Logements indivis : vers une sortie plus rapide de l’indivision ?

Publié le 16/05/2025
Logements indivis : vers une sortie plus rapide de l’indivision ?
Anastasia Yarchevska/AdobeStock

Le 6 mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale.

Lutter contre les logements vacants en réduisant la durée des indivisions successorales, tel est l’objectif de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale déposée le 21 janvier 20251 et adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 mars 20252. Partant du constat que de nombreux biens immobiliers sont vacants, voire en état d’abandon, en raison d’indivisions conflictuelles ou de successions vacantes, la proposition de loi envisage plusieurs mesures pour y remédier dans un contexte de crise du logement. Outre la création d’une base de données des biens en état d’abandon destinée à en faciliter l’identification et la gestion, elle assouplit considérablement les règles d’aliénation et de partage des biens indivis. Des modifications et créations de dispositions du Code civil bouleverseraient les règles du régime légal de l’indivision et du partage successoral afin de réduire le nombre de logements vacants3. Deux techniques sont envisagées pour en faciliter la vente ou la gestion, à l’initiative d’indivisaires ou de l’autorité administrative chargée des domaines : l’aménagement judiciaire immédiat de pouvoir et l’assouplissement progressif de règles de gestion et de partage des biens indivis.

I – Sortir de l’indivision par des aménagements judiciaires de pouvoir immédiats

Afin de favoriser la mise sur le marché de logements indivis vacants, des aménagements judiciaires de pouvoir sont proposés au profit de l’autorité administrative chargée des domaines ou d’un ou plusieurs indivisaires.

A – Création d’une autorisation judiciaire au profit de l’autorité administrative chargée des domaines

Un nouvel aménagement judiciaire de pouvoir résulterait de la création dans le Code civil de l’article 815-5-2. Il permettrait à l’autorité administrative chargée des domaines d’être autorisée par le tribunal judiciaire à aliéner un bien indivis par licitation dans les indivisions ayant duré au moins dix ans, comprenant un indivisaire décédé depuis au moins deux ans dont la succession a été déclarée vacante, lorsque l’identité ou l’adresse d’un ou plusieurs indivisaires n’est pas connue malgré les diligences entreprises. L’objectif est de pallier les manques d’informations relatives aux indivisaires et de remédier aux blocages de situations résultant de l’impossibilité de sommer un indivisaire de se prononcer là où son consentement est en principe requis. L’autorisation judiciaire supposerait toutefois que l’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts des indivisaires.

Cette proposition visant à mettre fin plus rapidement à l’indivision lorsqu’une succession est déclarée vacante augmente d’autant les pouvoirs de l’autorité administrative chargée des domaines, qui peut actuellement vendre les biens jusqu’à l’apurement du passif lorsqu’une succession est vacante mais ne peut céder les immeubles que si le produit prévisible de la vente des meubles apparaît insuffisant4. Son intervention suppose toujours qu’une succession soit vacante, ce qui implique que personne ne la réclame, en l’absence d’héritier connu ou acceptant ou remplissant les conditions requises pour succéder5. La déclaration de vacance est prononcée par le président du tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession à la demande de toute personne intéressée, du ministère public, d’un notaire ou de la personne qui administrait le patrimoine du défunt6. Le juge confie alors la curatelle de la succession à l’autorité administrative chargée des domaines, qui doit faire dresser un inventaire estimatif du passif et de l’actif de la succession, puis gérer les biens, éventuellement en procédant à leur vente, et régler le passif. Pendant les six mois qui suivent l’ouverture de la succession, le curateur ne peut procéder qu’aux actes purement conservatoires ou de surveillance, aux actes d’administration provisoire et à la vente des biens périssables. Passé ce délai, il peut procéder à l’ensemble des actes conservatoire et d’administration et peut vendre les biens jusqu’à l’apurement du passif. Cependant, il se heurte parfois à de longues indivisions bloquées par le défaut d’identification d’indivisaires. La proposition envisagée lui permettrait alors de vendre les immeubles indivis sur autorisation judiciaire.

En outre, la publicité de l’ordonnance lui octroyant la curatelle, actuellement par insertion d’un avis sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le ressort du tribunal judiciaire compétent, pourrait être assurée par voie numérique sur le site internet de l’administration chargée des domaines.

Si la succession n’était pas déclarée vacante, les indivisaires auraient aussi la possibilité d’agir plus facilement par une diminution de la majorité requise.

B – Abaissement du seuil de l’autorisation judiciaire au profit des indivisaires

Le seuil de majorité prévu à l’article 815-5-1 du Code civil serait abaissé pour permettre à un ou plusieurs indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis de demander au juge à être autorisé à aliéner un bien indivis, dès lors qu’il n’y a pas de démembrement sur le bien, ni d’indivisaire présumé absent ou hors d’état de manifester sa volonté par suite d’éloignement ou bénéficiant d’une mesure de protection judiciaire. L’objectif serait de faciliter l’aliénation des biens indivis par les indivisaires en diminuant la majorité requise pour sortir de l’indivision. Les modalités actuelles seraient maintenues, seule la majorité des deux tiers serait remplacée par celle de plus de la moitié des droits indivis. Ainsi, l’intention de procéder à l’aliénation doit être exprimée devant un notaire, qui la fait signifier aux autres indivisaires dans le délai d’un mois. Si l’un d’eux s’y oppose ou ne se manifeste pas dans le délai de trois mois à compter de la signification, le notaire le constate par procès-verbal. Le tribunal judiciaire peut alors autoriser l’aliénation si elle ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires. L’aliénation, effectuée par licitation, est opposable à tous les indivisaires, y compris à celui qui n’y a pas consenti dès lors que l’intention d’aliéner lui a été signifiée.

