Le droit du propriétaire à la démolition de tout empiétement

Publié le 23/05/2018

Le propriétaire a droit à la démolition de tout empiétement sans que son action puisse donner lieu à abus ou être soumise à un contrôle de proportionnalité.

Cass. 3e civ., 21 déc. 2017, no 16-25406

Proclamé solennellement dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 comme un « droit inviolable et sacré »1, le droit de propriété est conçu comme une déclinaison de la liberté2 : le propriétaire peut « jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue »3. La propriété est ainsi un espace de liberté4, un contenant sans contenu précisément défini5. « Rapport exclusif d’une personne sur un bien »6, le droit de propriété est caractérisé par l’exclusivisme7, lequel permet d’écarter tous les tiers, le propriétaire ayant vocation à profiter seul de toutes les utilités de la chose.

L’article 544 du Code civil précise toutefois que la loi ou les règlements sont susceptibles de limiter les prérogatives du propriétaire afin de prendre en compte l’intérêt général. De telles limitations ne remettent pas en cause l’existence du droit de propriété, lequel est « non pas le droit de tirer d’une chose tous ses services sans exception, mais tous ses services sauf exceptions »8. Le propriétaire est celui qui a vocation, un jour, à recouvrer toutes les utilités de sa chose. Il importe peu qu’actuellement ses prérogatives soient réduites, même fortement. Toutefois, à moins d’y avoir librement consenti, le propriétaire n’est tenu de souffrir de telles limitations de ses pouvoirs que si la loi ou le règlement l’y oblige. Nul ne peut le contraindre à le laisser accéder aux utilités de son bien. Ainsi, le propriétaire n’a pas à supporter que des plantations ou constructions dépassent sur son fonds. Il est en droit d’obtenir la démolition de tout empiétement, et ce quelles que soient les circonstances, comme le confirme l’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 21 décembre 2017.

Condamnés à détruire les constructions dépassant sur le terrain adjacent, les auteurs de l’empiétement contestaient, dans leur pourvoi en cassation, la rigueur de la sanction prononcée par les juges du fond. Ils avançaient, d’une part, que la démolition était une sanction disproportionnée, eu égard au caractère minime de l’empiétement et au fait qu’il s’agissait du mur porteur d’une maison d’habitation. Ils invoquaient, d’autre part, un comportement fautif de leur voisin.

Rejetant leur pourvoi, la Cour de cassation confirme, que « tout propriétaire est en droit d’obtenir la démolition d’un ouvrage empiétant sur son fonds, sans que son action puisse donner lieu à faute ou à abus ». Elle précise en outre que « l’auteur de l’empiétement n’est pas fondé à invoquer les dispositions de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dès lors que l’ouvrage qu’il a construit méconnaît le droit au respect des biens de la victime de l’empiétement ».

La protection du droit de propriété est ainsi confortée, en ce qu’elle ne peut jamais être fautive (I) ni être soumise à un contrôle de proportionnalité (II).

I – La protection du droit de propriété, exclusive de toute faute du propriétaire

Bien que le Code civil ne prévoie expressément que la destruction des empiétements végétaux9, la Cour de cassation a étendu cette sanction aux empiétements artificiels. Distinguant clairement empiétement et construction entièrement réalisée sur le terrain d’autrui, elle écarte en effet l’application de l’article 555 du Code civil10. Peu importe la bonne ou la mauvaise foi du constructeur : la victime de l’empiétement peut, dans tous les cas, obtenir la démolition de ce qui dépasse sur sa propriété. Il s’agit là de protéger la maîtrise absolue et exclusive du propriétaire sur son bien11. L’article 544 du Code civil devrait ainsi fonder la solution12. La Cour de cassation préfère cependant viser l’article 545 du même code13, aux termes duquel : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité »14. Une telle assimilation de l’empiétement à une privation de propriété est pourtant discutable15. L’empiètement constitue seulement un obstacle de fait à l’exercice du droit de propriété, l’envahisseur ne devenant pas propriétaire du sol sur lequel la construction a été en partie réalisée.

