Inapplicabilité d’une clause exclusive de garantie des vices cachés à une servitude occulte : les rappels de la Cour de cassation

Publié le 13/06/2025
Inapplicabilité d’une clause exclusive de garantie des vices cachés à une servitude occulte : les rappels de la Cour de cassation
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Dans son arrêt du 13 février 2025, la troisième chambre civile de la Cour de cassation refuse d’appliquer à une servitude non apparente non déclarée une clause exclusive de garantie, stipulée au titre de l’état du bien, selon laquelle l’acquéreur n’aura aucun recours contre les vendeurs « pour quelque cause que ce soit, notamment en raison des vices apparents ou des vices cachés ». L’arrêt rappelle l’attachement de la Cour de cassation à la distinction du vice caché et de la servitude occulte et invite les praticiens à accorder un soin particulier à la rédaction des clauses exclusives de garantie.

Si certains tendaient à penser que « l’article 1638 du Code civil paraît ne plus guère avoir sa place dans le corpus du code »1, la jurisprudence témoigne du contraire. Après avoir précisé pour l’application de ce texte que la condition de l’importance de l’éviction ne s’appliquait qu’à la demande de résiliation et non à celle d’indemnisation2, la troisième chambre civile rappelle ici que seule une clause visant expressément la servitude occulte permet d’exclure la garantie prévue par ce texte.

En l’espèce, une maison d’habitation a été vendue à des acquéreurs le 27 avril 2015. Ces derniers ont revendu l’immeuble par acte authentique du 4 juillet 2017. Après avoir découvert sous l’habitation la présence d’un réseau d’évacuation des eaux usées non signalé dans l’acte de vente, la deuxième acquéreure a assigné ses vendeurs en résolution de la vente et paiement de dommages et intérêts au titre de la garantie des charges non déclarées. Les vendeurs ont assigné leur propre vendeuse en garantie.

La cour d’appel a rejeté la demande de l’acquéreure. Elle retient une exclusion conventionnelle de garantie, qu’elle considère comme applicable à la servitude découverte, du fait que l’acte du 4 juillet 2017 stipulait, au titre de l’état du bien, que « l’acquéreur prendra le bien dans l’état où il se trouve à ce jour, tel qu’il l’a vu et visité, le vendeur s’interdisant formellement d’y apporter des modifications matérielles ou juridiques. Il déclare que la désignation du bien figurant aux présentes correspond à ce qu’il a pu constater lors de ses visites. Il n’aura aucun recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit, notamment en raison : des vices apparents, des vices cachés ». Pour l’acquéreure, la clause, en visant l’état du bien, était inapplicable aux droits que les tiers pouvaient avoir ou revendiquer sur le bien cédé : elle était donc inefficace pour exclure la garantie d’une servitude non apparente et la cour d’appel, en jugeant le contraire, avait violé l’article 1638 du Code civil.

La Cour de cassation était donc ici confrontée à la question de savoir si une clause exclusive de garantie par laquelle l’acquéreur déclare prendre le bien « dans l’état où il se trouve » au jour de la vente et n’avoir « aucun recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit, notamment en raison : des vices apparents, des vices cachés », peut s’appliquer à une servitude non apparente grevant le bien vendu.

Elle répond par la négative et casse et annule l’arrêt de la cour d’appel. Elle rappelle dans un premier temps le contenu de la règle énoncée par l’article 1638 du Code civil, posant les conditions et les effets de la garantie des servitudes non déclarées et non apparentes, qu’elle présente comme une déclinaison « du principe général posé par l’article 1626 du même code », c’est-à-dire de la garantie d’éviction. Elle rappelle ensuite la possibilité donnée aux parties par l’article 1627 du Code civil de prévoir des clauses diminuant ou excluant la garantie. Mais elle précise ensuite que la garantie des servitudes non apparentes non déclarées lors de la vente ne peut être exclue que par une « clause expresse ». Et elle retient que la clause litigieuse contenue dans l’acte de vente du 4 juillet 2017, « propre à l’état du bien » ne remplissait pas cette exigence.

La Cour de cassation se livre ainsi dans cet arrêt à des rappels classiques (I) qu’elle vient appliquer à la situation d’espèce (II).

