Indemnisation de l’acquéreur en cas de non-déclaration d’une servitude occulte par le vendeur

Publié le 19/10/2023
Indemnisation de l’acquéreur en cas de non-déclaration d’une servitude occulte par le vendeur
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L’indemnisation due par le vendeur pour non-déclaration d’une servitude occulte est appréciée par le juge en fonction de l’existence et de l’importance du préjudice en résultant pour l’acquéreur.

Cass. 3e civ., 6 juill. 2023, no 22-13179

Servitus in faciendo non potest1. Au cas d’espèce, les acquéreurs d’une maison individuelle ont découvert dans leur sous-sol, lors de la réalisation d’un projet d’extension, l’existence d’une canalisation enterrée faisant partie d’un réseau public des eaux usées2. Les acquéreurs mécontents assignent les vendeurs sur le fondement de l’article 1638 du Code civil en indemnisation de leur préjudice du fait de l’absence de déclaration des servitudes non apparentes ou occultes. En appel, les juges du fond rejettent leur demande d’indemnisation, motif pris que l’acquisition du tènement immobilier n’était pas conditionnée à la possibilité de réalisation d’une extension du bâtiment, et que la présence de la servitude occulte ne revêtait pas le critère d’importance exigé par l’article 1638 du Code civil pour l’obtention de la résiliation du contrat ou d’une indemnité. La haute juridiction censure les juges d’appel en énonçant qu’« en statuant ainsi, alors qu’elle n’était saisie que d’une demande de dommages-intérêts, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». De sorte que l’acquéreur qui subit un préjudice réparable du fait de charges réelles non déclarées par le vendeur, telles qu’une servitude occulte ou non apparente (I), peut demander et obtenir une indemnité dont le calcul dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond (II).

I – Servitude occulte ou non apparente non déclarée par le vendeur

Charges réelles. Concernant les charges réelles non déclarées, il y a lieu de distinguer entre les servitudes apparentes (A) et les servitudes occultes ou non apparentes (B).

A – Éviction des servitudes apparentes de la garantie

Servitude continue et discontinue, apparente et non apparente. On définit traditionnellement les servitudes continues comme celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme3. C’est ainsi qu’une servitude d’écoulement des eaux est continue. Par ailleurs, les servitudes apparentes s’annoncent par des signes extérieurs tels qu’une fenêtre ou une porte par exemple4.

Distinction entre les servitudes apparentes dans la clause « charges » et les conditions de l’acte de vente. Aux termes de l’article 1638 du Code civil, si l’héritage vendu se trouve grevé, sans qu’il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu’elles soient de telle importance qu’il y ait lieu de présumer que l’acquéreur n’aurait pas acheté s’il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, s’il ne veut pas se contenter d’une indemnité. Par un raisonnement a contrario, on en déduit « qu’il n’était pas nécessaire de mentionner les servitudes apparentes dans l’acte de vente de l’immeuble auquel elles se rapportaient »5. C’est ainsi qu’il a été jugé que constitue une servitude apparente « une servitude de passage rendue apparente par une porte aménagée près du puits dans la barrière séparant la propriété vendue du fonds voisin »6.

B – Servitudes occultes ou non apparentes

Servitudes non apparentes ou occultes dans la clause « charges » et conditions de l’acte de vente : on enseigne traditionnellement que « si la servitude est non apparente ou “occulte” (…), une distinction est à opérer entre les servitudes conventionnelles et légales »7. Il est de pratique notariale constante, en effet, que les servitudes conventionnelles non apparentes doivent être impérativement déclarées dans l’acte de vente8. Sous réserve qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public et au droit de propriété privé, la constitution de servitudes du fait de l’homme dite « servitude conventionnelle » est valable. À bien y regarder, en effet, les servitudes du fait de l’homme peuvent être constituées soit par titre, soit par prescription ou par destination du père de famille9.

Le problème de la canalisation enterrée : Cass. 3e civ., 24 sept. 2014, n° 13-18924. La Cour de cassation a censuré les juges du fond en énonçant que « vu l’article 1638 du Code civil ; Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 15 juin 2012), que Mme X, acquéreur de parcelles provenant de la division d’un fonds unique dont sa fille et son gendre ont acquis l’autre partie comportant une maison, a refusé de régulariser la vente par acte authentique en reprochant à son vendeur, la société GR, de lui avoir caché l’existence, sur son terrain, de la canalisation d’évacuation des eaux usées de la maison ; Attendu que pour rejeter la demande de Mme X, l’arrêt retient que la présence de la canalisation souterraine dans le terrain vendu ne constitue ni une servitude, ni un droit personnel et ne peut recevoir la qualification de charge ; Qu’en statuant ainsi alors que la présence d’une canalisation non apparente, diminuant l’usage du terrain vendu et n’ayant fait l’objet d’aucune déclaration par le vendeur, constitue une charge occulte grevant le fonds, la cour d’appel a violé l’article précité ; Par ces motifs : Casse et annule »10.

