Éric Ciotti conteste en référé son éviction de la présidence des LR
Le tribunal de Paris a examiné ce vendredi à 11 heures le référé introduit par Éric Ciotti pour contester son exclusion de la présidence du parti Les Républicains décidée mercredi par le bureau politique et réitérée lors d’une nouvelle réunion du bureau ce vendredi à 8 heures.

Incontestablement, Éric Ciotti aurait fait un remarquable scénariste de séries, tant il a le don de la mise en scène et des rebondissements. Ce vendredi matin à 10h55, quelques minutes avant l’entrée des magistrats en charge d’examiner son référé dans la salle 2-13 du tribunal judiciaire de Paris, tout semblait clair. À droite quand on fait face au tribunal, se tenait Me Philippe Prigent, représentant Éric Ciotti, à l’origine du référé d’heure à heure. À gauche, Me Benoît Verger, avocat habituel du parti Les Républicains et son confrère Me Sébastien Lonchamp pour la défense du Parti ainsi que de François-Xavier Bellamy et Annie Genevard, tous deux en charge de la gouvernance provisoire des LR. Chaque camp discutait tranquillement avec les journalistes des enjeux de l’audience à venir quand soudain a surgi Me Philippe Torre. Il s’est installé du côté de la défense, et a fait savoir qu’il représentait le parti Les Républicains, à la demande de salariés du parti. On comprend alors qu’Éric Ciotti n’a pas voulu que la nouvelle équipe dirigeante qui l’a exclu s’arroge le monopole de la parole au nom de LR.
L’effet de surprise est total et la tension monte vite entre les avocats qui, à l’arrivée du tribunal composé de trois magistrates, s’approchent de la présidente pour évoquer leur conflit. « Je ne peux pas recevoir une double constitution, vous réglez ça entre vous » s’agace Maïté Grison-Pascail. Me Verger s’est constitué à 9 heures ce matin, Me Torre à 11 heures, pour ce dernier, il est donc le seul représentant valable des Républicains. Le tribunal se retire pour délibérer.
Appel au bâtonnier
À la reprise, on imagine que le tribunal a tranché. Pas du tout. « Nous avons fait appel à un représentant du bâtonnier pour que cette double constitution pour l’association des Républicains soit évoquée et nous reprendrons le cours des débats », annonce la présidente. C’est ainsi que quelques minutes plus tard, arrivent la vice-bâtonnière, Vanessa Boussardo, accompagnée de Benjamin Pitcho, membre du Conseil de l’ordre et d’Annnabel Boccara, directrice de cabinet du bâtonnier. Tout le monde part en salle des délibérés, mais on voit presque immédiatement réapparaître Me Philippe Torre annonçant que sa présence a été jugée indésirable et qu’on va donc décider sans lui qui doit représenter LR. Quelques explications plus tard, on comprend qu’il a demandé à être assisté d’un avocat, en l’espèce de son confrère Philippe Prigent, ce qui lui aurait valu cette exclusion. Finalement, il est rappelé, avec son conseil. Quand les avocats reviennent dans la salle d’audience, ils annoncent que la recherche d’une solution a échoué. Ils plaideront en conséquence tous les deux pour les LR.
Éric Ciotti demande le droit de circuler librement dans le siège du parti…
Il est 12 heures, le tribunal va enfin pouvoir commencer à aborder l’objet du référé. « On va essayer de reprendre nos esprits », lance la présidente dont le visage fermé montre que toute cette agitation lui déplaît souverainement. Me Philippe Prigent s’avance à la barre pour plaider sa demande de référé au nom d’Éric Ciotti. Pour lui les choses sont claires : s’il a fallu réunir un deuxième bureau le matin même, c’est bien que le premier du 12 juin dernier était irrégulier, qu’Éric Ciotti n’a donc pas valablement été exclu puisqu’on ne saurait l’exclure deux fois. Comme il était encore président ce matin, c’était à lui et seulement à lui de convoquer le bureau pour évoquer sa propre exclusion, ce qu’évidemment il n’a pas fait, et donc ce deuxième bureau est nul aussi. Certes, les statuts prévoient également (article 24-3) que le bureau peut se réunir à l’initiative du quart des membres du conseil national, mais où sont les pièces attestant que cette condition a été remplie ?
…et qu’Annie Genevard et François-Xavier Bellamy n’interfèrent plus dans la direction du parti.
