Immobilier Abonnés
118e congrès des notaires de France – commission 1 : L’ingénierie notariale

La vente immobilière : un contrat consensuel, réel ou solennel ?

Publié le 11/10/2022
Bail commercial, maison
faber14/AdobeStock

Si le principe de consensualisme demeure le mode privilégié de formation des contrats dans notre droit civil, en matière de contrat de vente immobilière les différents formalismes imposés par le souci de protection de l’acquéreur contribuent à le remettre en cause. On peut dès lors s’interroger sur la nature de ce contrat aujourd’hui, mais aussi sur l’efficacité de ce formalisme quant au but poursuivi, à savoir la protection des intérêts de l’acquéreur.

Les dernières décennies ont été marquées par le développement continu du consumérisme immobilier. Le législateur est à ce titre intervenu à plusieurs reprises dans le but de sécuriser les transactions et de protéger le consommateur immobilier. Nous pouvons citer à titre d’exemple les réformes suivantes :

En matière de protection du consommateur immobilier, il se dégage de ces textes une très claire volonté de prévoir l’information de ce dernier par la remise d’un certain nombre de documents. Sans cette information, le contrat ne peut exister. Dans d’autres cas, le contrat voit sa formation définitive conditionnée au non-exercice d’une faculté de rétractation dans un délai qui ne court qu’après remise ou notification d’une copie de l’avant-contrat et de différents documents, annexés ou non, audit avant-contrat. Cette évolution de notre droit pose à notre sens deux questions. La première concerne la nature du contrat. Si la vente immobilière reste, en théorie, un contrat consensuel1, les obligations de remise de documents ajoutées au gré du temps ne remettent-elles pas en cause ce principe (I) ? La seconde question est celle de la bonne information de l’acquéreur : ces remises de documents parviennent-elles à éclairer parfaitement son consentement (II) ?

I – La vente immobilière et le consensualisme

A – Le principe de la vente consensuelle : un principe relatif en pratique

Selon l’article 1109 du Code civil, le contrat est consensuel « lorsqu’il se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ». L’article 1583 du même code établit le principe de la vente consensuelle : « Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acquéreur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

La conséquence de la nature de la vente consensuelle est double : l’accord des parties forme le contrat, et ce même accord transfère la propriété2. Cet effet translatif est par ailleurs un effet de la loi3, consacré par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, en lieu et place de l’obligation de donner.

Il résulte dès lors de ce principe que l’acceptation, par le propriétaire, d’une offre émise par un candidat acquéreur forme le contrat et provoque le transfert de propriété de l’immeuble objet de la vente, de ses accessoires, de ses fruits, mais également de ses risques. Le propriétaire devient à cet instant débiteur de ses obligations de délivrance et de garantie.

En pratique, et fort heureusement serait-on tenté d’écrire, les choses se passent toutefois de manière bien différente : une fois l’offre acceptée, les parties, le plus souvent par l’intermédiaire d’un professionnel (agent immobilier ou notaire) formalisent leurs accords aux termes d’un avant-contrat, lequel fixera les droits et les obligations de chacun, ouvrira une période intermédiaire durant laquelle chacun veillera à la réalisation des conditions édictées, et prévoira les modalités de transfert de propriété et de paiement du prix. Enfin, un acte définitif de vente sera établi par le notaire une fois l’ensemble des conditions prévues à l’avant-contrat réalisées.

On le voit donc clairement, la pratique de la vente immobilière s’éloigne déjà fortement du principe d’un contrat consensuel. Il est vrai que l’absence de caractère d’ordre public des articles 1583 et suivants du Code civil4 permet déjà aux parties de convenir d’un certain formalisme pour l’établissement de leurs conventions.

Toutefois, le législateur est intervenu au cours de ces 20 dernières années pour imposer un formalisme obligatoire pour le contrat de vente immobilière, dès lors que l’acquéreur n’est pas un professionnel de l’immobilier.

B – Le déclin du principe de consensualisme engendré par les dispositions protectrices légales

Le premier coup d’ampleur porté au consensualisme en matière de vente immobilière portant sur des biens achevés remonte selon nous à la loi dite SRU du 13 décembre 2000 : l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation crée ainsi au profit de « l’acquéreur non professionnel », et pour le cas où l’objet du contrat porterait sur « la construction ou l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation, la souscription de parts donnant vocation à l’attribution en jouissance ou en propriété d’immeubles d’habitations ou la vente d’immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière », un droit de rétractation ou de réflexion. Ce droit lui permettra de renoncer à contracter, le tout sans qu’aucune sanction ne puisse lui être infligée, alors même que la volonté de contracter et les conditions de perfection de la vente, c’est-à-dire un accord sur la chose et sur le prix, ont été dûment constatées.

