Conditions de formation et conditions de validité d’une vente conclue à la suite d’une promesse unilatérale : une confusion surprenante

La troisième chambre civile de la Cour de cassation vient de décider que, parce que « la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire, (…) la vileté du prix s’apprécie (…) à la date de la promesse et non à celle de la levée d’option ». Ce faisant, elle opère une confusion injustifiée entre la détermination et l’appréciation des « éléments essentiels » de la vente, c’est-à-dire entre conditions de formation et conditions de validité du contrat.
1. Un contrat est un acte de prévision, certes, mais, conclu à très long terme, il devient divination et loin, alors, d’assurer la sécurité juridique, il peut bouleverser les situations économiques qui semblaient les mieux assurées. Sont typiques de cette hypothèse les promesses unilatérales de vente qui prévoient une levée d’option aux calendes grecques ou peu s’en faut.
2. L’espèce ayant conduit à l’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 21 novembre 2024 est particulièrement emblématique à cet égard puisque le terme prévu dans une promesse conclue en octobre 1971 devait échoir, en définitive, en novembre 2017… L’héritier du bénéficiaire originaire ayant levé l’option en novembre 2016, il prétendait logiquement que la vente définitive était conclue.
C’était sans compter sur l’héritier du promettant qui, souhaitant assainir une situation juridique dormante et, très vraisemblablement également, se retirer d’un contrat devenu économiquement très désavantageux, avait, en juin 2011, « indiqué au bénéficiaire qu’il considérait la promesse de vente comme caduque ».
Ce dernier l’assigna néanmoins « aux fins de transfert de propriété de la parcelle », objet de la promesse, et en « paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive ».
3. La question, du plus grand classique, de l’effet de la rétractation du promettant nous retiendra peu. On connaît désormais tous les tenants et aboutissants de cette saga juridique : le refus initial de la troisième chambre civile d’accorder, en cette hypothèse, l’exécution forcée de la promesse1 ; les critiques doctrinales demeurées vaines, quoique quasi unanimes2 ; le désaveu par le législateur via l’adoption de l’article 1124 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 20163 ; la soumission de la Cour de cassation à la nouvelle règle de droit par un revirement de jurisprudence retentissant en ce qu’il faisait fi des règles de droit transitoire prévues par l’ordonnance elle-même (art. 9)4, ce que la chambre commerciale a tenté de justifier de manière laborieuse quoique (parce que ?) enrichie5.
4. C’est au demeurant parce qu’elle avait statué avant la date du revirement du 23 juin 2021 que la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait, en l’espèce, refusé de constater le transfert de propriété (n° 13). On n’évoquera ce point que pour souligner que la cour d’appel, ne pouvant ignorer le nouvel état du droit issu de l’article 1224, alinéa 2, du Code civil, dont elle reprend les termes, avait reconnu que « la révocation de la promesse par le promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ne peut empêcher la formation du contrat promis » (n° 12). Ce texte étant néanmoins inapplicable ratione temporis à une promesse conclue en 1971, elle en avait tiré la conclusion que la Cour de cassation avait appliqué sans fléchir depuis son arrêt de principe de 1993 : le refus de sanctionner la rétractation illicite du promettant autrement que par l’octroi de dommages-intérêts, au motif – peu convaincant – qu’une promesse de vente faisait naître à la charge du promettant une obligation de faire, celle de conclure la vente définitive, qui, en tant que telle, ne pouvait donner lieu à exécution forcée.
5. Sans surprise alors, la Cour de cassation, invoquant et citant son arrêt de revirement, casse la décision de la cour d’appel, puisque « le promettant s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire » (n° 11).
6. L’intérêt particulier de l’arrêt n’est donc pas là. Beaucoup plus intéressante, car inédite, est la solution, retenue dans la deuxième branche du moyen, selon laquelle « la vileté du prix s’apprécie, à la différence de l’action en rescision pour lésion ouverte dans les conditions prévues par les articles 1674 et suivants du Code civil, à la date de la promesse et non à celle de la levée d’option » (n° 19).