Première condition pour bénéficier de la garantie de l’article 1638 du Code civil : charge occulte. Comme le souligne Monsieur Sizaire : « Pour obtenir la garantie, il est nécessaire ainsi d’une part que cette charge soit occulte, mais également qu’elle n’ait pas été déclarée par le vendeur »11. La notion de charge n’est pas définie par la loi mais par la jurisprudence, qui estime que c’est un droit réel ou personnel consenti à un tiers sur le bien vendu ou en relation avec lui12. Le caractère occulte de la charge implique tout simplement que ladite charge n’ait pas été connue par l’acquéreur13.

Espèce. Au cas d’espèce, les acquéreurs ont découvert, à l’occasion de la réalisation d’un projet d’extension, l’existence d’une canalisation enterrée faisant partie du réseau public des eaux usées et qui empêchait la réalisation des travaux.

Deuxième condition pour bénéficier de la garantie de l’article 1638 du Code civil : non-déclaration de la charge occulte. L’importance de la charge non révélée est une question de fait qui relève d’une appréciation souveraine des juges du fond14. Cette jurisprudence est logique, mais elle est sévère. Elle n’est bien sûr acceptable que si le vendeur avait bien connaissance de la servitude occulte affectant l’immeuble objet de la vente. La déclaration de la servitude occulte doit être suffisante, c’est-à-dire précise sur l’existence de la servitude et sur les conséquences qui peuvent en résulter voire parfois sur l’aggravation prévisible de la servitude15.

Un arrêt d’appel révèle ainsi que « si les conditions d’application de l’article 1638 du Code civil ne sont pas remplies, dans la mesure où la servitude grevant le terrain acquis est apparente, s’agissant d’une ligne électrique surplombant le terrain vendu, en revanche, les vendeurs ont commis une faute en omettant de déclarer l’aggravation de la servitude consistant dans le transfert du poteau de soutien au milieu d’une parcelle de terrain alors qu’il était situé, au jour de la vente, à la limite de la propriété. Ils doivent donc garantir cette charge de propriété, la clause exonératoire de garantie étant inopposable. Les vendeurs seront ainsi condamnés à réparer le préjudice de l’acquéreur résultant de la présence du support au milieu de la propriété acquise, par le versement de 20 000 francs de dommages-intérêts »16.

Devoir d’information du vendeur sur l’existence d’une servitude occulte. Selon le professeur William Dross, « l’information est avant tout un fait objectif envisagé de manière subjective, autrement dit,c’est un fait en tant qu’il est connu d’un sujet »17. Comme chacun le sait, dans une vente immobilière intervenue entre un vendeur professionnel et des acquéreurs profanes, le vendeur est tenu d’une obligation de renseignement relativement importante18, d’autant que la plus remarquée des obligations incombant au vendeur est sans conteste celle qui figure à l’article 1641 du Code civil, qui dispose que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ». Par ailleurs, l’article 1643 du Code civil précise : « Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie »19. Or, on sait que la jurisprudence distingue clairement la garantie des vices cachés du défaut de déclaration d’une servitude occulte car « les servitudes non déclarées réduisent la jouissance de l’immeuble mais, contrairement au vice caché, elles n’en affectent pas l’usage normal, ce qui explique qu’ils répondent à des régimes différents »20.

Liaison. La garantie d’éviction obéit à un régime juridique complexe tant au regard des sanctions applicables qu’à l’égard de la méthode d’évaluation de l’indemnité réparatrice en cas de charges réelles non déclarées.

II – Sanctions applicables en cas de charge réelle non déclarée lors de l’acte de vente

Sanctions en cas de non-déclaration de charge réelle. Pour la Cour de cassation, la sanction en cas de non-déclaration d’une servitude occulte peut donner lieu, au moment de la résolution de la vente, au versement d’une indemnité à l’acquéreur (A) dont l’évaluation dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond (B).

