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Étrennes, donations, dons familiaux de fin d’année : ce qui est permis (ou non)

Publié le 20/12/2022
cadeau, échange, Noël
sonyachny/AdobeStock

L’approche de la période des fêtes provoque nombre d’interrogations de la part des contribuables sur la notion de présent d’usage, dont l’innocuité fiscale présente à leurs yeux l’attrait principal, bien qu’elle se double également d’une neutralité à l’égard des dispositions civiles successorales.

Qu’est-ce qu’un présent d’usage ?

Une donation, acte passible entre tous des droits de mutation à titre gratuit, suppose la réunion d’un élément matériel, à savoir un appauvrissement irrévocable du donateur par l’abandon d’un droit ou d’une valeur financière, et d’un élément psychologique, appelé intention libérale. C’est l’existence de ce dernier élément qui permet de différencier le présent d’usage du don taxable.

Le présent d’usage, comme la donation, entraîne amputation définitive d’un élément du patrimoine du disposant. Mais dans la première, le donateur a conscience et volonté de ne pas recevoir de contrepartie. On peut ainsi définir l’intention libérale comme une volonté revêtue d’une certaine pureté : il s’agit tout simplement de préférer autrui à soi-même, sans que la décision obéisse à d’autres mobiles que le désintéressement le plus pur et la volonté de s’appauvrir au profit de celui que l’on a choisi. Il en va tout autrement pour le second.

L’acteur du présent d’usage ne fait que de se plier à un usage qu’il ne peut éviter eu égard aux règles et coutumes sociales. Pas de baptême, pas d’anniversaire, pas de fiançailles, pas de mariage, pas de fêtes de fin d’année sans que les proches par le cœur ou par liens familiaux soient honorés par une offrande, un bienfait quelconque, symbolique ou plus substantiel.

En agissant de la sorte, le dispensateur de ce présent ne fait que respecter un usage social, qui ne laisse de place à sa volonté que dans la forme et le montant qu’il entend lui voir recouvrir.

Cette rapide analyse conceptuelle permet de comprendre l’autonomie du régime du présent d’usage au regard du droit des libéralités.

Quel est le régime civil et fiscal du présent d’usage ?

Puisque l’acte en question est inspiré par un désir de se soumettre aux conventions sociales, l’intention libérale qui colore normalement l’appauvrissement dans le cadre d’une donation est absente. S’émancipant de la qualification de donation, il en découle très naturellement les conséquences suivantes sur les plans civils et fiscaux :

• au regard du droit civil, le bénéficiaire d’un présent d’usage ne devra pas le rapporter à la succession de celui dont il l’a reçu, et ce présent ne comptera pas dans le calcul de la quotité disponible : la transmission de ce présent sera affectée d’une neutralité totale au regard des règles successorales, pour autant bien sûr que cette qualification ne puisse être contestée par les héritiers1 ;

• cette neutralité bienveillante est également de règle sur le plan fiscal : en l’absence d’intention libérale, pas de donation. Et faute de donation, pas de taxation aux droits de mutation à titre gratuit et, plus généralement, aucune imposition à quelque titre que ce soit.

Quelle est la qualification du présent d’usage ?

Cette dichotomie de régime entre libéralité et présent d’usage impose de s’interroger sur la question de la qualification : à partir de quand un présent d’usage cesse-t-il de l’être pour devenir une donation taxable, rapportable ou éventuellement réductible ?

La réponse, qui est laissée au premier chef à l’appréciation du disposant, doit être estimée tant sur le plan temporel que sur le plan quantitatif.

Au regard du premier, un présent d’usage ne mérite ce nom que s’il est effectué concomitamment à un événement particulier, tenant soit à la vie du récipiendaire lui-même, à savoir baptême, anniversaire, communion, soit à la survenue régulière de fêtes (étrennes de la nouvelle année, Noël).

Au regard du second, son appréciation, au risque de décevoir les attentes des contribuables, ne relève pas de l’application d’un strict critère numérique. La lecture de l’article 852, alinéa 2, du Code civil suffit à s’en convaincre : « Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ». On comprend donc qu’ici, tout est affaire de proportionnalité, considération faite de la situation patrimoniale de celui qui donne. On pourra certes déplorer l’allergie du juriste, et plus particulièrement du juge à vouloir s’enfermer dans la sécheresse d’une règle numérique avec communication d’un taux précis apte à rassurer les anxieux.

Il n’est néanmoins pas interdit de dégager des linéaments permettant d’éclairer la lanterne du disposant.

Il convient déjà de rappeler que le substantif « fortune » vise davantage le patrimoine du disposant que les revenus produits par celui-ci. Par ailleurs, l’appréciation de cette proportionnalité s’apprécie au moment du don, et non au jour où celui-ci fait l’objet d’un acte de disposition. Ainsi, a été considéré comme présent d’usage la remise d’un père à sa fille pour le mariage de celle-ci d’une série de huit aquarelles, évaluées à l’époque un peu plus de 10 000 € puis revendues dix années plus tard plus de 850 000 €2.

Dans la continuation de cette jurisprudence, des transferts de sommes d’argent – de 100 000 francs à l’époque – effectués par une mère à ses deux enfants au moment des fêtes de Noël n’ont pas été considérés comme des libéralités, compte tenu des moyens financiers de la donatrice3.

En tout état de cause, il appartient aux juges du fond de relever les éléments qui permettent de conclure à l’existence d’un présent d’usage, sachant par ailleurs qu’il n’est pas exclu qu’un transfert de richesse puisse recevoir une double qualification, suivant l’importance de son montant : présent d’usage pour une partie, donation taxable pour l’autre4.

Quelles précautions prendre ?

Le contribuable ne manquera pas de blâmer le magistrat pour ne pas avoir énoncé une simple règle arithmétique basée une fois pour toutes sur une proportion, puis le juriste fiscaliste à sa suite pour n’avoir su trouver dans aucune des décisions soumises à son examen un quelconque Graal de cet ordre.

Ce à quoi l’on peut rétorquer qu’à ce propos, et compte tenu des enjeux éminents en matière de fiscalité et de règlement successoral, notamment quant à l’égalité des héritiers, la prudence commande de se garder de tout systématisme, une incertitude tenant en quelque sorte lieu de garde-fou, sachant que, par ailleurs, le droit est également affaire de nuance et d’appréciation au cas par cas et en fonction de l’équité. En un mot, le contribuable est invité à user d’une qualité qu’heureusement on lui prête encore et qui va de pair avec la responsabilité : le simple bon sens.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 19 sept. 2018, n° 17-24205.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 10 mai 1995, n° 95-15187.
  • 3.
    CA Paris, 11 avr. 2002, n° 01-3791.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 19 sept. 2018, n° 17-24205.
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