Si la bonne foi du constructeur n’est pas prise en compte, la mauvaise foi du propriétaire victime de l’empiétement ne l’est pas davantage16 : aucune faute ne peut lui être reprochée. Ainsi, en l’espèce, les auteurs de l’empiétement soutenaient que leur voisin avait adopté un comportement fautif en attendant que la construction du mur de clôture et du bâtiment soit achevée pour leur signaler le problème et en refusant ensuite toute solution amiable au conflit. Sa persistance à solliciter la démolition en dépit des faibles dimensions de l’empiétement et de l’absence de gêne occasionnée serait, selon eux, constitutive d’un abus de droit. Depuis l’arrêt Clément-Bayard de 191517, l’abus de droit est en effet caractérisé lorsqu’un acte est réalisé par un propriétaire avec l’intention de nuire à autrui18. Le propriétaire fautif engage sa responsabilité civile envers la victime19. Toutefois, seul l’usage du droit de propriété peut donner lieu à un abus, et non sa protection20 : la Cour de cassation rappelle régulièrement que « la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus »21. Le pourvoi ne pouvait donc qu’être rejeté en l’espèce, la troisième chambre civile refusant par ailleurs tout contrôle de proportionnalité en la matière.

II – La protection du droit de propriété, exclusive de tout contrôle de proportionnalité

Les auteurs de l’empiétement reprochaient également aux juges du fond de ne pas avoir réalisé de contrôle de proportionnalité : le droit de leur voisin à la démolition du mur dépassant sur son fonds aurait dû être concilié avec leur propre droit au maintien du bâtiment, en application de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, relatif au droit au respect des biens. S’agissant en l’espèce d’un mur porteur, sa destruction emporterait nécessairement celle de toute la maison et serait dès lors disproportionnée eu égard au caractère minime de l’empiétement.

Si la Cour de cassation se montre, certes, de plus en plus favorable à un contrôle de proportionnalité22, elle confirme ici clairement son refus de l’étendre à la défense du droit de propriété23. Il est de jurisprudence constante que « peu importe la mesure de l’empiétement »24 : ses faibles dimensions ne constituent pas un obstacle à la démolition25. Les propriétaires du fond empiété ont droit à la remise en état, et ce quelles qu’en soient les conséquences26 : le fait que la destruction de l’empiétement conduise inéluctablement à la ruine du bâtiment tout entier n’est pas non plus dirimant. Contrairement à ce que soutenaient les auteurs de l’empiétement, un simple dédommagement financier n’est jamais concevable27, à moins bien entendu que le propriétaire y consente.

Aussi sévère que puisse paraître la destruction de l’empiétement, elle est la seule sanction à même d’assurer au propriétaire un rapport d’exclusivité sur son bien28. Seule la partie de la construction réalisée au-delà de la limite séparative des deux fonds doit cependant être supprimée : tout ce qui ne dépasse pas sur le fond adjacent peut être conservé29. On ne saurait voir là un assouplissement jurisprudentiel ouvrant la voie à un contrôle de proportionnalité30. Il s’agit seulement de restreindre la sanction à ce qui est nécessaire pour assurer la protection du droit de propriété.

L’avant-projet de réforme du droit des biens, réalisé par l’association Henri Capitant, propose de limiter le droit de demander la remise en l’état en cas d’empiétement non intentionnel de faible dimension. Aux termes de son article 539, « le propriétaire victime d’un empiétement non intentionnel sur son fonds, ne peut, si celui-ci est inférieur à 0,30 mètre, en exiger la suppression que dans le délai de 2 ans de la connaissance de celui-ci sans pouvoir agir plus de 10 ans après l’achèvement des travaux ». La construction, pourtant édifiée sur le terrain d’autrui, ne pouvant alors plus être détruite, le projet suggère de permettre au juge de transférer la propriété de la fraction du sol, objet de l’empiétement, moyennant indemnisation31. Discutable, une telle limitation du droit de défendre sa propriété nécessiterait une intervention législative, laquelle n’est apparemment pas à l’ordre du jour32.

