Le « droit de vue », une hypothèse juridiquement envisageable ?

Publié le 27/02/2017

Certains litigants n’hésitent pas à invoquer « un droit de vue » pour s’opposer aux modifications de l’environnement extérieur préjudiciables à l’harmonie visuelle d’un lieu ou à la qualité de vue dont dispose leur fonds. La présente étude se donne pour ambition de vérifier si l’hypothèse du droit de vue est envisageable en l’état actuel de notre droit positif.

Alphonse Allais confiait, sans ambages, détester la montagne parce qu’elle cachait le paysage1. Dans nos réalités quotidiennes cependant, nul besoin de cette référence géologique pour éprouver un malaise visuel lorsqu’on veut contempler le monde qui nous entoure. L’empreinte du voisin sur le paysage à travers l’édification d’un ouvrage produit également le même effet. Face à une vue obstruée, les occupants du « fonds regardant » disposent-ils de moyens de recours ? Notre droit protège-t-il suffisamment la vue2 pour que l’occupant du « fonds regardant » puisse invoquer un droit de vue pour surmonter son malaise visuel ? C’est à cette interrogation que la présente étude se propose de répondre. Mais avant toute tentative de réponse, la logique invite à commencer par une définition du « droit de vue ».

La vue, étant « ce qui se présente au regard du lieu où l’on est »3, parler de droit de vue revient à reconnaître à toute personne la possibilité, à partir d’un point géodésique, de contempler le monde qui l’entoure et d’en retirer une certaine utilité. Néanmoins, une telle acception large ne sera pas retenue dans le cadre de la présente étude qui conçoit le droit de vue comme une prérogative attachée à un fonds, et non comme une prérogative liée à la personne et dont le fondement serait la liberté individuelle.

Il s’agit, à travers le droit de vue envisagé, d’accorder à l’occupant d’un fonds le pouvoir de jouir du panorama qu’offre ce fonds4, sans souffrir d’un malaise visuel. Le droit de vue se présente comme un droit au désenclavement visuel. Autrement dit, c’est un droit de regard — à partir d’un fonds appelé fonds regardant — qui a pour objet l’environnement extérieur — composé de fonds regardés —, et pour titulaires les occupants du fonds regardant.

Il est donc indispensable pour parler de droit de vue que les occupants du fonds regardant puissent exercer un regard qui passe par les fonds qui les entourent et qui se perd au loin sur l’horizon. Or, on constate que le législateur reconnaît aux propriétaires de fonds, le droit de se soustraire aux regards indiscrets par la clôture de leur héritage (C. civ., art. 647). Ainsi, en mettant en œuvre leur droit de se clore, les propriétaires des fonds voisins peuvent paralyser la vue des occupants du fonds regardant. On constate également que pour apaiser les rapports de voisinage, l’intimité de chaque fonds est protégée à travers une réglementation très stricte des ouvertures permettant de porter un regard sur le fonds voisin (C. civ., art. 678 et s.).

Dès lors, l’hypothèse d’un droit de vue mène à une impasse, d’une part, parce que la vue fait l’objet de nombreuses restrictions en droit positif (I), et, d’autre part, parce que la vue même lorsqu’elle fait l’objet d’une protection juridique, cette dernière n’est jamais autonome (II) ; on ne peut donc raisonnablement déduire d’une protection incidente de la vue l’existence d’un véritable droit de vue.

I – La vue soumise à restrictions

Pour qu’existe un droit de vue, il est indispensable, d’une part, de reconnaître aux occupants du fonds regardant la possibilité de contempler l’environnement extérieur à partir de ce fonds, et, d’autre part, que cette possibilité d’observation, lorsqu’elle est reconnue, soit préservée contre les comportements engendrant un trouble visuel. Or, à l’inverse, on constate tout d’abord que le droit de regarder au-delà de son fonds, lorsqu’il implique qu’un regard puisse être porté sur les fonds voisins, est restreint en droit positif par les servitudes légales de vue (A). On constate ensuite que lorsque la possibilité de contempler l’environnement extérieur en faisant passer son regard par le fonds voisin est exceptionnellement tolérée, les occupants du fonds regardant n’ont aucune garantie quant à l’exercice effectif de la vue puisque pèse sur eux, en droit positif, une obligation de supporter certaines atteintes à la vue (B).

A – L’interdiction de regarder les fonds voisins

En raison de l’étalement urbain, on se retrouve très souvent dans une configuration des lieux qui oblige les occupants d’un fonds à faire passer leur regard par le fonds voisin pour accéder au panorama. Or en interdisant par le biais des servitudes légales de vue « à tout propriétaire d’aménager son fonds de telle manière que cet aménagement lui permette de porter son regard sur le terrain voisin »5, le législateur ruine l’idée d’un droit de vue puisqu’il consacre au contraire un droit de ne pas voir.

En effet, il ressort clairement de l’analyse des articles 675 à 680 du Code civil relatifs aux vues6, que le législateur a entendu protéger l’intimité du voisinage au détriment du droit de vue des occupants du fonds regardant, et ce, même si le panorama qu’offre ce fonds est exceptionnel7. Pour preuve, est strictement encadrée la possibilité d’aménager des fenêtres, balcons, terrasses, plates-formes et autres exhaussements de terrain8 qui constituent concrètement les ouvrages ou ouvertures visés par le Code civil au titre de la servitude de vue. Ainsi, il est interdit d’aménager à moins de 1m90 du fonds voisin une ouverture ou un ouvrage permettant l’exercice d’une vue droite9 (C. civ., art. 678) et à moins de 0,60 m10 une ouverture ou un ouvrage permettant l’exercice d’une vue oblique11 (C. civ., art. 679). Le non-respect de ces règles rend la vue ainsi créée irrégulière. Le propriétaire du fonds regardé — qui est le fonds dominant en matière de servitude de vue parce que c’est à lui qu’on doit l’intimité — peut demander sa suppression12, à moins qu’une inaction trentenaire de sa part ne « transforme l’irrégularité de la vue incriminée, en une validité désormais inattaquable »13.

S’il est permis de conclure au regard de telles prescriptions que le législateur consacre un « droit de non-vue », on ne peut cependant manquer de souligner qu’il reconnaît tout de même, à titre exceptionnel, la possibilité de regarder le fonds voisin.

