Liste noire européenne : copie à revoir ?

Publié le 07/05/2021
zoom sur les étoiles du drapeau européen
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Les députés européens proposent de réformer le système de la liste des États et territoires non coopératifs. Le point sur les critères qui permettent d’établir cette liste noire communautaire.

Le Parlement européen appelle à une refonte de la liste noire européenne des paradis fiscaux, créée en 2017, et proposent de modifier les critères de sélection des États et territoires mentionnés dans cette liste.

La liste de la commission Moscovici

En 2015, une première liste comprenant 30 États et territoires assimilés à des paradis fiscaux, baptisée « liste Moscovici », a été publiée par la Commission européenne, dans le cadre d’un plan d’action visant à réformer en profondeur la fiscalité des entreprises au sein de l’Union européenne. Cette première liste paneuropéenne des juridictions fiscales non coopératives de pays tiers couvrait les cinq continents et correspondait à une synthèse partielle des listes établies par les États membres. La cartographie dressée par la Commission européenne devait être amendée au moins une fois par an pour refléter des changements initiés dans les listes nationales des États membres.

L’initiative de 2017

Dans la foulée du scandale des Panama Papers, les États membres ont décidé de durcir leur lutte contre l’évasion fiscale et ont choisi de se doter de critères communs pour définir ensemble une liste communautaire des États non coopératifs. En novembre 2016, le Conseil de l’Union européenne a chargé le groupe de travail dénommé « Code de conduite » (fiscalité des entreprises), d’effectuer les travaux préparatoires nécessaires à l’établissement de la liste. Ce groupe a passé en revue 92 pays et territoires, sélectionnés sur la base de plusieurs éléments :

– leurs liens économiques avec l’UE ;

– leur stabilité institutionnelle ;

– l’importance de leur secteur financier.

Le rapport d’évaluation a permis au Conseil d’adopter la première liste de l’Union européenne le 5 décembre 2017. Trois indicateurs ont été retenus : manque de transparence, présence de régimes fiscaux de faveur et absence ou taux très bas d’impôt sur les sociétés. Ce dernier critère ayant fait l’objet de vives critiques en interne, notamment de la part des Britanniques, il a été temporairement mis de côté le temps qu’un groupe d’experts évalue son impact. La Commission européenne a dressé une liste intermédiaire de 92 États ou territoires avec qui un dialogue doit être instauré avant de décider de les faire figurer ou non dans la liste noire européenne.

Finalement, la liste noire adoptée le 5 décembre 2017 comprenait 17 États ou territoires non-membres de l’Union européenne n’effectuant pas les diligences nécessaires pour lutter contre l’évasion fiscale : le Bahreïn, la Barbade, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, Grenade, Guam, les îles Marshall, Macao, la Mongolie, la Namibie, les Palaos, le Panama, les Samoa, les Samoa américaines, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago et la Tunisie. Ces pays ou territoires n’avaient pas pris d’engagements suffisants en réponse aux préoccupations de l’Union européenne.

Une deuxième liste a été publiée, contenant 47 États ou territoires qui ont pris des engagements suffisants, devant cependant faire l’objet d’un suivi. Afin de ne plus être inscrits sur la liste à l’avenir, les pays et territoires concernés devaient prendre des mesures effectives pour fin 2018 ou 2019 dans certains cas. Sur cette liste, dite grise, figuraient des États comme le Maroc et le Cap-Vert. Pour un certain nombre d’États devant faire l’objet d’un examen poussé de l’Union européenne, cet examen a été différé. Il s’agit notamment d’Anguilla, Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Dominique, les îles Vierges britanniques, les îles Vierges américaines et les îles Turques-et-Caïques.

Des mises à jour régulières

Le Conseil a adopté la première liste de l’Union européenne le 5 décembre 2017. Depuis lors, elle a été mise à jour à plusieurs reprises. Des révisions plus importantes ont eu lieu en mars 2019 et en février dernier. Elles coïncident avec l’expiration des délais de fin 2018 et fin 2019 fixés aux pays pour la mise en œuvre de leurs engagements initiaux. Depuis 2020, la liste est mise à jour deux fois par an et révisée dans le cadre d’un suivi dynamique des mesures mises en œuvre par les pays et territoires pour respecter leurs engagements. Il s’agit d’un processus continu, qui consiste notamment à établir des critères conformes aux normes fiscales internationales, évaluer les pays au regard de ces critères, engager un dialogue avec ceux qui ne s’y conforment pas, inscrire des pays sur la liste ou les en désinscrire dans la mesure où ils entreprennent ou non des réformes et enfin, suivre l’évolution de la situation afin de veiller à ce qu’ils ne reviennent pas sur de précédentes réformes. Le processus de suivi est mené sur la base d’un ensemble de lignes directrices en matière de procédure, arrêtées en février 2018.