7. L’importance pratique de cette décision est mise en lumière par les faits d’espèce : la promesse unilatérale de vente avait été conclue en 1971 et la vente définitive formée par la levée de l’option 45 ans plus tard, en 2016. Entre-temps, le prix de l’immeuble vendu n’avait pu que sensiblement évoluer ce qui explique sans doute pourquoi le promettant avait notifié, vainement, la caducité de la promesse au bénéficiaire en 2011. Que l’on se situe à la date de la promesse ou à celle de la vente, l’équilibre économique de celle-ci n’était évidemment pas le même, à tel point que le vendeur avait obtenu que les juges du fond prononcent la nullité de la vente pour défaut de prix réel et sérieux (n° 18).
Pour ce faire, ils pouvaient se prévaloir de la règle retenue à l’article 1675, alinéa 2, du Code civil en matière de lésion. Ce texte dispose en effet que, « en cas de promesse de vente unilatérale, la lésion s’apprécie au jour de la réalisation ». L’analogie avec l’hypothèse d’un prix dérisoire semblait en effet s’imposer. À rebours toutefois, la Cour de cassation précise dans son conclusif que cette règle ne s’applique pas à la question de la vileté du prix ; elle adopte alors la date de la promesse et non celle de la levée de l’option pour apprécier le caractère sérieux de celui-ci. Au fondement de sa solution, elle invoque le mécanisme de la promesse unilatérale de vente qui « est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente ».
8. Tels étaient déjà les termes de l’arrêt précité du 23 juin 2021, qui précisait également que, parmi ces conditions de validité de la vente qui s’apprécient à la date de conclusion de la promesse, il y avait « notamment », « la capacité du promettant à contracter et [le] pouvoir de disposer de son bien ». Une telle solution ne faisait pas débat au demeurant, les conditions relatives au consentement du promettant devant à l’évidence être réunies lorsqu’il s’engage. C’est pourquoi, à l’inverse mais tout aussi logiquement, capacité et pouvoir du bénéficiaire doivent s’apprécier lors de la levée de l’option puisque c’est à ce moment-là seulement que ce dernier est engagé6.
Le moment d’appréciation des conditions de validité de la vente afférentes aux contractants ne soulève donc pas de difficulté. En revanche, la question n’avait pas été posée jusque-là à la Cour de cassation de savoir quand devaient être examinées celles relatives à la vente elle-même. Et, concernant l’équilibre économique du contrat, elle y répond sans ambiguïté : sauf texte contraire, au moment de la conclusion de la promesse unilatérale.
9. La cassation met en lumière deux logiques juridiques qui s’affrontent et conduisent à des solutions inverses. La question est de déterminer laquelle il convient de faire prévaloir. On reconnaît alors que la solution inédite de la Cour de cassation (I) nous paraît injustifiée (II).
I – Une solution inédite
10. Jusqu’à l’arrêt ici commenté, la levée de l’option par le bénéficiaire entraînant la conclusion de la vente sans rétroactivité, c’est à ce moment-là qu’il apparaissait logique d’apprécier les conditions de validité du contrat définitif (A). C’est au demeurant la solution qui a été retenue en matière de lésion (B).
A – Levée d’option et conclusion de la vente
11. Que l’on nous pardonne ce truisme : les conditions de validité d’un contrat sont logiquement appréciées lors de sa conclusion.
12. L’équilibre économique objectif des prestations ne fait certes pas partie, en principe, de ces conditions (C. civ., art. 1168). Nul besoin de revenir sur les fortes justifications de cette règle. Il suffit, pour les besoins de ce commentaire, de rappeler que le Code civil prévoit toutefois quelques exceptions, notamment celle, au profit du vendeur, de la rescision pour lésion des sept douzièmes en matière de vente immobilière (C. civ., art. 1674) et celle, aujourd’hui énoncée à l’article 1169 du Code civil, issu de l’ordonnance précitée du 10 février 2016, qui prévoit qu’un contrat onéreux – il eût fallu écrire commutatif – « est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». Cette seconde hypothèse est issue de la généralisation de la jurisprudence sur le vil prix, admise par la Cour de cassation en matière de vente sur le fondement de la cause objective, et qui était en jeu en l’espèce.