À ce propos, soulignons tout d’abord que les vues lointaines sur le fonds voisin, parce qu’elles sont considérées comme moins intrusives pour l’intimité des occupants, sont exceptionnellement tolérées. En effet, les articles 678 et 679 du Code civil qui interdisent au fonds regardant de disposer d’ouvertures ou d’ouvrages permettant de regarder chez le voisin ne font que prohiber le regard immédiat sur les activités d’autrui. Il est donc permis d’avoir à plus de 1 m 90 du fonds voisin une ouverture ou un ouvrage permettant l’exercice d’une vue droite et à plus de 0,60 m une ouverture ou un ouvrage permettant l’exercice d’une vue oblique.

Soulignons ensuite que les vues immédiates sur le fonds voisin restent possibles lorsque les règles de distance pour l’aménagement d’ouvertures dans le bâtiment ou la réalisation d’ouvrages sur le fonds ne s’appliquent pas. Les hypothèses de non-application de ces règles de distance sont les suivantes14.

La première est la situation dans laquelle les fonds ne sont pas contigus15. La seconde est la situation dans laquelle le fonds regardé relève du domaine public16. La troisième est la situation dans laquelle le fonds regardé, bien que relevant du domaine privé, est déjà, sur la partie objet du regard, grevé au profit du fonds regardant d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions (C. civ., art. 678). La dernière est la situation dans laquelle « l’ouverture pratiquée, alors même qu’elle offre la vue, ne permet pas de porter atteinte à l’intimité du voisin, notamment parce qu’elle ouvre sur un mur aveugle ou sur un toit dépourvu de fenêtres »17.

Soulignons enfin, toujours au titre des exceptions à l’interdiction générale de regarder le fonds voisin, qu’en dehors d’une vue exercée par le biais des ouvertures dans les bâtiments ou des ouvrages réalisés sur le fonds à l’instar des terrasses et exhaussements de terrain, rien n’interdit aux occupants du fonds regardant de se porter à la distance qu’ils désirent pour voir chez le voisin tant que celui-ci ne prend pas l’initiative de leur paralyser cette vue par l’édification d’un ouvrage en retrait de la ligne séparative des fonds.

En définitive, les articles 675 et suivants du Code civil, parce qu’ils sont tous rédigés négativement posent une interdiction de regarder le fonds voisin. Ce qui constitue un obstacle à l’émergence d’un droit de vue, car bien souvent, l’observation du panorama nécessite de faire passer son regard par les fonds voisins. Même s’il arrive au législateur d’autoriser exceptionnellement la possibilité de regarder le fonds voisin, il n’est pas possible à l’aune de ces quelques exceptions de conclure à l’existence d’un droit de vue puisque notre droit fait peser sur les occupants du fonds regardant, une obligation de supporter des atteintes à la vue.

B – L’obligation de supporter des atteintes à la vue

Même si les occupants du fonds regardant ont la possibilité, à partir de ce fonds, de contempler l’environnement extérieur, ils ne disposent en revanche d’aucune garantie de conserver cette faculté. D’ailleurs, la Cour de cassation par une formule aux allures d’attendu de principe a pu retenir que « nul ne disposait d’un droit acquis à une vue permanente totalement dégagée, surtout en milieu urbain »18. Ce qui signifie que le fonds regardant est amené à supporter des atteintes à la vue, à plus forte raison lorsque cette modification de l’environnement extérieur est réalisée en conformité des règles en vigueur. C’est ainsi que par l’exercice du droit de se clore19, le propriétaire du fonds regardé est susceptible de paralyser la vue du fonds regardant. Même l’occupant non-propriétaire du fonds regardé peut, au titre de son droit d’usage, ériger dans l’axe par lequel la vue est exercée, des haies, plantations ou y poser toute sorte d’objets opérant comme brise vue afin d’annihiler l’intrusion visuelle chez lui. On en déduit que même si les occupants du fonds regardant ont exceptionnellement la possibilité de regarder le fonds voisin, cette faveur n’a point « pour effet de restreindre en quoi que ce soit l’exercice des facultés naturellement inhérentes au droit de propriété du voisin, qui reste libre d’élever, sur la limite extrême de son fonds, toute espèce de constructions »20. En sus, en retenant que le propriétaire du fonds regardant ne peut invoquer l’acquisition par prescription d’un droit à une vue dégagée puisque « nul n’est assuré de conserver son environnement »21 extérieur, la Cour de cassation rejette in fine l’hypothèse d’un droit de vue.

Dans cette même logique de réticence à la reconnaissance d’un droit de vue, il convient de constater que si au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, le propriétaire du fonds regardant ne peut acquérir par prescription le droit de vue22, le propriétaire du fonds regardé, en revanche, peut acquérir par prescription le droit de paralyser la vue des occupants du fonds regardant. Par exemple, l’article 671 du Code civil précise qu’il est permis d’avoir des arbres ou arbustes près des limites de la propriété voisine à la condition de respecter les distances prescrites par les règlements particuliers existants ou par les usages constants et reconnus. À défaut de règlement ou d’usage, il impose le respect d’une distance déterminée en fonction de la hauteur des plantations. Ainsi, les arbres dont la hauteur dépasse deux mètres ne peuvent être plantés qu’à une distance d’au moins deux mètres de la ligne séparative tandis que les arbres n’excédant pas deux mètres doivent être plantés à une distance d’au moins un demi-mètre de la ligne séparative. Ce qui signifie que lorsque les arbres ou arbustes, qui à l’origine n’excédaient pas une hauteur de deux mètres et situés à 0,5 m de la ligne séparative, par leur pousse viennent à excéder cette hauteur, l’atteinte à la vue devient irrégulière puisque de telles plantations ne se trouvent pas à deux mètres minimum de la ligne séparative. Le propriétaire du fonds regardant dispose du droit de demander leur réduction à la hauteur réglementaire. Néanmoins, lorsque les plantations dépassent la hauteur maximale autorisée et que le propriétaire du fonds regardant n’exige pas leur réduction pour protéger sa vue, il sera contraint de supporter une telle atteinte irrégulière lorsqu’elle a duré au moins trente ans23. En d’autres termes, parce que l’ouvrage irrégulier portant atteinte à la vue a subsisté au cours d’une période trentenaire sans opposition du propriétaire du fonds regardant, il acquiert, grâce à la prescription, le droit d’être maintenu.

En définitive, dès lors que notre droit fait peser de manière générique sur les occupants de fonds voisins une interdiction de s’épier mutuellement et une obligation de supporter des atteintes à la vue, l’hypothèse d’un droit de vue est difficilement concevable. Cependant, si la vue fait l’objet de restrictions en droit, il ne faut pas oublier qu’elle peut éventuellement faire l’objet d’une protection. Est-il alors possible, en raison de cette protection juridique, de discerner un embryon de droit de vue ?