Notes de bas de pages

  • 1.
    DDHC, art. 17.
  • 2.
    Bioy X., Droits fondamentaux et libertés publiques, 4e éd., 2016, LGDJ, p. 784.
  • 3.
    C. civ., art. 544.
  • 4.
    David A., « Les biens et leur évolution », APD 1963, t. 8, p. 166-167.
  • 5.
    Zenati F., « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ. 1993, p. 315 ; Libchaber R., « La recodification du droit des biens », in Le Code civil, 1804-2004, livre du bicentenaire, 2004, Dalloz-Litec, n° 8, p. 306 ; Aubry C. et Rau C., Cours de droit civil français d’après la méthode de Zacharie, t. 2, par. Bartin E., 6e éd., 1935, Librairie Marchal et Billard, p. 248, § 190.
  • 6.
    Zenati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, PUF, p. 259, n° 163.
  • 7.
    Zenati F., Essai sur la nature juridique de la propriété. Contribution à la théorie du droit subjectif, thèse, 1981, Lyon III, p. 541, n° 399 ; Mousseron J.-M., Raynard J. et Revet T., « De la propriété comme modèle », in Mélanges offerts à André Colomer, 1993, Litec, p. 281, n° 17.
  • 8.
    de Vareilles-Sommières M., « La définition et la notion juridique de la propriété », RTD civ. 1905, p. 447.
  • 9.
    C. civ., art. 673.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 5 mars 1970, n° 68-13.490 : Bull. civ. III, n° 176 – Cass. 3e civ., 30 oct. 2013, n° 12-22169 : RTD civ. 2014, p. 147, obs. Dross W.
  • 11.
    Ce qui explique que l’action en démolition d’un empiétement soit imprescriptible : Cass. 3e civ., 30 juin 2010, n° 09-16957 : Bull. civ. III, n° 137 ; D. 2011, p. 148, note Mémeteau G. La seule limite est la possibilité, pour l’envahisseur, de faire échec à la démolition en acquérant la propriété du terrain sur lequel l’empiétement a été réalisé par la voie de l’usucapion : Cass. 3e civ., 17 févr. 2015, n° 13-26678 : RLDC 2015, n° 127, p. 75, obs. Perruchot-Triboulet V.
  • 12.
    Dross W., Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, n° 404-1, p. 740.
  • 13.
    Cass. 3e civ., 5 mars 1970, préc. ; Cass. 3e civ., 7 juin 1990, n° 88-16277 : Bull. civ. III, n° 140 ; RTD civ. 1991, p. 562, obs. Zenati F. – Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n° 00-16015 : RTD civ. 2002, p. 333, obs. Revet T. – Cass. 3e civ., 20 janv. 2009, n° 07-21758 ; Cass. 3e civ., 23 juin 2009, n° 08-16184 ; Cass. 3e civ., 15 juin 2011, n° 10-20337 ; Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-19561 : JCP G 2016, p. 2196, obs. Dubarry J. ; Gaz. Pal. 16 mai 2017, n° 294a7, p. 63, obs. Dross W. ; RDC 2017, n° 114g9, p. 349, obs. Tadros A.
  • 14.
    Dans le même sens, DDHC, art. 17.
  • 15.
    Dross W., « Où en est-on de la sanction de l’empiétement ? Démolition, astreinte, proportionnalité et constitutionnalité », Gaz. Pal. 16 mai 2017, n° 294a7, p. 63 ; Dross W., Droit civil. Les choses, op. cit., n° 404-1, p. 740 ; Zenati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, PUF, p. 231, n° 148 b.
  • 16.
    Cass. 3e civ., 20 janv. 2009, n° 07-21758, préc.
  • 17.
    Cass. req., 3 août 1915 : DP 1917, 1, p. 79 ; GAJC, t. 1, n° 69.
  • 18.
    L’intention de nuire est par exemple caractérisée en cas de construction d’un mur dans le seul but de priver de vue et de lumière l’habitation voisine : Cass. 3e civ., 30 oct. 1972, n° 71-13473 : Bull. civ. III, n° 576.
  • 19.
    Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, aux termes duquel : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