La purge de ce délai de rétractation ou de réflexion ne peut en outre être réalisée qu’à la condition d’une remise, soit en mains propres, soit par « lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise » de l’acte ou du projet d’acte constatant la vente. Ce délai, d’une durée de dix jours5, court à compter du lendemain de la remise en mains propres ou de la première présentation de la lettre recommandée.

Le législateur ne s’est pas arrêté en si bon chemin, et a renforcé encore ce mécanisme de protection en imposant, d’une part, l’affichage obligatoire de certaines informations en matière d’annonces relatives à la vente d’un lot ou de fraction de lot d’un immeuble bâti soumis au statut de la copropriété (CCH, art. L. 721-1), et, d’autre part, en imposant, si le lot de copropriété objet de la vente est à usage total ou partiel d’habitation (CCH, art. L. 721-2), la remise obligatoire à l’acquéreur d’un certain nombre de documents relatifs à la copropriété dont on ne rappellera pas ici le caractère fastidieux de la liste. En outre, si l’acquéreur est un non-professionnel de l’immobilier, la purge de son droit de rétractation ou de réflexion ne peut être valablement effectuée si les documents listés par l’article L. 721-2 ne font pas également l’objet d’une communication à l’acquéreur (CCH, art. L. 721-3).

Il est donc bien mal aisé de parler encore de vente consensuelle en matière de vente immobilière d’un local à usage d’habitation au profit d’un acquéreur non professionnel.

En effet, l’application de ces textes induit une chronologie particulière dans le déroulé d’une vente immobilière.

Tout d’abord, vendeurs et acquéreurs se mettent d’accord sur le principe de la vente, son objet et ses conditions : il y a donc accord sur la chose et sur le prix, et l’application de l’article 1583 du Code civil oblige ici à constater la perfection de la vente.

Toutefois les parties se mettent également d’accord pour soumettre la vente à un formalisme particulier qui sera généralement la signature d’un avant-contrat établissant lui-même les conditions de transfert de propriété et de paiement du prix. Cela est parfaitement possible compte tenu du caractère supplétif de l’article 1583 précité.

C’est alors, une fois que l’avant-contrat est régularisé, qu’un autre formalisme entre en jeu, et celui-ci est cette fois impératif, celui de la purge de la faculté de rétractation de l’acquéreur par la notification de l’acte. Si les circonstances le permettent, les parties peuvent se mettre d’accord pour se dispenser d’avant-contrat et passer directement à la signature de l’acte de vente définitif, un projet d’acte devra alors être notifié à l’acquéreur, afin que celui-ci bénéficie d’un délai de réflexion.

Ces délais, qu’il s’agisse d’un délai de réflexion ou de rétractation, constituent indéniablement un mécanisme extrêmement protecteur de l’acquéreur et de son consentement, il n’est pas question dans ces propos de revenir sur l’intérêt fondamental de ces dispositions en la matière.

Pour autant, il nous semble intéressant de nous interroger sur ce qu’est devenue la nature du contrat de vente immobilière. Assurément, lorsque les conditions de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation sont applicables, il n’est plus réellement un contrat consensuel. Mais, alors, quel est-il ?

L’idée première serait de voir dans un tel contrat un contrat solennel, que l’article 1109 du Code civil définit comme celui dont « la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi ». La notification du contrat selon des formes précisées par l’article L. 271-1 (remise en mains propres ou courrier recommandé avec avis de réception) constitue bien une forme imposée par la loi, mais le contrat lui-même (la promesse de vente) ne voit pas sa validité soumise à une forme particulière. Rappelons également que l’obligation de conclure une vente par un acte notarié n’est qu’une forme imposée pour l’exécution de la formalité de publicité foncière, et n’est donc exigée qu’ad probationem et non ad validitatem (sauf le cas de la vente en état futur d’achèvement ou d’immeuble à rénover en secteur protégé). Aucun texte ne prévoit une forme particulière pour l’établissement d’une promesse de vente (à l’exception toutefois des promesses de vente conclues par une personne physique et dont la durée de validité est supérieure à 18 mois6), sauf à considérer éventuellement que la notification de l’acte prévue par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation impose de fait un écrit, car en l’absence d’écrit, on ne voit pas comment cette notification pourrait être réalisée. Toutefois, si le législateur avait souhaité faire de la vente immobilière un contrat solennel, reconnaissons que cela aurait pu être plus clairement exprimé !