A – Résolution de la vente

Domaine d’application des textes. Comme chacun le sait, la sanction de la garantie d’éviction partielle est prévue aux articles 1636 et 1637 du Code civil, alors que la garantie d’éviction pour les charges réelles non déclarées est fixée par l’article 1638 du Code civil21.

Résolution de la vente. Il est désormais acquis que la résolution judiciaire ou pas, acte unilatéral de l’acquéreur, nécessite la démonstration par ce dernier du caractère déterminant de l’absence de déclaration de la servitude occulte22.

Si la charge non déclarée n’est pas d’une importance telle que, si l’acquéreur l’avait connue, il se serait abstenu de contracter, c’est ce qui résulte d’une lecture a contrario de l’article 1638 du Code civil23. Il convient de noter que le caractère déterminant de l’absence de déclaration de la servitude occulte est une question de fait relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Espèce. Il faut dire qu’en l’occurrence, la servitude occulte consistait en une canalisation enterrée faisant partie du réseau public des eaux usées. À ce stade, il est légitime de se demander si une canalisation enterrée est toujours une servitude occulte. Force est de remarquer que la question de la canalisation enterrée n’est pas aisée à appréhender. Pour s’en convaincre, il suffit de citer le cas dans lequel il est possible de se prévaloir de l’acquisition d’un droit de servitude par prescription, même en présence d’un ouvrage non apparent, s’il est établi que le fonds servant connaissait la présence de l’ouvrage litigieuse pour avoir autorisé son implantation sur son fonds24.

Résolution ou indemnité réparatrice. La Cour de cassation illustre à merveille cette problématique lorsqu’elle énonce : « Attendu que si l’héritage vendu se trouve grevé, sans qu’il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu’elles soient de telle importance qu’il y ait lieu de présumer que l’acquéreur n’aurait pas acheté s’il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n’aime se contenter d’une indemnité »25.

B – L’indemnisation

Casuistique. Autant dire que les juges du fond font appel à des méthodes d’évaluation de l’indemnité due par le vendeur difficile à appréhender26. Certes, selon l’article 1637 du Code civil, « si, dans le cas de l’éviction d’une partie du fonds vendu, la vente n’est pas résiliée, la valeur de la partie dont l’acquéreur se trouve évincé lui est remboursée suivant l’estimation à l’époque de l’éviction, et non proportionnellement au prix total de la vente, soit que la chose vendue ait augmenté ou diminué de valeur ».

Selon une jurisprudence constante, « l’indemnité devrait être calculée objectivement, indépendamment de l’utilisation faite par l’acheteur de son fonds. La moins-value devrait être envisagée selon un usage général qui ne tient pas compte des particularités de celui fait par l’acheteur. La moins-value devrait être actualisée le jour de la revente du bien en fonction de la situation de l’acheteur. La jurisprudence n’est pas de cet avis. Selon elle, il y a lieu de tenir compte de la nature de la servitude, de la fréquence de son usage par le propriétaire du fonds dominant et de l’atteinte à la jouissance du fonds servant qui résulte de cet usage »27.