13. Illustre ces principes de solution la jurisprudence constante de la haute juridiction selon laquelle, en matière de promesse synallagmatique de vente sous condition suspensive, la lésion doit être appréciée, non au moment de la survenance de celle-ci, mais à celui de la conclusion de la promesse, du fait de la rétroactivité avec laquelle joue la condition7. La solution n’a été potentiellement remise en cause que par l’abandon de la rétroactivité de la condition par l’article 1304-6, alinéa 1er, du Code civil, issu de l’ordonnance précitée. L’appréciation de la lésion « au jour de la réalisation de la condition », i.e. au jour de la formation de la vente, a par ailleurs semblé si impérieuse que la commission, réunie sous la présidence du professeur Philippe Stoffel-Munck, pour proposer une réforme du droit des contrats spéciaux a prévu de la rendre impérative (C. civ., art. 1675, al. 2, projeté), à rebours de ce que prévoit l’alinéa 2 de l’article 1304-6 du Code civil8.
14. Or, en matière de promesse unilatérale de vente, la levée de l’option par le bénéficiaire ne joue pas rétroactivement9. La vente est donc conclue seulement à ce moment-là. La conséquence qui s’impose alors est que l’éventuel caractère dérisoire du prix de vente devrait être apprécié à la levée de l’option et non au jour de la conclusion de la promesse.
Cela a d’ailleurs semblé si évident à la commission précitée que la règle qui précise que la lésion s’apprécie au jour de la levée d’option en cas de promesse unilatérale de vente (C. civ., art. 1675, al. 2) n’a pas été reprise dans l’avant-projet car jugée évidente10. C’est en effet ce qui a été admis à propos de cette hypothèse, si proche de celle du vil prix.
B – Promesse unilatérale de vente et lésion
15. Comme le souligne la troisième chambre civile elle-même dans une incidente, en matière de lésion, la solution est inverse de celle qu’elle adopte dans l’arrêt commenté à propos du vil prix. L’article 1675, alinéa 2, du Code civil dispose en effet que, « en cas de promesse de vente unilatérale, la lésion s’apprécie au jour de la réalisation ». Or, si l’existence d’une disposition légale spéciale permet d’expliquer cette divergence de solutions, elle ne suffit pas à la justifier. Il convient alors de préciser ce qui a conduit le législateur à adopter cette position à propos de la lésion afin d’apprécier le bien-fondé de sa mise à l’écart en matière de vil prix.
16. Le texte précité est issu d’une solution de principe, retenue par la Cour de cassation en 193211. Afin de lutter contre les effets pervers de l’inflation, qui était élevée à l’époque et depuis la première guerre mondiale, la haute juridiction a décidé de faire de la lésion un vice objectif du contrat, indépendant d’un quelconque vice du consentement qui en aurait été à l’origine. Cette conception lui a permis en effet de décider que la lésion devait être appréciée au moment de la levée de l’option, jour de la conclusion de vente, conformément à l’article 1675 du Code civil12, et non lors de la conclusion de la promesse, date de l’engagement du promettant, solution qui se serait imposée si la lésion n’avait été sanctionnée qu’au cas où elle aurait eu pour cause un vice du consentement de ce dernier.
17. Cette décision permet de comprendre que la solution rappelée dans l’arrêt précité du 23 juin 2021, selon laquelle « la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien » s’apprécient à la date de conclusion de l’avant-contrat, devrait être considérée comme l’exception qui confirme la règle inverse. Si toutes les conditions de validité de la vente tenant à la personne du promettant doivent en effet être réunies au jour de la promesse, c’est parce que telle est la date à laquelle ce dernier est irrévocablement engagé. En revanche, les conditions objectives qui tiennent au contrat de vente lui-même devraient être logiquement constatées au jour de la conclusion de celui-ci, c’est-à-dire à la levée de l’option.