Notons qu’il existe également d’autres aménagements judiciaires permettant des extensions ou des restrictions de pouvoir en cas de crise7, qui ne sont pas modifiés par la proposition de loi, et qui permettent aussi de faciliter la sortie de l’indivision. Ainsi, si un indivisaire est hors d’état de manifester sa volonté, tout indivisaire peut se faire habiliter en justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes. En outre, si un indivisaire met en péril l’intérêt commun en refusant son consentement à un acte, un autre indivisaire peut se faire autoriser en justice à passer l’acte seul.

Néanmoins, la sortie de l’indivision pourrait aussi résulter de l’aménagement envisagé de règles de gestion des biens indivis et du partage successoral.

II – Sortir de l’indivision par l’assouplissement progressif des règles de gestion et de partage des immeubles indivis

La proposition de loi envisage plusieurs pistes afin d’accélérer le partage judiciaire ou de mieux gérer les immeubles indivis à usage d’habitation.

A – Vers une accélération du partage judiciaire

Le partage d’une succession peut être amiable ou judiciaire ; néanmoins, le partage judiciaire est réservé au cas de conflit entre les héritiers sur le principe du partage et/ou la composition et l’attribution des lots, ou lorsque le partage amiable est refusé par l’organe compétent en présence d’un héritier juridiquement protégé. Plus long et complexe que le partage amiable, il peut constituer un frein à la sortie rapide de l’indivision. Pour y remédier, les règles du partage judiciaire seraient assouplies par la création d’une procédure d’accélération du partage judiciaire, mise en place dans un premier temps à titre expérimental pendant cinq ans dans certains ressorts. Ainsi, lorsqu’un indivisaire inerte n’aurait pas constitué un mandataire dans le mois suivant une mise en demeure, il serait alors présumé consentir au partage, qui s’imposerait à lui. Cette proposition déroge à l’article 841-1 du Code civil qui prévoit que, si le notaire commis pour établir l’état liquidatif se heurte à l’inertie d’un indivisaire, il peut le mettre en demeure de se faire représenter, mais faute de se constituer mandataire dans les trois mois, le notaire peut demander au juge de désigner toute personne qualifiée pour représenter le défaillant jusqu’à la réalisation complète des opérations de partage.

La proposition de loi envisage en outre, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, la remise d’un rapport sur la procédure de partage judiciaire prévue aux articles 220 à 242 de la loi du 1er juin 1924. Cette procédure du droit local alsacien mosellan présente l’originalité de conférer au notaire commis par le juge la direction du partage et d’offrir plusieurs moyens de lutte contre l’inertie des indivisaires ou leurs désaccords, notamment en permettant de procéder à une vente aux enchères simplifiées8. Le rapport envisagé constituerait un support pour apprécier l’opportunité d’étendre à terme à tout le territoire cette procédure particulière9 afin de lutter contre les lenteurs du partage judiciaire.

Elle ne constitue cependant pas la seule extension envisagée d’un droit spécial.

B – Vers de nouvelles autorisations judiciaires pour la gestion des immeubles indivis à usage d’habitation

La proposition de loi prévoit également la remise d’un rapport sur la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi. L’article 815-7-1 du Code civil prévoit actuellement son application en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à La Réunion et à Saint-Martin pour les immeubles à usage exclusif ou mixte d’habitation vacants ou inoccupés depuis plus de deux ans. Il permet à un indivisaire d’être autorisé en justice à exécuter des travaux d’amélioration, de réhabilitation ou d’aménagement d’un immeuble indivis et à accomplir les actes d’administration et formalités de publicité ayant pour objet de le donner à bail à titre d’habitation principale. Cette autorisation permet de déroger aux règles de gestion des biens indivis posées à l’article 815-3 du Code civil, qui exigent le consentement du ou des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis pour effectuer les actes d’administration et conclure ou renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal et l’unanimité pour les actes qui ne relèvent pas d’une exploitation normale ou les actes de disposition non visés par la majorité des deux tiers. Ce rapport servirait de base pour envisager l’opportunité d’étendre le dispositif à l’ensemble du territoire, comme le précisait le texte initialement déposé10. La lutte contre la dégradation et la vacance des logements pourrait ainsi aboutir à une augmentation considérable des pouvoirs de gestion d’un indivisaire agissant seul.

Si l’objectif poursuivi par la proposition de loi est louable, il s’accompagne cependant d’une diminution de la protection des droits de l’ensemble des indivisaires, mais il s’agit certainement d’une conséquence inéluctable pour faciliter la sortie de l’indivision successorale.

Notes de bas de pages

  • 1.
    AN, PPL, n° 823, 21 janv. 2025.
  • 2.
    AN, PPL, TA n° 63, 6 mars 2025.
  • 3.
    91 300 logements vacants en France en 2021 d’après l’Observatoire des territoires et plus de 5 500 immeubles dans des successions vacantes en 2022 selon la Direction nationale d’intervention patrimoniale : AN, PPL n° 823, 21 janv. 2025, exposé des motifs.
  • 4.
    C. civ., art. 810-2.
  • 5.
    C. civ., art. 809.
  • 6.
    C. civ., art. 809-1.
  • 7.
    C. civ., art. 815-4 à C. civ., art. 815-6.
  • 8.
    V. not. : O. Vix, Le partage judiciaire de droit local alsacien mosellan, 2023, LexisNexis.
  • 9.
    AN, PPL, n° 823, exposé des motifs.
  • 10.
    AN, PPL, n° 823, 21 janv. 2025.
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