de dons rémunératoires ni de dons d’usage non imposables.

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