18. Il est alors important de souligner que l’explication donnée par l’arrêt du 21 novembre 2024, qui combine la solution adoptée en matière de vil prix avec celle, inverse, retenue en matière de lésion, au motif que celle-ci a fait l’objet d’une loi spéciale, omet de préciser qu’avant d’être une loi – l’article 1675, alinéa 2, du Code civil a été adopté par le législateur en 1949 –, la solution était prétorienne. L’arrêt ici commenté contredit donc celui rendu en 1932 alors même que les hypothèses concernées sont très comparables.
19. Quelle différence en effet, autre que celle de leur portée, entre le cas où le contrat de vente est lésionnaire à hauteur minimale de sept douzièmes et celui où il est totalement déséquilibré, le prix pouvant être considéré comme « dérisoire » ? Dans ces deux hypothèses, la différence entre le prix nominal convenu dans la promesse et la valeur de l’immeuble au moment de la levée d’option est telle que le contrat de vente est nul, par exception à l’article 1168 du Code civil. Dans les deux cas, l’appréciation du prix au jour de la levée d’option s’impose, non seulement pour des raisons de logique juridique13, mais également pour des considérations économiques, celles-là mêmes qui justifient les exceptions au principe de validité des contrats déséquilibrés.
20. Il faut alors de fortes justifications pour expliquer que la troisième chambre civile ait retenu la date de la promesse pour apprécier l’éventuelle vileté du prix de vente. Or, celle qu’elle retient pour fonder sa décision ne convainc pas.
II – Une solution injustifiée
21. La justification conceptuelle et technique qu’avance la Cour de cassation (A) peut être réfutée car elle procède d’une confusion entre conclusion et validité du contrat (B).
A – Justification
22. La troisième chambre civile s’appuie sur le mécanisme de la promesse unilatérale de vente pour fonder sa décision. Elle souligne ainsi que celle-ci « est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire » (n° 19). Elle en tire deux conséquences.
23. D’une part, les « éléments essentiels » de la vente étant nécessairement convenus dès la conclusion de la promesse, c’est à ce moment-là qu’il convient de les apprécier. La rédaction de l’arrêt est sans ambiguïté sur ce point qui exprime un lien de corrélation entre ces deux propositions : « De sorte que la vileté du prix s’apprécie (…) à la date de la promesse et non à celle de la levée d’option »14.
Lorsqu’il s’agit d’une vente, en effet, le montant du prix fait indéniablement partie de ces « éléments essentiels » (C. civ., art. 1582). C’est d’ailleurs certainement pourquoi la Cour de cassation vise l’article 1591 du Code civil qui pose l’exigence de détermination ou, à tout le moins, de déterminabilité du prix au moment de la vente. Transposée au mécanisme de la promesse unilatérale, cette obligation doit être remplie en amont, au moment de la promesse, car celle-ci porte en germe le contrat définitif pour la conclusion duquel, comme l’indique l’article 1124, alinéa 1er, du Code civil, il « ne manque [plus] que le consentement du bénéficiaire ».
24. D’autre part, l’appréciation, au moment de la conclusion de la promesse, des éléments essentiels de la vente convenus dans l’avant-contrat s’imposerait car c’est en considération de ces éléments que le bénéficiaire va décider d’exercer ou non son droit d’option. Ce motif est décisif sous la plume de la Cour de cassation ; le verbe, fort peu juridique, qu’elle emploie est significatif à cet égard : « Les éléments essentiels du contrat définitif (…) serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire »15. On comprend alors que ce serait tromper les espérances légitimes du bénéficiaire que d’apprécier le montant du prix au moment de la levée de l’option. La cristallisation des éléments essentiels de la vente dans la promesse serait ainsi une condition sine qua non de la possibilité pour le bénéficiaire d’exercer son droit d’option en connaissance de cause.