II – La vue objet de protection

La vue est une utilité du fonds qui dans certaines circonstances peut faire l’objet d’une protection juridique. Cette protection juridique peut exister avant même la survenance de comportements attentatoires à la vue, ou naître de la survenance de tels comportements lorsqu’ils sont, à la suite d’une action en justice, jugés intolérables. Dans la première hypothèse, on parlera d’une protection ex ante de la vue (A) et dans la seconde hypothèse, d’une protection ex post de la vue (B).

A – Une protection ex ante de la vue

Certaines restrictions imposées à la propriété privée dans un but d’utilité privée — on parlera de servitudes — ou dans un but d’utilité publique — on parlera de charges réelles24 ont pour finalité indirecte la sauvegarde de l’environnement extérieur. Dès lors, la simple existence de servitudes (1) et de charges réelles (2) ayant pour objet la restriction du droit de construire assurent une protection ex ante de la vue puisque ces servitudes et charges réelles empêchent la survenance de comportements attentatoires à la vue.

1 – Les servitudes, fondement d’une protection de la vue

Parmi les servitudes, celles dont l’objet concourt directement à la protection de l’environnement extérieur à l’instar des servitudes de ne pas bâtir (non aedificandi) ou de ne pas dépasser une certaine hauteur (non altius tollendi), permettent indirectement d’assurer une protection de la vue du voisinage. À côté de ces servitudes, il est également possible de façon générique d’assurer une protection de la vue par le truchement de l’obligation négative de ne pas rendre incommode l’exercice d’une servitude (C. civ., art. 701). Par exemple, si le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage est libre de construire sur son fonds, cette construction ne pourra être réalisée dans le passage sous peine de rendre incommode l’exercice d’une telle servitude. Ce qui signifie qu’indirectement, les occupants du fonds dominant voient leur vue sur le passage protégée par le biais des règles régissant les servitudes.

Mais la protection de la vue qui découle de la simple existence d’une servitude est en réalité très limitée. En effet, en tenant compte du fait que la servitude institue un rapport réel entre deux ou plusieurs fonds, on retient que seuls les propriétaires des fonds concernés peuvent, en cas de violation de la servitude, demander à ce qu’il soit mis fin à cette situation par le rétablissement des lieux ou l’interdiction de tout acte contrariant l’exercice de la servitude25. Par conséquent, il serait hasardeux de considérer que ce mécanisme de protection de la vue consacre un véritable droit de vue, car seuls les propriétaires de fonds dominants disposent en réalité d’une protection juridique de la vue ; eux seuls peuvent poursuivre en justice la violation de la servitude profitant à leurs fonds. Tel n’est en revanche pas la solution qu’on retient à propos des charges réelles qui constituent des restrictions apportées à la propriété privée dans un objectif de protection de l’intérêt général.

2 – Les charges réelles, fondement d’une protection de la vue

Au sein de l’abondante réglementation imposant des restrictions à la propriété immobilière dans un but d’utilité publique, il est possible de trouver des dispositions pouvant utilement servir à la protection de la vue des occupants d’un fonds. Les buts d’utilité publique justifiant l’imposition de ces restrictions sont divers ; la conservation du patrimoine, la rationalisation de l’utilisation des ressources naturelles, la défense nationale, la salubrité et la sécurité publique, le développement harmonieux des villes et agglomérations humaines, la protection de l’environnement, constituent autant d’objectifs dont la réalisation est jugée supérieure à l’intérêt privé des propriétaires fonciers. Parmi ces charges réelles instituées par l’administration, ce sont essentiellement celles qui imposent une restriction au droit de construire qui sont à même de garantir indirectement aux occupants d’un fonds une protection de la vue.

Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut mentionner à titre d’exemple, la prétendue servitude de visibilité qui impose aux propriétés riveraines ou voisines de croisements, virages, points dangereux, incommodes pour la circulation publique, soit une obligation de supprimer les murs de clôture ou plantations gênantes, soit une interdiction de bâtir, de placer des clôtures, de planter ou de réaliser une installation quelconque au-dessus d’un niveau fixé par un plan de dégagement prévu à l’article L. 114-3 du Code de la voirie routière (C. voirie routière, art. L. 114-1). Le but poursuivi par l’autorité publique est de garantir les conditions de vues satisfaisantes pour les usagers de la route, mais indirectement, le fonds voisin qui se trouve de l’autre côté du croisement bénéficie du dégagement visuel.

Dans le même ordre d’idées, on peut mentionner la prétendue servitude aéronautique de dégagement en vertu de laquelle l’autorité publique peut imposer aux propriétés se trouvant à l’intérieur d’une zone définie par un plan de dégagement, une interdiction d’ériger, au-delà d’une certaine hauteur, tout ouvrage ou une obligation de supprimer tout obstacle existant et considéré comme gênant pour la circulation aérienne (C. aviation, art. R. 241-1, 1°). Les propriétés à l’intérieur de la zone de dégagement bénéficient indirectement d’une protection de la vue sur l’horizon en raison de la servitude.

On peut aussi de manière générale renvoyer aux règles d’urbanisme qui restreignent le droit de propriété en subordonnant toute construction au sein d’une zone à une autorisation préalable de l’administration. Tel est par exemple le cas des propriétés faisant partie d’un site classé (C. envir., art. L. 341-10).

Il ressort de ces illustrations que la seule existence de restrictions au droit de construire constitue un moyen indirect de prévention des troubles visuels. Cependant, la protection de la vue qui découle de ces règles d’urbanismes et autres restrictions imposées à la propriété dans un but d’intérêt général ne serait pas effective si l’atteinte à la vue découlant de leur inobservation n’était pas sanctionnée. À ce propos, il convient de souligner qu’en l’absence de fonds dominant et parce que la restriction est imposée dans l’intérêt général, il est permis aux tiers lésés par l’inobservation d’une règle d’urbanisme ou d’une prétendue servitude d’utilité publique26, d’exercer devant le juge judiciaire une action en responsabilité civile aux fins d’obtenir des dommages-intérêts ou une action aux fins de démolition de l’ouvrage litigieux engendrant le trouble visuel. Autrement dit, le voisin d’une construction illicite peut invoquer en justice la violation d’une règle d’urbanisme afin de faire cesser un trouble visuel qui n’aurait jamais dû survenir si la règle invoquée avait été respectée. Toutefois, parce que le but du voisin qui défend sa vue est avant tout de faire cesser le trouble visuel en sollicitant une remise en état des lieux, l’action en démolition tout particulièrement (C. urb., art. L 480-13) retiendra notre attention au titre des garanties d’effectivité de la vue.