  • 20.
    Reboul-Maupin N., Droit des biens, 6e éd., 2016, Dalloz, p. 241, n° 273.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 7 juin 1990, n° 88-16277, préc. ; Cass. 3e civ., 15 juin 2011, n° 10-20337 ; Cass. 3e civ., 30 oct. 2013, n° 12-22169, préc. ; Cass. 3e civ., 13 janv. 2015, n° 13-17339.
  • 22.
    Écartant la démolition consécutive à l’annulation d’un contrat de construction : Cass. 3e civ., 15 oct. 2015, n° 14-23612 : RDC 2016, n° 113f9, p. 214, obs. Stoffel-Munck P. Refusant d’appliquer l’article 161 du Code civil sanctionnant la bigamie par la nullité du second mariage : Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, n° 12-26066 : Bull. civ. I, n° 234 ; D. 2014, p. 153, obs. Fulchiron H. ; RTD civ. 2014, p. 88, obs. Hauser J. Plus largement, v. Louvel B., « Réflexions à la Cour de cassation », D. 2015, p. 1326.
  • 23.
    Gavin-Millan-Oosterlynck E., « Exclusivité versus proportionnalité, à l’épreuve de l’empiétement », RDI 2018, p. 17 ; Fulchiron H., « Cadrer le contrôle de proportionnalité : des règles “hors contrôle” ? », D. 2018, p. 467.
  • 24.
    Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n° 00-16015, préc. ; Cass. 3e civ., 23 juin 2009, n° 08-16184, préc. ; Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-19561, préc.
  • 25.
    Par ex., pour un empiétement de seulement 0,5 cm : Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n° 00-16015, préc.
  • 26.
    Cass. 3e civ., 10 nov. 2009, n° 08-17526 : RDI 2010, p. 204, obs. Bergel J.-L. : droit à la destruction des tirants d’ancrage situés dans le tréfonds de la propriété ainsi que des maçonneries construites en sous-sol bien que l’expert ait précisé que le retrait des tirants risquait de créer de graves désordres. Cass. 3e civ., 18 oct. 2006, n° 04-20370, préc. : droit à l’élagage des branches dépassant sur sa propriété même si cette coupe doit entraîner le dépérissement des arbres.
  • 27.
    Tadros A., obs. sur Cass. 3e civ., 11 févr. 2015, n° 13-26023, RDC 2015, n° 112q6, p. 941. Contra, favorable à une réparation par équivalent, par l’allocation de dommages et intérêts en cas d’empiètements minimes : Grimaldi C., Droit des biens, 2016, LGDJ, p. 202, n° 168.
  • 28.
    Contra, favorable à un assouplissement de la jurisprudence, Reboul-Maupin N., « Les empiétements présents et à venir sur le terrain d’autrui : plaidoyer pour plus d’efficacité et d’équité dans la mise en œuvre de la sanction », LPA 7 juill. 2017, n° 127v2, p. 12.
  • 29.
    Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-25113 : Dalloz actualité, 24 nov. 2016, obs. Cayol A. ; JCP G 2016, p. 2196, obs. Dubarry J. ; Gaz. Pal. 16 mai 2017, n° 294a7, p. 63, obs. Dross W. ; RDC 2017, n° 114g9, p. 349, obs. Tadros A. – Cass. 3e civ., 23 juin 2015, n° 14-11870.
  • 30.
    Sizaire C., obs. sur Cass. 3e civ., 21 déc. 2017, n° 16-25406, Constr.-Urb. 2018, n° 2, comm. 20.
  • 31.
    Avant-projet de réforme du droit des biens, art. 539.
  • 32.
    « La proposition, qui consiste à introduire une mesure de tolérance lorsqu’un immeuble empiète sur la propriété voisine, reviendrait à introduire dans la loi une dérogation à l’article 545 du Code civil et, par conséquent, une dérogation à l’article 17 de la déclaration de 1789 (…). Cette proposition ne semble donc pas pouvoir prospérer » : Rép. min. n° 65835 : JOAN, 3 mai 2016, p. 3844, Bleunven J.-L.
X