Conclusion. En somme, la jurisprudence de la Cour de cassation a plutôt fait montre d’une certaine continuité en matière de sanction en cas de non-déclaration d’une servitude occulte par le vendeur. Cette décision soulève néanmoins une question particulièrement sensible, qui mérite d’être signalée : c’est la question de l’existence d’une canalisation enterrée faisant partie du réseau public des eaux usées qui, dans certaines situations, ne découle pas nécessairement de la situation de l’immeuble.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Une servitude ne peut obliger à faire quelque chose.
  • 2.
    JCP N 2023, n° 28, 712 ; A. Martineau, « Servitude occulte, indemnisation du préjudice en cas de manquement au devoir d’information », Dalloz actualité, 15 sept. 2023.
  • 3.
    A. Bamdé, « Les servitudes du fait de l’homme établies par destination du père de famille », blog Le droit dans tous ses états, 14 sept. 2020, https://lext.so/12qr7X.
  • 4.
    A. Bamdé, « Les servitudes du fait de l’homme établies par destination du père de famille », blog Le droit dans tous ses états, 14 sept. 2020, https://lext.so/12qr7X ; P.-L. Niel, « Servitude de passage du fait de l’homme et servitude de passage légale ne heurtent pas l’autorité de la chose jugée et le principe de concentration des moyens », Actu-Juridique.fr, n° AJU001h2.
  • 5.
    JCl. Notarial Formulaire, fasc. 500, v° Vente d’immeuble, J. Lafond et V. Zalewski-Sicard.
  • 6.
    JCl. Notarial Formulaire, fasc. 500, v° Vente d’immeuble, J. Lafond et V. Zalewski-Sicard ; P.-L. Niel, « Servitude de passage du fait de l’homme et servitude de passage légale ne heurtent pas l’autorité de la chose jugée et le principe de concentration des moyens », Actu-Juridique.fr, n° AJU001h2 ; P. Brun, Rép. civ. Dalloz, v° Vente. Effets, 2022, n° 442.
  • 7.
    JCl. Notarial Formulaire, fasc. 500, v° Vente d’immeuble, J. Lafond et V. Zalewski-Sicard ; P. Brun, Rép. civ. Dalloz, v° Vente. Effets, 2022, n° 442.
  • 8.
    JCl. Notarial Formulaire, fasc. 500, v° Vente d’immeuble, J. Lafond et V. Zalewski-Sicard.
  • 9.
    A. Bamdé, « Les servitudes du fait de l’homme établies par destination du père de famille », blog Le droit dans tous ses états, 14 sept. 2020, https://lext.so/12qr7X ; P.-L. Niel, « Servitude de passage du fait de l’homme et servitude de passage légale ne heurtent pas l’autorité de la chose jugée et le principe de concentration des moyens », Actu-Juridique.fr, n° AJU001h2.
  • 10.
    C. Sizaire, « Canalisation non apparente et charges non déclarées », Constr.-Urb. 2014, comm. 11.
  • 11.
    C. Sizaire, « Canalisation non apparente et charges non déclarées », Constr.-Urb. 2014, comm. 11.
  • 12.
    CA Pau, 1re ch., 11 juill. 1991, n° 2642/91 : Juris-Data n° 1991-045452, cité par C. Sizaire in « Canalisation non apparente et charges non déclarées », Constr.-Urb. 2014, comm. 11.
  • 13.
    C. Sizaire, « Canalisation non apparente et charges non déclarées », Constr.-Urb. 2014, comm. 11.
  • 14.
    C. Sizaire, « Canalisation non apparente et charges non déclarées », Constr.-Urb. 2014, comm. 11.
  • 15.
    C. Sizaire, « Canalisation non apparente et charges non déclarées », Constr.-Urb. 2014, comm. 11.
  • 16.
    CA Orléans, ch. civ., 2e sect., 16 mars 1993, n° 377/91 : Juris-Data n° 1993-040296, cité par C. Sizaire in « Canalisation non apparente et charges non déclarées », Constr.-Urb. 2014, comm. 11.
  • 17.
    W. Dross, Droit des biens, 5e éd., 2021, LGDJ, n° 403, EAN : 9782275090351.
  • 18.
    P. Brun, Rép. civ. Dalloz, v° Vente. Effets, 2022, n° 142.
  • 19.
    P.-L. Niel, « Inopérance de la clause de non-garantie des vices cachés lorsque le vendeur ne démontre pas qu’il a pu légitiment ignorer l’ampleur de la pollution du sol », LPA 9 nov. 2017, n° LPA129s9.
  • 20.
    A. Martineau, « Servitude occulte, indemnisation du préjudice en cas de manquement au devoir d’information », Dalloz actualité, 15 sept. 2023.
  • 21.
    O. Barret et P. Brun, Rép. civ. Dalloz, v° Vente. Effets, 2023, n° 508.
  • 22.
    JCl. Notarial Répertoire, fasc. 270, Vente. – Obligations du vendeur. – Extinction de la garantie, n° 74, 2019, M. Mignot.
  • 23.
    O. Barret et P. Brun, Rép. civ. Dalloz, v° Vente. Effets, 2023, n° 510.
  • 24.
    Cass. 3e civ., 30 janv. 2001, n° 98-19611 : « Une canalisation enterrée peut être une servitude apparente », Blog cabinet Cizeron, 16 juin 2021, https://lext.so/lW-YKT.
  • 25.
    Cass. 3e civ., 27 févr. 2013, n° 11-28783.
  • 26.
    JCl. Notarial Répertoire. Encyclopédies, fasc. 270, Vente. – Obligations du vendeur. – Extinction de la garantie.
  • 27.
    CA Bordeaux, 1re ch. A, 2 juill. 2002 : Juris-Data n° 2002-190705 ; JCl. Notarial Répertoire. Encyclopédies, fasc. 270, Vente. – Obligations du vendeur. – Extinction de la garantie, n° 74, M. Mignot.
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