Pour prétendre tout d’abord à l’exercice de l’action en démolition, le demandeur doit se prévaloir d’un préjudice personnel et direct ; celui-ci peut par exemple résulter de la perte de vues27, de la perte d’ensoleillement28, de la perte d’intimité.

Pour prétendre ensuite au prononcé de la démolition par le juge judiciaire, le demandeur doit respecter trois conditions. La première consiste à invoquer la violation d’une règle d’urbanisme ou d’une prétendue servitude d’utilité publique pour fonder son action. La seconde consiste à prouver que le préjudice invoqué est imputable à la méconnaissance de la règle d’urbanisme ou de la prétendue servitude d’utilité publique invoquée. Sur ce point, il semblerait qu’après avoir eu une conception très stricte de la causalité en exigeant que le préjudice allégué corresponde au but particulier poursuivi par la règle méconnue29, la Cour de cassation tend désormais à un certain infléchissement30 qui la conduit à accepter que l’imputabilité du préjudice à la méconnaissance d’une servitude d’urbanisme puisse être partielle31 ; il n’est donc plus exigé que le préjudice allégué découle exclusivement de la violation de la règle invoquée. La dernière condition est relative à la construction litigieuse ; celle-ci doit impérativement être édifiée conformément à un permis de construire. Si tel est le cas, il résulte de l’article L. 480-13, 1° du Code de l’urbanisme que la démolition ne peut être prononcée par le juge civil que si, d’une part, la construction litigieuse a été réalisée dans une zone nécessitant une protection particulière — bande littorale de 100 m, secteurs des plans de prévention des risques, secteurs sauvegardés… — et que, d’autre part, l’annulation du permis de construire pour excès de pouvoir32 a été préalablement prononcée par la juridiction administrative33. L’action en démolition elle-même doit être formée dans un délai de deux ans suivant la décision définitive de la juridiction administrative.

Il devient donc difficile pour un voisin, en raison de toutes ces conditions, d’obtenir sur le fondement d’une violation des règles d’urbanisme ou de prétendues servitudes d’utilité publique, la démolition d’un ouvrage qui lui causerait un trouble visuel. En cas d’impossibilité à obtenir du propriétaire la démolition de la construction, une action en responsabilité civile pourra être exercée contre le constructeur dont le permis de construire a été annulé par le juge administratif. Cette action en responsabilité qui doit être engagée au plus tard deux ans après l’achèvement des travaux vise à réparer le préjudice causé par la construction illégale grâce au versement de dommages-intérêts (C. urb., art. L. 480-13, 2°). De ces observations, on retient que le droit positif, en cantonnant les situations dans lesquelles la démolition comme sanction du non-respect des règles d’urbanisme ou de prétendues servitudes d’utilité publique était encourue, se prive d’un moyen de pression efficace34 ; ce qui in fine rendra moins effectif le respect des restrictions administratives à la propriété privée35 et ruinerait par conséquent, l’objectif de prévention des troubles visuels.

En définitive, si certaines servitudes ou charges réelles constituent des moyens de prévention des troubles visuels, on ne peut raisonnablement retenir qu’elles instituent un véritable droit de vue ; la protection de la vue offerte par leur biais reste fragile, car dépourvue d’autonomie. En effet, l’effectivité de la prévention des troubles visuels qu’on retire de leur existence dépend de l’exercice des actions tendant à garantir le respect de ces servitudes ou charges réelles. La vue n’est jamais protégée à titre autonome, mais toujours de façon incidente. Pis, peu importe le temps pendant lequel ces servitudes ou charges réelles ont permis la jouissance d’une vue dégagée, les propriétaires du fonds regardant ne peuvent prétendre à une acquisition par prescription d’un droit de vue36.

Soulignons également qu’en l’absence de servitudes ou de charges réelles, il reste néanmoins possible d’obtenir une protection juridique de la vue sur le fondement de la responsabilité civile. Dans cette dernière situation, la protection juridique de la vue se fait ex post c’est-à-dire après une action en justice déclarant intolérable l’atteinte portée à la vue.

B – Une protection ex post de la vue

Même en l’absence de servitudes ou de charges réelles, il reste possible de protéger la vue lorsque le trouble visuel qu’éprouvent les occupants du fonds regardant est jugé intolérable. On sait que le souci de préservation de l’intimité a conduit le législateur, d’une part, à interdire les regards indiscrets sur les fonds voisins, et, d’autre part, à reconnaître au fonds regardé le droit de se défendre contre une intrusion visuelle en paralysant la vue du fonds regardant. Mais la défense de l’intimité du fonds regardé contre une intrusion visuelle est susceptible de dégénérer en abus ou en trouble anormal de voisinage. Autrement dit, il reste possible par le biais des théories de l’abus de droit (1) ou du trouble anormal de voisinage (2), d’assurer une protection juridique de la vue à titre non pas préventif, mais curatif ; cela suffit-il à l’émergence d’un droit de vue ?

1 – L’abus, fondement d’une protection de la vue

La défense du fonds regardé contre les instruisions visuelles est susceptible de dégénérer en abus. La caractérisation d’un tel abus et la sanction37 qui en découle permettent in fine de protéger la vue des occupants du fonds regardant. D’ailleurs, les arrêts fondateurs de la responsabilité pour exercice abusif du droit de propriété renseignaient déjà sur l’aptitude de ce mécanisme de responsabilité à participer efficacement à la protection de la vue. Ainsi, dans l’arrêt de la cour d’appel de Colmar de 185538, si la théorie de l’abus de droit a permis de condamner un propriétaire qui avait élevé une fausse cheminée dans le seul but de masquer le jour à son voisin, l’injonction de la cour aux fins de démolition de l’ouvrage litigieux permettait indirectement au voisin victime de ne plus subir un trouble visuel. On arrive également à la même conclusion à la suite d’une analyse de l’arrêt Clément-Bayard39. On signale encore qu’il arrive aux juges de protéger directement la vue par le biais de la théorie de l’abus de droit de propriété. Par exemple, la Cour de cassation a pu retenir dans un arrêt du 30 octobre 197240 que le propriétaire qui fait élever en face de la maison voisine, sans le prolonger au-delà, un mur surmonté d’un grillage supportant des plantes grimpantes devait être condamné pour exercice abusif du droit de propriété, car un tel dispositif privait le voisin de vue, de lumière et d’accès.