25. En résumé, selon la troisième chambre civile, l’effectivité du droit d’option suppose d’apprécier les éléments essentiels de la vente au moment où ils ont été convenus entre le bénéficiaire et le promettant. Dans l’hypothèse inverse, cet avant-contrat perdrait toute utilité.
B – Réfutation
26. Toute la critique de cette motivation peut se concentrer sur la conjonction de subordination « de sorte que ». Le lien de corrélation retenu par la Cour de cassation entre la détermination des éléments essentiels du contrat définitif et leur appréciation est erroné en effet. Le raisonnement qu’elle tient est vicié car il repose sur une confusion entre la conclusion du contrat de vente par la levée de l’option et la question de la validité de la vente ainsi conclue.
27. L’article 1124 du Code civil, consacré aux promesses unilatérales, en témoigne au demeurant : il a trait au mode de conclusion des contrats, pas à leur validité. Son emplacement dans la section consacrée à la conclusion du contrat, clairement distinguée de celle relative à sa validité, le met suffisamment en lumière. Par conséquent, tirer de la définition de la promesse unilatérale des conséquences sur la validité du contrat définitif, comme l’a fait la troisième chambre civile, procède forcément d’une erreur de raisonnement.
28. C’est une chose en effet d’admettre que, le bénéficiaire ayant levé l’option, le contrat de vente est automatiquement conclu au prix convenu dans la promesse – le mécanisme des promesses unilatérales le commande, c’est incontestable ; c’en est une autre cependant d’affirmer que ce contrat est valable. En d’autres termes, si la levée de l’option permet la formation du contrat, elle ne dit rien sur sa validité. Autrement dit encore, déterminer (les éléments essentiels) n’est pas (les) apprécier.
29. Ainsi, le trop faible montant du prix, convenu dans la promesse, par rapport à la valeur acquise par l’immeuble au fil des années ne peut pas faire obstacle à la conclusion de la vente par « l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire », contrairement à ce qu’induit la solution de la Cour de cassation. Le droit d’option peut toujours être mis en œuvre. En revanche, son exercice conduit à la conclusion d’une vente éventuellement nulle, par application des articles 1169 ou 1674 du Code civil.
Si ces deux aspects du contrat – conclusion et validité – n’étaient pas distingués, comment pourrait-on expliquer au demeurant la possibilité pour le juge d’annuler des conventions que les parties ont cru, sur le moment, valablement conclure ?
30. Il est, à cet égard, essentiel de souligner que la situation juridique est rigoureusement la même, qu’une promesse unilatérale ait précédé la vente ou non : un contrat de vente a été formé ce qui, néanmoins, ne préjuge pas de sa validité ; le vendeur, qu’il ait été promettant ou non, souhaite remettre en cause le transfert de propriété entraîné par la conclusion de la vente, en arguant de la trop grande faiblesse du prix convenu.
Aussi est-il injustifié que, pour ne pas remettre en cause la vente formée à la suite d’une promesse unilatérale et partant, assurer l’effectivité de celle-ci, la Cour de cassation décide d’apprécier le montant du prix au jour de la conclusion de cet avant-contrat. Raisonne-t-on de cette manière lorsque la vente n’a été précédée d’aucune promesse ? Se soucie-t-on de garantir l’effectivité de l’offre sur laquelle reposent également les espérances légitimes de son destinataire ? Certes non car la remise en cause d’une vente pour prix dérisoire n’est pas plus injustifiée ou inopportune selon que celle-ci a été précédée d’une promesse ou qu’elle a été conclue immédiatement.
31. Conclusion. La position de la troisième chambre civile étant néanmoins ce qu’elle est, quels conseils donner au vendeur dans une situation similaire ? En l’absence de loi en effet, la solution est tout entière entre les mains des parties.