Si la vente immobilière n’est plus tout à fait un contrat consensuel, mais pas non plus un contrat solennel7, quelle en est alors sa nature ? Au risque de paraître quelque peu provocateur, il nous semble intéressant d’examiner cette question au regard de la définition du contrat réel, tout du moins en ce qui concerne la vente dont l’objet est un immeuble à usage d’habitation et consentie à un acquéreur non professionnel.

L’article 1109 du Code civil définit ce contrat comme celui dont la formation « est subordonnée à la remise d’une chose ». Cette définition peut être complétée de la manière suivante8 : « Contrat qui se forme par la remise effective d’une chose, la personne qui reçoit cette chose n’en devenant débiteur que par cette tradition réelle. » Donc si l’on reprend le processus contractuel d’une vente immobilière, il n’est a priori pas possible de qualifier la vente d’immeuble de contrat réel. Toutefois, si l’on peut considérer que le contrat s’est formé par la signature de l’avant-contrat, et parce que les parties ont convenu de cette condition de forme, il n’en est pas moins vrai que tant que la notification de cet avant-contrat à l’acquéreur dans les formes prévues à l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation n’est pas intervenue, et tant que ce dernier est en mesure de se rétracter unilatéralement, l’existence de ce contrat est d’une extrême précarité.

Dès lors, il n’est pas selon nous interdit de penser que la formation définitive du contrat dépendant de la non-rétractation de l’acquéreur, et cette faculté ne pouvant être utilisée qu’après la remise de documents dans des formes impératives, nous retrouvons là un contrat dont l’existence reste soumise à une forme particulière de tradition9.

Si l’enjeu de la qualification du contrat est de grande importance, le sens de ces évolutions législatives, portées vers une protection accrue de l’acquéreur immobilier non professionnel, semble imposer de confronter cet objectif de protection à cette qualification.

II – Nature du contrat et protection de l’acquéreur

La question posée est en réalité de savoir quelle nature de contrat s’accorde le mieux à la protection tant de l’acquéreur immobilier que de son consentement.

A – Remise de documents et information de l’acquéreur

L’exemple de la vente portant sur un lot de copropriété à usage d’habitation au profit d’un non-professionnel de l’immobilier est sur ce point particulièrement illustratif : selon les cas, une telle vente peut s’accompagner d’une remise d’un volume de documents plus ou moins important en fonction de l’historique de la copropriété. Certains sont d’une importance certaine (on pensera notamment aux informations financières), d’autres le sont beaucoup moins : la communication d’un état descriptif de division modificatif portant sur une modification minimale de l’assiette foncière de la copropriété sans modifications des tantièmes ne nous semble pas constituer un élément du contrat pouvant tromper l’acquéreur sur les qualités substantielles du bien. Or la non-communication de ce document empêche l’ouverture du délai de rétractation de l’acquéreur, le texte de l’article L. 721-2 ne précisant pas que les documents doivent avoir une incidence sur les biens vendus10.

Par conséquent, l’obligation de remise de l’intégralité des documents visés par cet article conduit à communiquer à un acquéreur parfois novice une documentation aussi souvent technique qu’abondante, dont il sera souvent bien en peine de distinguer les éléments essentiels de ceux plus anecdotiques. Peut-on réellement se satisfaire d’une simple remise de documents pour estimer que l’acquéreur a pu s’engager en toute connaissance de cause ?

Par ailleurs, si la loi rend obligatoire la communication de certains éléments relatifs à la copropriété, d’autres documents tout aussi importants ne font pas l’objet d’une telle obligation. Notamment le dossier de diagnostic technique prévu à l’article L. 271-4 du Code de la construction et de l’habitation. Le texte prévoit que ce dossier doit être annexé à la promesse de vente ou, à défaut, à l’acte authentique de vente et nul texte n’impose sa communication à l’acquéreur en vue de la purge de sa faculté de rétractation. Même si la pratique notariale a comblé cette lacune en préconisant la communication de ces éléments dès la promesse de vente, il n’y a rien d’obligatoire en la matière et rien n’empêche en réalité que les informations contenues dans ce dossier ne soient révélées à l’acquéreur que le jour de la signature de l’acte définitif. Et dans un tel cas, si un délai de rétractation a déjà été notifié, il ne sera pas possible d’ouvrir un nouveau délai, même de réflexion, sauf à considérer que les éléments contenus dans ce dossier constituent pour l’acquéreur une modification substantielle du bien objet de la vente11.