En pratique cependant, la théorie de l’abus de droit est très peu mobilisée au secours de la vue d’un fonds parce qu’elle nécessite, outre la caractérisation d’un préjudice en lien de causalité avec l’exercice d’un droit, de rapporter la preuve d’un abus dans l’exercice de ce droit. Concernant la caractérisation de l’abus, la jurisprudence retient que c’est l’intention de nuire qui rend abusif l’exercice d’un droit. Et, pour qualifier l’intention de nuire, les juges se fondent en général sur deux séries de constatations matérielles ; ils recherchent, d’une part, si l’acte posé au titre de l’exercice du droit est inutile pour son auteur et, d’autre part, s’il est nuisible pour les tiers41. Donc, il suffit que le comportement litigieux, même nuisible aux tiers, présente une quelconque utilité pour son auteur pour voir celui-ci échapper à une éventuelle responsabilité. La preuve de l’intention de nuire est un obstacle non dirimant, mais difficile à surmonter. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les plaideurs qui espèrent protéger la vue d’un fonds en présence d’un trouble visuel se détournent de l’abus du droit de propriété au profit du trouble anormal de voisinage.

2 – Le trouble anormal, fondement d’une protection de la vue

Par le biais de la théorie des troubles du voisinage, il est sans doute plus aisé d’assurer la protection de la vue. En effet, peu importe qu’on soit en présence d’une construction respectueuse des prescriptions légales et réalisée conformément à un permis de construire, du moment où les occupants du fonds voisin42, en raison de la construction ou des travaux, subissent un trouble anormal dans la jouissance de leurs droits, ils peuvent obtenir du juge une réparation du préjudice subi43. Cette réparation peut se faire soit en nature — démolition et remise en état des lieux — soit par équivalent — versement de dommages-intérêts —44. D’ailleurs, si les conditions d’une responsabilité pour trouble anormal du voisinage sont remplies, le juge est libre d’ordonner la démolition de l’ouvrage litigieux, même si une telle sanction était proscrite par les règles d’urbanisme (C. urb., art. L. 480-13)45. Ceci s’explique tout simplement par l’autonomie de l’action civile en responsabilité par rapport aux règles d’urbanisme.

À la suite de ces précisions, il convient de recentrer l’analyse sur la protection de la vue en déterminant les conditions auxquelles un trouble visuel, aussi licite soit-il, peut être jugé anormal. Même si l’appréciation de la normalité ou de l’anormalité du trouble relève du pouvoir souverain des juges du fonds46, ces derniers généralement procèdent à une appréciation in abstracto du trouble puis à une appréciation in concreto.

L’appréciation in abstracto, tout d’abord, vise à mesurer le caractère excessif du trouble sans le replacer dans son contexte. Elle est réalisée à l’aide des critères cumulatifs47 de gravité48 et de continuité49. En d’autres termes, si le trouble visuel est grave et continue, il est considéré comme excessif. Par exemple, il a été jugé que n’est pas suffisamment grave, le dommage constitué par la perte, en position assise, d’une vue sur la mer à partir de la terrasse du fonds regardant, du moment qu’une telle vue s’exerce toujours sans effort en station debout50 ; partant, l’atteinte à la vue n’est pas constitutive d’un trouble anormal et devra être supportée. Même si théoriquement la seule atteinte à la vue est susceptible de satisfaire aux exigences de gravité et de continuité, très souvent, pour retenir une responsabilité sur le fondement du trouble anormal du voisinage suite à l’édification d’une construction, les juges ont tendance à associer à la perte de la vue, d’autres nuisances découlant de la modification de l’environnement extérieur. Ainsi, pour retenir l’existence d’un trouble dont l’ampleur excède les inconvénients normaux du voisinage, sont souvent associés à la perte de vue, la perte d’ensoleillement, la difficulté d’aération, l’impossibilité d’exercer une activité économique en raison de la construction litigieuse51, l’impossibilité d’accéder à certaines parties du fonds regardant, la perte de la valeur vénale du fonds regardant en raison d’une vue inesthétique52 ou d’une vue obstruée53. Ce qui tend encore à confirmer que la vue est rarement protégée de manière autonome.

L’appréciation in concreto, ensuite, vise à replacer le trouble dans son environnement de survenance pour en caractériser l’anormalité. Pour ce faire, le juge a recours aux critères de temps et de lieu54. Ainsi, le caractère anormal du trouble visuel doit être apprécié en fonction du contexte local, des modes de jouissance habituels du secteur, de la particularité des lieux. Ce qui signifie qu’une telle appréciation ne se fera pas de la même façon en zone urbaine et en zone rurale. En milieu urbain, les propriétaires en raison de la densité des constructions doivent normalement s’attendre à voir leur vue obstruée par l’édification d’une construction sur le fonds voisin55, tandis qu’en milieu rural, ces mêmes propriétaires pouvaient légitimement, en raison de la faible densité des constructions, s’attendre à conserver une vue dégagée, même s’il n’est pas reconnu un droit acquis à une telle vue. Par exemple, la Cour de cassation a pu retenir que le propriétaire d’un lot dans un lotissement doit s’attendre à ce que les autres lots soient un jour construits. Dès lors, la perte de vue sur la mer ne constitue pas un trouble anormal du voisinage56.

Si le trouble visuel est jugé grave en raison de son ampleur et son anormalité retenue dans la situation litigieuse, son auteur sera condamné à la démolition de l’ouvrage litigieux ou au versement de dommages-intérêts. Ce qui revient indirectement à assurer la protection de la vue des occupants du fonds victime puisque le juge, en prononçant une condamnation, refuse qu’on puisse stériliser le fonds de la victime d’une utilité concrète qu’est la vue. De manière générale, lorsque la protection de la vue découle des mécanismes du droit de la responsabilité civile, tant que le juge n’aura pas dans une espèce donnée retenu la responsabilité de l’auteur d’une atteinte à la vue, aucune protection de la vue n’est garantie par le droit ; c’est donc l’atteinte jugée illégitime à la vue qui fait naître la protection juridique. Partant, il est donc impossible de retenir l’existence d’un authentique droit de vue par le biais de la théorie de l’abus de droit ou des troubles anormaux du voisinage.