Tout d’abord, éviter à tout prix – c’est le cas de le dire – de stipuler des termes dont l’échéance est aussi lointaine ou incertaine ou les deux. Le cas échéant, prévoir une date-butoir fixe à laquelle il sera prévu que la promesse devienne caduque, ce qui laissera au promettant toute latitude d’en renégocier les termes si le bénéficiaire est toujours intéressé par la vente. Enfin, si ces précautions n’ont pas été prises, plaider la lésion plutôt que la vileté du prix…
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n° 91-10.199, cts Cruz : Bull. civ. III, n° 174 ; JCP G 1995, II 22366, obs. D. Mazeaud ; D. 1994, Somm., p. 230, obs. G. Paisant ; D. 1995, Somm., p. 88, note L. Aynès ; Defrénois 15 juin 1994, n° 35845, p. 795, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1994, p. 588, note J. Mestre.
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2.
Favorable néanmoins à la jurisprudence de la troisième chambre civile, M. Fabre-Magnan, « De l’inconstitutionnalité de l’exécution forcée des promesses unilatérales de vente. Dernière plaidoirie avant adoption du projet de réforme du droit des contrats », D. 2015, Chron., p. 826.
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3.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
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4.
Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554, PB : JCP G 2021, 787, n° 1 ; JCP G, 858, note I. Najjar ; JCP G 1226, N. Molfessis ; D. 2021, 1574, note L. Molina ; RTD civ. 2021, p. 630, note H. Barbier ; D. 2021, p. 2251 – Dans le même sens, Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n° 20-18.514 : RTD civ. 2022, p. 112, note H. Barbier ; D. 2022, p. 310, note R. Boffa ; JCP 2021, 1310, n° 1, D. Houtcieff.
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5.
Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-20.399 : D. 2023, p. 985, note S. Tisseyre ; JCP G 2023, 671, obs. J. Traullé ; RTD civ. 2023, p. 345, note H. Barbier : l’arrêt tente de justifier longuement, au regard du droit EDH, le bien-fondé du revirement et de la rétroactivité de la solution qu’il entraîne.
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6.
P. Malaurie, L Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 13e éd., 2024, LGDJ, n° 106, EAN : 9782275143125. P. Puig, Contrats spéciaux, 8e éd., 2019, Dalloz, HyperCours, n° 186.
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7.
Cass. 3e civ., 30 mars 2011, n° 10-13.756 : Bull. civ. III, n° 55.
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8.
V. l’avant-projet de réforme, p. 43 : « L’objectif poursuivi explique également que la clause contraire soit prohibée, alors même que l’article 1304-6 al. 1er du Code civil, issu de l’ordonnance précitée, n’est pas d’ordre public. L’importance économique de la matière et les rapports de force potentiellement déséquilibrés entre un vendeur non professionnel et un acheteur professionnel justifient cette interdiction ».
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9.
P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 13e éd., 2024, LGDJ, n° 106, EAN : 9782275143125 ; P. Puig, Contrats spéciaux, 8e éd., 2019, Dalloz, HyperCours, n° 186.
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10.
V. l’avant-projet de réforme, à propos de l’article 1675 projeté, p. 43 : « Notons qu’il n’a pas été jugé utile de rappeler qu’en cas de promesse unilatérale de vente, la lésion s’apprécie au jour de la levée de l’option par le bénéficiaire : ce n’est que l’application du principe énoncé à l’alinéa 1er ».
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11.
Cass. req., 28 déc. 1932, Sté économique de Rennes : H. Capitant, Y. Lequette et F. Terré, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e éd., 2008, Dalloz, n° 261.
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12.
« Pour savoir s’il y a lésion de plus de sept douzièmes, il faut estimer l’immeuble suivant son état et sa valeur au moment de la vente ».
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13.
V. supra, § 14.
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14.
Nous soulignons.
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15.
Nous soulignons. C’est ce qui explique peut-être qu’elle n’ait pas repris expressis verbis la définition de la promesse unilatérale énoncée désormais à l’article 1124, al. 1er, du Code civil. Sur ce point, celle-ci est en effet moins significative.
Référence : AJU016p0