Rappelons qu’en référé, on ne peut solliciter que des mesures « conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » (article 836 du CPC). Il ne s’agit donc pas ici de demander au tribunal de dire qui a raison ou tort, mais de réagir en urgence, en attendant une décision au fond. Me Prigent réclame le droit pour Éric Ciotti de se déplacer librement dans les locaux du parti. « Il fait 1m60 et a 60 ans, il n’a pas envie de se faire casser la figure », précise-t-il. Dénonçant un « putsch » et « une façon de porter atteinte à la sincérité du scrutin », il demande également qu’Annie Genevard et François-Xavier Bellamy n’interfèrent plus dans la direction du parti, le tout sous astreinte de 100 000 euros « pour les forcer à être honnêtes ».
Me Philippe Torre prend la suite, au nom du parti LR donc, pour expliquer qu’il a été sollicité en tant que spécialiste de droit des sociétés, droit des associations et des transmissions d’entreprise, pour apprécier si Éric Ciotti était toujours président ou s’il était remplacé. En substance, il explique que Nicolas Sarkozy a verrouillé les statuts, de sorte qu’il est impossible au bureau politique de désigner une personne comme représentant légal des LR, hors le cas d’un vice-président délégué que précisément Éric Ciotti n’a jamais nommé. « La notion de présidente par interim, qu’occupe depuis vendredi matin Madame Genevard n’existe pas » souligne-t-il. Il se joint donc au nom du parti LR aux demandes de Me Prigent pour Éric Ciotti, sous réserve de réduire l’astreinte réclamée contre François-Xavier Bellamy à 50 000 euros au lieu de 100 000, sans toutefois expliquer les raisons de cette bienveillance à l’endroit du député européen.
Éric Ciotti a été sanctionné pour faute lourde
C’est au tour de la défense de s’exprimer. Me Verger rappelle les faits. « Le 11 juin 2024, Éric Ciotti annonce urbi et orbi un accord avec le RN. C’est la stupeur. Dès le lendemain, un bureau politique s’est tenu, il avait vocation à prendre une position publique sur le départ d’Éric Ciotti. Ce n’est pas cette décision qui l’exclut, convient l’avocat, d’ailleurs dans le PV, il est indiqué expressément que le bureau ne peut se tenir que sur la demande d’un quart des membres du conseil national. Il ne s’agissait que d’une décision politique ». C’est ainsi que décision est prise d’organiser plus tard un bureau conforme aux statuts qui prendra ensuite la décision juridique. Entre-temps, Éric Ciotti se filme jeudi dans son bureau, montrant ainsi qu’il a contourné la décision politique. Puis, quoique régulièrement convoqué, il refuse de se rendre à la réunion de ce vendredi matin. « C’était pourtant en visio, donc sans danger physique » ironise l’avocat. Il rappelle que l’intéressé a été sanctionné pour faute lourde consistant dans le fait d’avoir pris une décision politique grave relevant de la compétence exclusive du Conseil national. Un comportement « autocratique » qui s’est poursuivi par la fermeture des locaux et qui se traduit aussi par des insultes à l’égard des membres du bureau politique qu’il traite de « vieilles barbes » et de « vieux caciques ». Quant à soutenir qu’il était le seul à pouvoir convoquer le bureau censé l’exclure « Il ne peut être à la fois l’auteur de la faute, celui qui instruit et celui qui sanctionne » réplique l’avocat. Pour la défense, la procédure de sanction à son encontre a nécessité une interprétation des statuts sur laquelle le tribunal n’est pas compétent pour se prononcer. Si le tribunal néanmoins en décidait autrement, Me Verger demande qu’il constate la validité de la procédure choisie dans des circonstances exceptionnelles, ou qu’à défaut, il ordonne l’organisation d’un nouveau bureau politique.
Il est 12 h 55, l’audience touche à sa fin. Les avocats de la défense proposent de verser en délibéré les PV d’huissier, en cours de rédaction, attestant que le quart du conseil national avait bien demandé la réunion du bureau. Mais les avocats d’Eric Ciotti ont décidé de ne rien lâcher. Une dernière fois ils montent au front pour dénoncer une tentative de manipulation. Si les demandes écrites existaient à 8 heures du matin lorsque le bureau s’est réuni, il aurait été facile de les verser, ce qui n’a pas été fait, argumentent-ils. Les avocats de la défense s’indignent de ces accusations. En vain. Le tribunal rejette leur proposition de verser les pièces et annonce son délibéré pour 19 heures.
Référence : AJU445433