En guise de conclusion à cette étude, soulignons que si la tentation de discerner un droit de vue est grande en raison des aspirations au confort57, ou au bien-être personnel58, il n’existe pas en droit positif un véritable droit de vue. Au contraire, c’est vers un « droit de non-vue » que tend le droit positif. D’ailleurs, la vue si elle vient à être protégée ne l’est qu’indirectement par le biais de mécanismes juridiques qui n’ont pas pour vocation première de la garantir. La vue constitue donc une utilité d’un fonds que le législateur stérilise souvent, mais tolère quelques fois à la suite d’une conciliation des différents intérêts en présence. Si la quête de droits nouveaux est une des caractéristiques du droit contemporain59, à l’heure actuelle, la possibilité de contempler le paysage sans éprouver de trouble visuel constitue plus une tolérance du droit des biens qu’un droit subjectif nouveau.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Je déteste la montagne, ça cache le paysage », Delbourg P., Comme disait Alphonse Allais, 2005, éd. Écriture, p. 199.
  • 2.
    Sur la question, v. par ex., Frank E.-E., « La vue sur l’horizon est-elle protégée par la loi ? », D. 1985, Chron. XLII, p. 249 et s.
  • 3.
    Dictionnaire de la langue française, Larousse, V° « Vue », sens 3.
  • 4.
    La vue au sens de panorama est envisagée ici comme une utilité attachée à un fonds.
  • 5.
    Dross W., Droit des biens, 2014, 2e éd., LGDJ, p. 304, n° 370.
  • 6.
    Au sens du Code civil, on définit généralement la vue comme une ouverture laissant passer l’air, la lumière et les regards (v. par ex., Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, 2e éd., 2010, LGDJ, n° 374, p. 425 ; pour une distinction entre les vues et les jours, v., Godfrin G., « Vues et jours : l’espoir d’y voir clair », Constr.-Urb. 2010, étude 1).
  • 7.
    Pour une analyse similaire, v., Dross W., Droit civil, Les choses, 2012, LGDJ, p. 682, n° 370. L’auteur souligne que l’intention du législateur est de « stériliser une utilité du fonds servant (celle qui consiste à pouvoir construire en intégrant dans cette construction toute fenêtre que l’on souhaite) dans l’intérêt du terrain voisin (fonds dominant), afin que ce terrain offre à son propriétaire la possibilité d’y vaquer sans être constamment épié ».
  • 8.
    À propos des ouvrages concernés par la servitude de vue, le Code civil à l’article 678 ne cite que les fenêtres et balcons. Mais la jurisprudence a toujours considéré que cette liste n’était pas exhaustive et que les limites de création des vues s’appliquaient également aux terrasses et exhaussements. V. par ex., Cass. 3e civ., 22 sept. 2016, n° 15-19790 ; Cass. 3e civ., 29 nov. 1983, n° 82-14155 : Bull. civ. III, n° 247.
  • 9.
    On parlera de vue droite lorsque l’axe de l’ouvrage fictivement prolongé atteint le fonds voisin, offrant ainsi aux occupants du fonds regardant, la possibilité de porter un regard indiscret sur le fonds contigu en se plaçant simplement dans l’axe de l’ouvrage.
  • 10.
    Les règles de calcul de ces distances sont loin d’être évidentes. V. par ex., Malinvaud P. (dir.), Droit de la construction, 2013, Dalloz Action, nos 490.760 et 490.780.
  • 11.
    On parlera de vue oblique lorsque l’axe de l’ouvrage fictivement prolongé, tout en n’atteignant pas le fonds voisin, rend néanmoins possible l’exercice d’un regard indiscret par les occupants du fonds regardant sur le fonds contigu, lorsque ces derniers se penchent ou se mettent de côté.
  • 12.
    En présence de vues irrégulières, sauf à invoquer un titre, une destination du père de famille, une prescription acquisitive, le non-respect des règles du Code civil en matière de vue rend légitime la demande de suppression de ces vues. Néanmoins, d’après une jurisprudence constante, il semblerait que les juges du fond disposent en la matière d’un pouvoir souverain d’appréciation leur permettant d’aménager la sanction (Cass. 3e civ., 19 févr. 1971, n° 69-13210 : Bull. civ. III, n° 133) en refusant la démolition de l’ouvrage irrégulier, s’il apparaît en l’espèce que des travaux portant sur l’ouvrage en cause sont susceptibles d’interdire toute vue sur le fonds voisin (Cass. 3e civ., 11 mars 1970, n° 68-10040 : Bull. civ. III, n° 187).
  • 13.
    Malinvaud P. (dir.), Droit de la construction, op. cit., p. 800, n° 490. V. déjà, Aubry et Rau, Droit civil français, 7e éd., par Esmein P., t. II, p. 298.
  • 14.
    V. par ex., Dross W., Droit civil, Les choses, op. cit., p. 684, n° 370-4.
  • 15.
    La servitude légale de vue des articles 645 à 649 du Code civil ne s’applique qu’aux propriétés contiguës (Cass. 3e civ., 22 mars 1989, n° 87-16753 : Bull. civ. III, n° 74 ; RTD civ. 1991, p. 147, obs. Zénati F. — Cass. 3e civ., 3 oct. 2000, n° 98-20345).
  • 16.
    V. par ex., Cass. 3e civ., 2 mai 2007, n° 06-13778 ; Cass. 3e civ., 28 sept. 2005, n° 04-13942 : JCP G 2006, p. 610, chron. Périnet-Marquet H. ; RDI 2006, p. 43, note Trébulle F.-G.
  • 17.
    V. par ex., Dross W., Droit civil, Les choses, op. cit., p. 684, n° 370-4. Se référer également à la jurisprudence citée par l’auteur.
  • 18.
    Cass. 3e civ., 13 sept. 2011, nos 10-21467 et 10-24717. Rappr. Cass. 3e civ., 21 oct. 2009, n° 08-16692 : Bull. civ. III, n° 231.
  • 19.
    Sur ce droit, v. par ex., Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, 2e éd., 2010, LGDJ, p. 198, nos 163 et s. ; Grimaldi C., Droit des biens, 2016, LGDJ, p. 330, nos 282 et s. — Malaurie P., Aynès L., Les biens, 6e éd., 2015, p. 317, nos 1011 et s.
  • 20.
