Drancy : ancien camp de déportation, la Cité de la Muette, bientôt réhabilitée

Publié le 16/12/2024
Drancy : ancien camp de déportation, la Cité de la Muette, bientôt réhabilitée
Bundesarchiv, Bild 183-B10919 / Wisch via Wikimedia Commons

La mission du patrimoine a choisi de réhabiliter la cité de la Muette, en Seine-Saint-Denis (93), haut lieu de mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Ses 368 logements vont bénéficier d’un ambitieux programme de rénovation, financé en partie par le Loto du patrimoine.

Le 2 septembre 2024, la Fondation du Patrimoine a dévoilé les 100 monuments que le Loto du Patrimoine aidera financièrement pour sa septième année. En Seine-Saint-Denis, l’édition 2024 du Loto du patrimoine va permettre de rénover la cité de la Muette de Drancy, tristement célèbre pour avoir servi de camp de déportation durant la Seconde Guerre mondiale. Au programme de la réhabilitation : la restauration des façades et des logements de ce premier ensemble HLM de France.

Le premier grand ensemble de France

Commandée par l’Office public de l’habitat en 1929 aux architectes Eugène Beaudoin (1898-1983) et Marcel Lods (1891-1978), dans le but d’offrir aux classes populaires de banlieue des logements à des prix bon marché et équipés du confort moderne, la cité de la Muette de Drancy a été construite entre 1931 et 1937. Ce vaste projet novateur de 11 cités-jardins s’inscrivait dans une politique d’aménagement urbain de la banlieue parisienne et d’industrialisation du bâtiment avec des matériaux standardisés et préfabriqués assemblés sur place. Dans ce premier grand ensemble de logement social de France, le projet initial comptait 1 250 logements répartis dans 5 tours de 14 étages, auxquelles sont rattachés deux par deux des immeubles allongés de deux et trois étages. Cet ensemble est appelé « le peigne », tandis que le bâtiment en fer à cheval situé au Nord-Ouest, conçu comme un lieu d’échanges, est baptisé « cour d’entrée ».

La violente récession économique interrompt le chantier. À sa livraison partielle en 1938, le succès attendu n’est pas au rendez-vous. Les familles sont découragées par le niveau des loyers, l’enclavement et les malfaçons. Finalement, c’est le ministère de la Guerre qui loue les tours et le « peigne » pour y loger la Garde républicaine mobile.

Une page sombre de l’histoire

La guerre a changé le destin de la Cité de la Muette. Au cours de l’été 1940, l’ensemble est réquisitionné par la Wehrmacht pour servir de camp de détention provisoire aux prisonniers de guerre français et anglais. Construit sur 4 étages autour d’une cour de 200 mètres de long sur 40 mètres de large, le « fer à cheval » se prête à la transformation en camp d’internement avec deux rangées de barbelés, un chemin de ronde et des miradors. Le 2 août 1941, 4 230 hommes sont arrêtés à Paris et rassemblés à Drancy. De décembre 1941 à mars 1942, en représailles aux actions de la Résistance des otages y sont extraits pour être fusillés au Mont-Valérien ou déportés. C’est à partir de l’été 1942 que la Cité de la Muette devient la plaque tournante de la déportation des juifs de France vers les camps d’extermination. Pendant trois ans, près de 63 000 juifs (sur les 76 000 juifs déportés depuis la France) sont déportés de la gare du Bourget-Drancy puis de la gare de Bobigny, principalement à destination d’Auschwitz-Birkenau mais aussi de Sobibor, Majdanek, Kaunas et Tallinn. 1 518 d’entre eux seulement sont revenus 256 furent fusillés comme otages. Le dernier convoi part de Drancy le 17 août 1944. Le camp est alors confié à la Résistance. Les derniers internés sont libérés le 20 août 1944. À partir de 1944, le lieu sert de camp d’internement pour les personnes suspectées de collaboration avec l’Allemagne nazie. Après la guerre, en 1948, débarrassée de ses miradors et de ses barbelés, la Muette doit redevenir un lieu de vie pour les familles moyennant une vaste rénovation des 368 logements.

Témoin de son funèbre rôle dans la Shoah : l’entrée de la cité accueille le Mémorial national du Camp de Drancy, composé d’un monument commémoratif des martyrs juifs et d’un wagon-témoin. Ce wagon du souvenir est protégé au titre des Monuments historiques depuis mars 1990 comme bien mobilier de propriété communale. En 2005, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah lance le projet de créer un centre de mémoire et d’histoire et confie sa réalisation au Mémorial de la Shoah de Paris. La Ville de Drancy cède le terrain à titre gracieux. Les travaux commencent en 2008. Le 23 septembre 2012, le Mémorial de la Shoah de Drancy est inauguré.

La participation de la Fondation du patrimoine

Aujourd’hui, la Cité est délabrée au point d’être dans un état de péril alarmant. De plus, sa conception d’origine ne répond plus aux besoins des ménages. Or les projets de rénovation lancés en 2019 s’avèrent insuffisants. Le nouveau projet vise à restaurer l’ensemble dans le plus grand respect de son apparence initiale, avec chaque modification soumise à l’approbation des Architectes des Bâtiments de France. Le bâtiment est en effet classé monument historique depuis 2001, avec ses façades ornées des huisseries conçues par Jean Prouvé, et aussi en raison d’éléments extraordinaires comme des contre-cloisons couvertes de graffitis réalisés par des déportés, ou encore le tunnel – inachevé – creusé par les prisonniers sous la cité.

Les travaux devraient débuter fin 2024 et s’étaler sur 4 ans. Son coût – 27,7 millions d’euros – est pris en charge par la DRAC, le plan France Relance et la Région Île-de-France. La Fondation du patrimoine apportera entre 250 000 et 400 000 euros. Cette Fondation reconnue d’utilité publique, créée par la loi n° 96-590 du 2 juillet 1996 (articles L. 143-1 et suivants du Code du patrimoine), a créé un fonds destiné à soutenir la restauration, la réhabilitation et la reconversion du patrimoine protégé et non protégé au titre des monuments historiques, ainsi que des monuments confiés au Centre des monuments nationaux. Le fonds est alimenté par la contribution des Jeux patrimoine, par des mécénats, des parrainages, des dons ou subventions de personnes publiques ou privées.

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