I – Des rappels classiques

Le premier enseignement de l’arrêt réside dans la lecture – que la Cour de cassation confirme ici après l’avoir exprimée dans un arrêt, qu’elle cite, du 6 juillet 20233 – de l’article 1638 du Code civil comme étant une application de l’article 1626 du même code. Alors en effet que le dernier prévoit à la charge du vendeur une obligation de garantie de l’éviction que l’acquéreur pourrait souffrir « dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente », l’article 1638 indique quant à lui les sanctions disponibles en présence de « servitudes non apparentes ». C’est dire implicitement mais nécessairement que les servitudes ne sont jamais qu’un genre particulier de charges. La servitude est précisément définie par l’article 637 du Code civil comme « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire », la charge pouvant elle-même se définir généralement comme la revendication par un autre que le propriétaire du bien d’un droit sur ce bien, ou en rapport avec ce dernier, qui, sans porter atteinte à la propriété, vient en diminuer la jouissance, qu’il s’agisse d’un droit réel, d’un droit personnel, tel qu’un bail consenti préalablement à la vente, ou bien encore d’une obligation propter rem. C’est dire également que la garantie des charges est une forme particulière de garantie d’éviction. Une telle lecture se justifie à la fois au regard de la lettre du Code civil et au regard de la théorie du droit. Les codificateurs ont en effet fait le choix de faire relever la garantie des charges occultes, et donc des servitudes occultes de la garantie d’éviction, ainsi qu’en témoigne le plan du Code civil : l’article 1638 se situe bien dans un paragraphe relatif à la garantie d’éviction. Ce choix peut par ailleurs bien évidemment se justifier théoriquement dès lors que l’éviction comme l’existence d’une charge occulte portent toutes deux sur le droit de propriété : si la première met en péril son existence même, la seconde porte atteinte à sa jouissance. Cet objet commun permet également de distinguer l’éviction et ses déclinaisons des autres formes de désordre dont l’acquéreur peut demander réparation. Cette lecture ayant a priori les allures de l’évidence, on peut s’étonner qu’elle doive être rappelée, et ce, pour la deuxième fois, par la Cour de cassation. Deux raisons à cela : d’abord l’évidence, bien qu’incarnée dans le Code civil, n’est toujours que relative, et est à ce titre contestée par certains (v. II). Ensuite, au-delà de son intérêt pédagogique, la précision sur l’articulation des articles 1626 et 1638 permet surtout d’inscrire la solution dégagée par l’arrêt quant aux servitudes non apparentes au sein du régime général applicable aux charges objet de la garantie d’éviction. Il s’agit alors à la fois de justifier cette solution par son appartenance à ce corps de règles et, symétriquement, de lui donner vocation à s’appliquer à l’ensemble des « charges » et, plus globalement, à l’ensemble des causes d’éviction. C’est ainsi que la Cour de cassation peut appliquer ici aux servitudes l’article 1627 du Code civil, qui donne la possibilité aux parties de prévoir des clauses augmentant, diminuant ou supprimant la garantie d’éviction. La solution n’a rien de nouveau4. De même, la Cour de cassation peut ici appliquer aux servitudes – et là aussi de façon classique5 – l’exigence jurisprudentielle du caractère exprès des clauses restrictives de garantie6, cette exigence s’étendant du reste à l’ensemble des clauses restrictives de responsabilité7, dès lors qu’elles sont soumises, en tant que clauses dérogatoires, à une interprétation stricte.

Une fois ces rappels classiques opérés, la question était donc de savoir si la clause aux termes de laquelle l’acquéreur « n’aura aucun recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit, notamment en raison : des vices apparents, des vices cachés » satisfaisait à cette exigence de caractère exprès pour exclure la garantie du vendeur en présence d’une servitude non apparente. Il était d’abord évident que la première partie de la clause visant « quelque clause que ce soit » – qui du reste pourrait être qualifiée de « clause de style » ne reflétant pas réellement la volonté des parties, ce qui suffirait déjà à la priver d’effet – ne pouvait, du fait de sa généralité, recevoir aucun effet. Restait à s’interroger sur la possibilité de voir dans l’exclusion des « vices cachés » celle des servitudes occultes. Au regard de l’exigence du caractère exprès de l’exclusion et du droit positif, la réponse par la négative était assez évidente. La publication de l’arrêt au Bulletin témoigne cependant de l’attachement de la Cour de cassation à une solution qui n’est pas sans susciter doutes et critiques.