    V. déjà, Aubry et Rau, Droit civil français, 7e éd. par Esmein P., 1961, Paris, Librairies Techniques, t. II, p. 298.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 21 oct. 2009, n° 08-16692, préc.
  • 22.
    Cass. 3e civ., 21 oct. 2009, n° 08-16692, préc. ; Cass. 3e civ., 13 sept. 2011, nos 10-21467 et n° 10-24717, préc.
  • 23.
    C. civ., art. 672. Pour une application jurisprudence de la prescription trentenaire, v. par ex., Cass. 3e civ., 8 déc. 1981, n° 81-14743 : Bull. civ. III, n° 207 ; RTD civ. 1982, p. 436, obs. Giverdon C. — Cass. 3e civ., 13 juin 2007, n° 06-14376 : JCP G 2007, I 197, n° 13, obs. Périnet-Marquet H. ; AJDI 2007, p. 770, obs. Prigent S.
  • 24.
    Faute généralement de fonds dominant identifiable, la doctrine refuse de qualifier de « servitudes », les charges d’utilité publique (v. déjà, Beudant R. et Lerebours-Pigeonnière P., « Cours de droit civil français », Les biens, 1938, Paris, t. IV, n° 499 ; Marty G. et Raynaud P., Les biens, 1980, Sirey, n° 144-1 ; Terré F. , Simler P., Droit civil, Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 340 ; Malaurie P. et Aynès L., Les biens, op. cit., nos 1190 et s.). Aussi longtemps qu’on continuera à analyser la servitude comme une relation entre deux fonds, parler de servitude à propos d’une charge d’utilité publique constitue un abus de langage. Pour éviter cette qualification impropre, nous reprendrons ici la proposition d’éminents auteurs suivant laquelle, ces prétendues servitudes doivent être qualifiées de charges réelles (Beudant R. et Lerebours-Pigeonnière P., Cours de droit civil français, op. cit., t. IV, n° 499). Pour ces auteurs, on doit opérer une distinction entre les servitudes proprement dites ou services fonciers et les charges réelles établies non pas au profit d’un fonds, mais dans l’intérêt général.
  • 25.
    V. par ex. Terré F., Simler P., Droit civil, Les biens, op. cit., n° 912 ; Dross W., Droit civil, Les choses, op. cit., p. 132, n° 71-2.
  • 26.
    Jusqu’à l’arrêt du 9 juin 1959 « SCI Terrasse royale » (Cass. 1re civ., 9 juin 1959 : Bull. civ. I, n° 291 ; AJPI 1959, p. 122, note M. S. ; Gilli J.-P. , Charles H. et de Lanversin J., Les grands arrêts du droit de l'urbanisme, 1996, Dalloz, p. 153 et s., 543 et s.), la Cour de cassation avait toujours refusé de reconnaître à un particulier, le droit d'exiger dans son propre intérêt, le respect des règles d'urbanisme.
  • 27.
    Cass. 3e civ., 2 juill. 1974, n° 73-10858 : Bull. civ. III, n° 282 ; D. 1975, p. 61, note Frank E.-E.
  • 28.
    Cass. 3e civ., 2 déc. 1975, n° 74-11915 : Bull. civ. III, n° 357 ; Defrénois 15 mars 1976, n° 31066, p. 409, note Frank E.-E.
  • 29.
    La Cour de cassation (Cass. 3e civ., 3 mars 1981, n° 79-16684 : Bull. civ. III, n° 44) a pu retenir par exemple qu’il n’y avait pas de relation directe de cause à effet entre la violation d’une règle de reculement prescrite à l’article R. 111-19 du Code de l’urbanisme et le préjudice causé au propriétaire d'un terrain voisin par les vues plongeantes pouvant s'exercer sur sa propriété.
  • 30.
    Pour un tel constat, v. Jacquot H. et Priet F., Droit de l’urbanisme, 2015, Dalloz, n° 1028.
  • 31.
    La Cour de cassation (Cass. 3e civ., 30 sept. 1998, n° 96-19771 : Bull. civ. III, n° 185 ; RDI 1998, p. 608, obs. Bergel J.-L.) a pu retenir par exemple que les nuisances phoniques et la perte d’ensoleillement du fonds du demandeur trouvaient essentiellement leur explication dans l’édification d’une construction à 5 mètres de la ligne séparatrice en violation de la prescription d’urbanisme qui imposait un recul minimum de 13,5 mètres alors même que ces nuisances étaient partiellement imputables à la violation de cette règle d’urbanisme.
  • 32.
    Les cas d’annulation sont ceux du droit commun : l'incompétence, le vice de forme, le vice de procédure, la violation de la loi, le détournement de pouvoir. V. par ex., Chrétien P., Chifflot N. et Tourbe M., Droit administratif, 2014, Sirey, p. 715 et s. ; Chapus R., Droit administratif général, 2009, Montchrestien, t. 1, p. 1023, n° 1213.
  • 33.
    La réservation de l'action en démolition aux constructions réalisées dans certaines zones listées à l’article L.  480-13 du Code de l’urbanisme résulte de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016. Pour une appréciation critique de ce nouveau dispositif, v. par ex., Billet P., « Le cantonnement des démolitions, espoir pour l'illégalité ou désespoir des requérants abusifs », RDI 2015, p. 221 ; Gillig D., « L'action civile en démolition de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme : le serpent de mer du droit de l'urbanisme ? », Constr.-Urb. 2015, alerte 55 ; Périnet-Marquet H., « Macron Démolition ! Non, au contraire… », Constr.-Urb. 2015, repère 2.
  • 34.
    N’oublions pas qu’il existe aussi dans le Code de l’urbanisme un dispositif pénal qui permet de sanctionner les constructeurs, bénéficiaires des travaux, architectes et autres personnes en cas d’exécution des travaux en méconnaissance des prescriptions légales ou réglementaires (C. urb., art. L. 480-4).
  • 35.
    Pour un constat similaire, v., Périnet-Marquet H., « Macron Démolition ! Non, au contraire… », op. cit. L’auteur fait remarquer à juste titre que s’il est « possible à un constructeur d’acheter, en quelque sorte, la violation d’une règle de fond d’urbanisme en indemnisant ceux qui en subissent les conséquences (…) la loi fait donc peser une menace sur ce que l’on pourrait appeler l’environnement ordinaire, qu’il soit urbain ou rural, auquel il pourrait être porté atteinte en vertu d’un permis illégal, sans crainte de voir le bâtiment réalisé détruit ».