Il nous semble donc que la protection de l’acquéreur immobilier ne puisse pas, parfois, être assurée par la seule remise d’une documentation technique et juridique dont la parfaite interprétation nécessite une certaine maîtrise des sujets traités. D’autant plus si une confusion existe entre ce qui doit être obligatoirement notifié et ce qui ne doit pas nécessairement l’être. Dès lors, il apparaît que la nature du contrat la plus à même de sauvegarder les intérêts de l’acquéreur n’est pas obligatoirement celle d’un contrat consensuel ou réel, mais plutôt celle d’un contrat solennel.

B – Le renforcement du lien contractuel par la solennité

En matière de vente immobilière, il existe déjà des contrats pour lesquels la loi impose une forme précise, les rendant ainsi solennels12 :

Ces solennités ont pour but principal de protéger l’acquéreur (et exceptionnellement le vendeur s’agissant de la promesse de longue durée), preuve s’il en est qu’un contrat solennel est l’outil adéquat pour assurer une efficace mission de protection de l’une ou l’autre, voire de l’ensemble des parties au contrat.

Dans les cas que nous venons de citer, nous pouvons constater que l’authenticité constitue la solennité plébiscitée par le législateur pour assurer la protection des parties, mais également du contrat. L’intervention du notaire, au regard de ses obligations d’officier public et de ses compétences juridiques, nous semble présenter des gages d’efficacité tout aussi appréciables que l’obligation de communication d’un grand nombre d’informations sans accompagnement du récipiendaire de ces informations par une personne compétente.

Par ailleurs, il convient de rappeler qu’en matière de vente de lot de copropriété, l’article 46 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 relative au statut de la copropriété impose de mentionner la superficie des parties privatives vendues dans toute promesse de vente ou d’achat ou tout contrat constatant la vente d’un lot ou d’une fraction de lot, le tout à peine de nullité de la vente. Comment concilier le principe du consensualisme avec l’obligation faite, à peine de nullité du contrat, de mentionner la superficie des parties privatives vendues ? Une exigence formelle imposée à peine de nullité constitue, ni plus ni moins, une solennité, transformant les actes concernés en véritables actes solennels.

Dès lors, la question se pose de savoir s’il n’est pas temps de poser le principe général de la solennité de la vente immobilière, en soumettant sa validité à la régularisation d’un acte authentique. Il est avéré que l’authenticité permet à la fois une très forte garantie de sécurité juridique, ainsi qu’une protection efficace des intérêts des parties permettant un fonctionnement sain et équilibré du marché immobilier.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. civ., art. 1583.
  • 2.
    JCl. Vente d’immeuble, fasc. 1500, M. Poumarède.
  • 3.
    C. civ., art. 1196.
  • 4.
    En ce sens, v. par ex. Cass. 3e civ., 9 juin 1971, n° 70-10100 : Bull. civ. III, n° 362 – Cass. 1re civ., 24 janv. 1984, n° 82-14841.
  • 5.
    Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 dite loi Croissance qui porte ce délai de 7 à 10 jours.
  • 6.
    Article L. 290-1 du Code de la construction et de l’habitation qui subordonne la validité d’une telle promesse à la régularisation d’un acte authentique.
  • 7.
    Pour la consécration du caractère solennel de la vente immobilière, v. R. Illhé, L. Pasquier-Mignot et O. Valard, « Vers une solennisation de la vente d’immeuble ? », JCP N 2022, n° 1, 1006.
  • 8.
    G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 13e éd., 2020, PUF.
  • 9.
    En ce sens : P. Tarrade, « Contrats et obligations. L’effet translatif. L’avis du praticien », JCP N 2015, n° 47, 1212.
  • 10.
    En ce sens : CA Aix-en-Provence, 14 déc. 2017, n° 16/08267.
  • 11.
    En ce sens, v. Cass. 3e civ., 26 sept. 2007, n° 06-17187 : Constr.-Urb. 2007, comm. 206, note P. Cornille.
  • 12.
    R. Illhé, L. Pasquier-Mignot et O. Valard, « Vers une solennisation de la vente d’immeuble ? », JCP N 2022, n° 1, 1006.
X