II – Des conclusions orthodoxes pour l’espèce

Pour la Cour de cassation, la clause, « propre à l’état du bien, n’excluait pas expressément la garantie des servitudes non apparentes non déclarées ». C’était dire explicitement que la servitude ne relève pas de l’état du bien, et implicitement – de ce fait même, mais aussi parce que la clause ne visait expressément que les « vices apparents » et les « vices cachés » – qu’elle ne constitue pas un vice, en l’occurrence caché. Que la servitude ne puisse être analysée en un vice avait déjà été formellement affirmé dans un arrêt du 27 février 20138. Jusque-là, la jurisprudence avait pu sanctionner l’existence d’une servitude cachée par la garantie des vices cachés9 et qualifier la servitude de vice caché10. Il est vrai que toute atteinte au bien peut être considérée comme un vice lato sensu, entendu comme un défaut de la chose. Plusieurs éléments militent prima facie en ce sens. Originellement, la garantie des charges réelles était considérée comme une forme de garantie des vices11. Certains droits étrangers, tels que le droit allemand, ont adopté cette conception12. Des auteurs ont encore mis en évidence les similarités dans le régime des deux garanties : nécessité du caractère occulte du défaut, impossibilité pour l’acquéreur de se prévaloir de la garantie lorsqu’il a eu connaissance de la servitude ou du vice, choix offert à l’acquéreur entre la remise en cause de la vente et l’attribution d’une somme d’argent, et finalement un « résultat de l’action » qui « permet dans tous les cas d’obtenir réparation du préjudice souffert »13. Encore que la pertinence de ce dernier point mérite discussion dès lors qu’il conduirait à rassembler sous une même action bon nombre des remèdes offerts aux contractants en présence d’une inexécution contractuelle.

Cependant, dès lors que les codificateurs en droit français ont fait le choix de rattacher la garantie des charges réelles à la garantie d’éviction, la distinction du vice caché et de la servitude occulte devait s’imposer. Les faits de l’espèce mettent également en évidence l’un des enjeux attachés à la distinction. Outre les différences subsistantes dans le régime des deux actions (notamment le délai et le mode de calcul de l’indemnité pouvant être mise à la charge du vendeur si l’acquéreur choisit de conserver le bien et qui, en cas d’éviction, est égale à la valeur de la partie dont l’acquéreur est évincé, et est, en cas de vice caché, égale à une partie du prix), l’exigence d’une clause expresse d’exclusion de garantie impose de clairement faire la différence entre les deux désordres. Théoriquement, la différence est assez facile à établir. Ainsi que l’a précisé la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2013, « la charge non déclarée réduit la jouissance de la chose puisqu’un tiers a sur celle-ci un droit que l’acquéreur ignorait », tandis que le vice caché « consiste en un défaut de la chose qui en affecte l’usage normal ». Toutefois, la distinction peut se faire plus évanescente dans les faits. Au regard de l’effet concret pour l’acquéreur, il peut être difficile de distinguer entre une atteinte à la jouissance et une atteinte à l’usage normal de la chose : dans les deux cas, il ne peut pas tirer profit de la chose comme il pouvait l’entendre selon les termes du contrat. Il semble cependant qu’il faille distinguer à cet égard deux hypothèses. La première est celle dans laquelle la servitude se traduit également dans les faits par une restriction de la jouissance du bien. Tel était le cas pour l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 201314, où la canalisation enterrée, résultat de la servitude, entraînait une inconstructibilité du terrain. L’inconstructibilité ayant pu être sanctionnée en tant que vice caché15 ou défaut de conformité16, l’intérêt et la réalité de la distinction avec le vice caché pouvait davantage prêter à discussion. La deuxième hypothèse dans laquelle la distinction se fait plus nette est celle dans laquelle la servitude, tout en constituant une restriction au droit de propriété, ne se traduit pas dans les faits par une restriction dans la jouissance du bien. Tel semble être le cas en l’espèce où il n’est pas fait mention de l’impact de l’existence du réseau d’évacuation des eaux usées sur l’utilisation des lieux par les acquéreurs. Seule une restriction abstraite dans la jouissance des lieux peut alors être caractérisée et, l’utilisation matérielle des lieux n’étant pas atteinte, l’exclusion du vice caché est plus évidente.