  • 36.
    Cass. 3e civ., 21 oct. 2009, n° 08-16692, préc. ; Cass. 3e civ., 13 sept. 2011, nos 10-21467 et 10-24717, préc.
  • 37.
    Pour sanctionner l’abus du droit de propriété, la réparation du dommage causé et la remise en état des lieux notamment par le biais d’une démolition des ouvrages litigieux sont souvent prononcées. V. déjà Cass. req., 3 août 1915 préc. V. aussi, Cass. 3e civ., 2 nov. 2005, n° 04-15590.
  • 38.
    CA Colmar, 2 mai 1855 : D. 1856, II, p. 9.
  • 39.
    Cass. req., 3 août 1915 : GAJ civ., n° 60. Dans cet arrêt, l’abus du droit de propriété permit de condamner un propriétaire à retirer de sa propriété des carcasses en bois de 16 mètres de hauteur surmontées de tiges de fer de 2 à 3 mètres qui rendaient incommode les activités de manœuvres de dirigeables du voisin. Indirectement, une telle condamnation permettait au voisin de ne plus subir une vue rendue inesthétique par le dispositif litigieux.
  • 40.
    Cass. 3e civ., 30 oct. 1972, n° 71-13473 : Bull. civ. III, n° 576.
  • 41.
    V. par ex., Cornu G., Les biens, 13e éd., 2007, Montchrestien, p. 90 et s. ; Strickler Y., Les biens, 2006, PUF, p. 333 et s.
  • 42.
    L’action est ouverte à tout occupant d’un immeuble qu’il soit propriétaire ou simple locataire (v. par ex., Cass. 1re civ., 18 juill. 1961 : Bull. civ. I, n° 411 ; JCP G 1961, II 12301, note Esmein P. ; RTD civ. 1962, p. 120, obs. Tunc A. — Cass. 2e civ., 17 mars 2005, n° 04-11279 : D. 2005, p. 2357, obs. Reboul-Maupin N. ; RDI 2005, p. 197, note Trébulle F.-G.).
  • 43.
    Il a par exemple été jugé que l’existence d’une autorisation administrative n’empêche nullement l’exercice d’une action pour trouble anormal du voisinage (Cass. 1re civ., 15 mai 2001, n° 99-20339 : Bull. civ. I, n° 135 — Cass. 1re civ., 13 juill. 2004, n° 02-15176 : Bull. civ. I, n° 209).
  • 44.
    La Cour de cassation laisse aux juges du fond le pouvoir d’ordonner soit la cessation du trouble par la démolition de l’ouvrage litigieux, soit le versement de dommages-intérêts (v. par ex., Cass. 2e civ., 9 oct. 1996, n° 94-16616 : Bull. civ. II, n° 231). Sur la sanction du trouble anormal du voisinage, v. Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, op. cit., p. 134 et s.
  • 45.
    V. par ex., Cass. 3e civ., 20 juill. 1994, n° 92-21801 : JCP G 1995, I 3835, obs Périnet-Marquet H.
  • 46.
    V. par ex., Cass. 2e civ., 30 mai 1969 : JCP G 1969, II 16069, note Mourgeon L. — Cass. 3e civ., 3 nov. 1977, n° 76-11047 : Bull. civ. III, n° 367 ; D. 1978, p. 434, note Caballero F.
  • 47.
    « Les troubles de voisinage supposent un dommage continu, ce qui ne veut pas dire permanent, mais durable ou fréquent. Cela exclut des dommages ponctuels, quelle que soit leur gravité ». Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, op. cit., p. 132.
  • 48.
    V. par ex., Cass. 2e civ., 19 févr. 1992, n° 90-21072 : Bull. civ. II, n° 60 ; D. 1993, Somm., p. 300, obs. Robert A.
  • 49.
    V. par ex., Cass. 2e civ., 5 févr. 2004, n° 02-15206 : Bull. civ. II, n° 49 ; D. 2004, p. 2468, obs. Reboul-Maupin N. ; RDI 2004, p. 258, obs. Trébulle F.-G. ; RTD civ. 2004, p. 740, obs. Jourdain P.
  • 50.
    Cass. 3e civ., 10 oct. 2012, n° 11-23090.
  • 51.
    Cass. 2e civ., 12 janv. 1966 : D. 1966, p. 473.
  • 52.
    Cass. 3e civ., 3 mars 1999, n° 96-18493 ; Cass. 3e civ., 27 janv. 1993, n° 91-18966 ; CA Riom, 21 oct. 1999 : JCP G 2000, I 265, p. 1917, obs. Périnet-Marquet H.
  • 53.
    Pour illustrer cette tendance, voir par exemple un arrêt de la cour d’appel de Riom qui combine la perte de la vue, la perte d’ensoleillement, la perte de la valeur vénale du fonds regardant en raison du caractère inesthétique de la construction érigée sur le fonds regardé pour retenir l’existence d’un préjudice dont l’ampleur excède les inconvénients normaux du voisinage (CA Riom, 21 oct. 1999, préc.). Voir plus récemment un arrêt de la Cour de cassation qui combine la perte d’une vue latérale sur la Seine à l’impossibilité pour les propriétaires du fonds regardant d’accéder à leur mur pignon (Cass. 3e civ., 26 mai 2016, n° 14-24686).
  • 54.
    Cass. 2e civ., 22 janv. 1969 : Bull. civ. II, n° 25 — Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 : Bull. civ. III, n° 367 ; D. 1978, p. 434, note Caballero F.
  • 55.
    Voir en ce sens, CA Rouen, 16 oct. 1984, Société H.L.M. de Normandie c/ époux Perchet : Gaz. Pal. 1986, 1, som., p. 38 : « Les demandeurs ne sauraient soutenir qu’il y a un dépassement des inconvénients normaux du voisinage, bien qu’ils bénéficiaient avant la construction litigieuse d’une vue qui s’étendait à plusieurs kilomètres, dès lors que, leur habitation se trouvant dans la zone constructible d’une agglomération, la vue dont ils jouissaient se trouvait virtuellement compromise, dès l’instant où le POS pouvait la limiter réglementairement ».
  • 56.
    Cass. 1re civ., 8 juin 2004, n° 02-20906 : RDI 2004, p. 347, chron. Trébulle F.-G.
  • 57.
    « Vivre à la lumière du jour, bénéficier de l’ensoleillement, pouvoir aérer son lieu de vie, sont des agréments de plus en plus recherchés ; ajoutons la possibilité de contempler un beau paysage ». Robert A., « Les jours et les vues », RDI 1992, p. 467.
  • 58.
    Danielle Steel (Le fantôme, 2003, Presses de la cité) n’affirmait-elle pas qu’ « il est des paysages qui guérissent de toutes les blessures » ?
  • 59.
    Carbonnier J., Droit et passion du droit sous la Ve République, rééd. 2008, Flammarion, p. 121 et s.
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