Une marge de progression

« La liste noire européenne des paradis fiscaux, créée en 2017, a eu un impact positif mais son plein potentiel n’a pas été exploité, les territoires mentionnés dans la liste ne représentant en effet que moins de 2 % des pertes de recettes fiscales au niveau mondial », soulignent les députés européens dans la résolution du 21 janvier dernier. Pour le président de la sous-commission des affaires fiscales, Paul Tang, « en qualifiant la liste noire des paradis fiscaux de confuse et d’inefficace, le Parlement dit vrai. Même si la liste peut être un bon instrument, les États membres ont oublié quelque chose lors de son élaboration : les véritables paradis fiscaux. Les pays sur la liste représentent seulement 2 % de l’évasion fiscale des entreprises ! ».

Les récents changements apportés à la liste ont contribué à cette prise de conscience. « Et la vérité, c’est que la liste ne s’arrange pas, elle empire », a souligné Paul Tang. « Guernesey, les Bahamas et les îles Caïmans sont quelques-uns des paradis fiscaux les plus connus que les États membres ont retirés de la liste. En refusant de s’attaquer véritablement à l’évasion fiscale, les gouvernements nationaux laissent tomber leurs citoyens pour un coût de plus de 140 Md€. C’est inacceptable, surtout dans le contexte actuel ».

Une exigence de transparence

La liste adoptée par le Conseil, le 6 octobre dernier, comprend : les Samoa américaines, Anguilla, la Barbade, les Fidji, Guam, les Palaos, le Panama, Samoa, Trinité-et-Tobago, les îles Vierges américaines, le Vanuatu et les Seychelles.

Les députés se sont notamment alarmés du retrait de la liste des îles Caïmans, qui mènent une politique de taux d’imposition à 0 %. « Le Parlement condamne fermement le récent retrait de la liste des îles Caïmans et appelle à plus de transparence et à des critères plus stricts », a précisé Paul Tang. « Mais si nous nous concentrons sur les autres, nous devons aussi nous regarder dans le miroir. Et ce que nous y voyons n’est pas joli. Les pays de l’UE sont responsables de 36 % des paradis fiscaux. Avec cette résolution, le Parlement s’engage à enquêter et à examiner tous les États membres responsables d’évasion fiscale. Notre travail ne fait que commencer ». En effet, depuis 2017, aucun État membre de l’Union européenne n’a été inscrit sur les différentes listes, y compris des États ou territoires comme les Pays-Bas, l’Irlande, le Luxembourg ou encore Malte. Pour les députés des États membres de l’UE, ils devraient être contrôlés pour savoir s’ils présentent des caractéristiques propres à un paradis fiscal, et le cas échéant, devraient être considérés comme des paradis fiscaux. Les députés proposent également d’ajouter des critères afin de garantir que davantage de pays soient considérés comme des paradis fiscaux et d’empêcher que certains pays ne soient retirés de la liste trop rapidement.

La liste noire a été mise à jour le 22 février dernier et reste composée de 12 territoires : Anguilla, les Fidji, la Dominique, Guam, les Palaos, le Panama, les Seychelles, Samoa, le Vanuatu, Trinité-et-Tobago et les îles Vierges américaines. La Dominique a été ajoutée à cette occasion, tandis que la Barbade a été transférée sur la liste grise.

Quelles pistes de réforme ?

Pour pallier ces insuffisances, les députés proposent donc des modifications au système établissant la liste noire européenne des paradis fiscaux qui rendraient la procédure d’inscription ou de retrait d’un pays de la liste plus transparente, cohérente et impartiale.

Premier axe de réforme : élargir les critères permettant de juger si le régime fiscal d’un pays est juste ou non pour inclure plus de pratiques et pas seulement les taux d’imposition préférentiels. Tous les territoires appliquant un taux d’imposition des entreprises à 0 % ou n’appliquant aucune taxe sur les bénéfices des entreprises devraient automatiquement être ajoutés à la liste noire.

Les exigences à remplir pour un retrait de la liste noire devraient être durcies et ne devraient pas résulter de simples modifications symboliques du régime fiscal. Pour les députés, les îles Caïmans et les Bermudes ont par exemple été retirés de la liste après des « modifications minimes » et « des mesures d’application d’une grande faiblesse ». La résolution demande donc que les critères de contrôle soient plus stricts.

Deuxième axe de réforme : traiter et contrôler tous les pays tiers de façon équitable en utilisant les mêmes critères. Les députés appellent à la formalisation de la procédure d’établissement de la liste, d’ici fin 2021, via un instrument juridiquement contraignant. En effet, les députés mettent en doute la capacité et l’aptitude d’un organe informel tel que le groupe Code de conduite à mener la mission de mise à jour de la liste noire, avec efficacité et transparence.

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