En l’espèce, la solution se justifiait donc non seulement d’un point de vue théorique et logique, comme découlant de la combinaison de l’exigence du caractère exprès de l’exclusion de garantie et de la distinction en droit positif du vice caché et de la servitude occulte, mais également d’un point de vue pratique dans la mesure où la servitude occulte n’ayant pas d’impact sur l’utilisation matérielle du bien, elle se distinguait bien du vice caché. La solution apparaît par ailleurs particulièrement protectrice des intérêts de l’acquéreur et, en ce sens, en accord avec l’esprit des règles prétoriennes régissant l’exclusion de garantie. Elle doit attirer l’attention des praticiens sur le soin à apporter à la rédaction des clauses d’exclusion de garantie : non seulement une clause rédigée de manière générale serait dépourvue d’effet, mais il faut encore qu’elle décrive précisément et distinctement les différents désordres visés.

Notes de bas de pages

  • 1.
    W. Dross, « Droit des biens et des obligations : une servitude est-elle un vice caché ? », RTD civ. 2013, p. 410.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 6 juill. 2023, n° 22-13.179 : JCP N 2023, 1006, chron. S. Piédelièvre ; Constr.-Urb. 2023, comm. 115, note C. Sizaire.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 6 juill. 2023, n° 22-13.179.
  • 4.
    V. la jurisprudence citée par J. Lafond et V. Zalewski-Sicard, in JCl. Notarial Formulaire, fasc. 500, v° Vente d’immeuble, spéc. n° 99, Vente d’immeuble. – Charges et conditions. – Protection de l’acquéreur.
  • 5.
    V., par ex., Cass. 3e civ., 23 nov. 2005, n° 04-19.533.
  • 6.
    Pour une première affirmation de l’exigence, v. Cass. req., 11 févr. 1852 : DP 1852, I, p. 100, note.
  • 7.
    En ce sens, v. RTD. civ. 1983, p. 147, chron. P. Rémy.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 27 févr. 2013, n° 11-28.783 : Bull. civ. III, n° 32 ; D. 2013, p. 973, note S. Le Gac-Pech ; LPA 17 mai 2013, p. 10, note Y. Dagorne-Labbe ; JCP N 2013, 1151, note E. Meiller ; JCP G 2013, 740, note H. Périnet-Marquet ; JCP G 2013, act. 498, note J.-J. Barbiéri ; Constr.-Urb. 2013, comm. 25, note D. Sizaire.
  • 9.
    V., par ex., Cass. 1re civ. 10 déc. 1962 : Bull. civ. I, n° 533.
  • 10.
    V., par ex., Cass. com., 18 déc. 1990, n° 88-16.680 – Cass. 1re civ., 5 juill. 1989, n° 88-12.053.
  • 11.
    V., en ce sens, F. Zénati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Vente. Échange, 2016, PUF, p. 183, spéc. n° 72.
  • 12.
    V., en ce sens., F. Zénati Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Vente. Échange, 2016, PUF, p. 162, spéc. n° 62.
  • 13.
    S. Le Gac-Pech », note ss Cass. 3e civ., 27 févr. 2013, n° 11-28.783, D. 2013, p. 973.
  • 14.
    Cass. 3e civ., 27 févr. 2013, n° 11-28.783.
  • 15.
    V., par ex., Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, nos 20-15.354 et 20-16.156 : Resp. civ. et assur. 2021, comm. 215, note S. Hoquet-Berg ; JCP G 2021, doctr. 1310, note G. Virassamy ; JCP N 2022, 1168, note M. Mekki ; JCP N 2022, 1123, note S. Piédelièvre ; RDC mars 2022, n° RDC200m0, note L. Thibierge.
  • 16.
    V., par ex., Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 22-20.708.
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