Covid-19 : report des dates de résiliation pour les contrats
Dans le cadre de l’urgence sanitaire le gouvernement a adopté une ordonnance le 25 mars dernier, modifiée à la marge le 15 avril, portant sur la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. Corinne Khayat et Michel Ponsard, associés du cabinet UGGC Avocats, détaillent l’ensemble des mesures prises.
Les Petites Affiches : Quels sont les exemples concrets de contrats concernés par cette mesure ?
Corinne Khayat : Les mesures relatives aux dates de résiliation sont prévues par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, depuis modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020. Les mesures concernent à la fois les périodes de résiliation et de renouvellement contractuellement prévues, ainsi que la mise en œuvre des clauses résolutoires.
L’article 5 de l’ordonnance s’applique à deux types de contrats. Premièrement, l’ordonnance concerne les contrats qui ne peuvent être résiliés que durant une période déterminée, expirant pendant la période d’état d’urgence sanitaire. Deuxièmement, l’ordonnance s’applique aux contrats qui se renouvellent en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé. Sont ainsi compris tous les contrats, dont la résiliation ou le renouvellement devait intervenir pendant la période d’état d’urgence sanitaire. Seraient en revanche exclus tous les contrats pour lesquels la résiliation est susceptible d’intervenir à tout moment, ce qui comprend les contrats à durée indéterminée. Par ailleurs, l’article 4 de l’ordonnance précitée, s’applique à tous les contrats qui comportent des clauses résolutoires.
L’ordonnance ne précise pas l’objet des contrats visés par les mesures de report des délais. Il faut donc comprendre que tous les contrats sont concernés, notamment les contrats à exécution successive : contrat de fourniture de biens ou de services, contrat de régie publicitaire, baux, prêts, dépôts, etc. Seront également concernées des conventions d’application qui sont conclues sur le fondement de contrats cadres qui englobent des périodes de temps plus larges.
LPA : Quels sont les différents délais possibles de résiliation et de dénonciation des contrats ?
C. K. : Selon l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de deux mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi précitée, soit du 24 mars au 24 mai 2020.
L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 prévoit un report des délais et mesures qui interviennent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 juin 2020. L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 précité prononce la prolongation de deux mois des délais d’expiration, de résiliation et de non-renouvellement du contrat après la période juridiquement protégée, soit jusqu’au 24 août 2020. Ainsi, tous les contrats devant être résiliés ou dénoncés, entre le 12 mars et le 24 juin, peuvent l’être, par dérogation, jusqu’au 24 août 2020.
S’agissant des clauses résolutoires, le report de délai prévu à l’article 4 n’est pas à date fixe. Ces clauses n’ont pas d’effet entre le 12 mars et le 24 juin 2020, et voient leur délai de mise en œuvre suspendu ; ce délai reprendra son cours à compter du 24 juin 2020, à hauteur de la fraction du délai suspendue par les mesures résultant de l’état d’urgence.
Il convient de rappeler que ces délais sont, pour l’instant, fixés à titre provisoire. Toute prolongation de l’état d’urgence postérieurement au 24 mai 2020 entraînerait concomitamment une prorogation de ces mesures.
LPA : Sur quels critères ces délais sont-ils calculés ?
C. K. : La raison d’être de l’ordonnance est de tenir compte des difficultés que fait naître l’état d’urgence pour les parties à un contrat. Le calcul des délais est ainsi directement lié à l’état d’urgence sanitaire.
En effet, la mise en œuvre dans les délais impartis des clauses de résiliation, de dénonciation, et des clauses résolutoires, est devenue difficile en pratique avec le ralentissement de l’activité économique, la diminution des déplacements et corrélativement la difficulté des notifications.
Concrètement, si l’on prend l’exemple d’un contrat de distribution de produits alimentaires devant être résilié par lettre recommandée avec accusé de réception reçue au plus tard le 15 juin de chaque année, pour permettre au fournisseur desdits produits de trouver un nouveau distributeur avant le renouvellement de sa production : dans le cas où une partie souhaiterait résilier le contrat, elle devrait normalement le faire avant le 15 juin 2020. Dans la mesure où cette date appartient à la période protégée (du 12 mars 2020 au 24 juin 2020), l’ordonnance s’applique au contrat, dont le délai de résiliation est prorogé jusqu’au 24 août 2020.
LPA : Quelles sont les conséquences en matière de résiliation et de renouvellement des contrats ?
Michel Ponsard : Deux dispositions de l’ordonnance n° 2020-306, prise en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, traitent notamment des clauses résolutoires et du renouvellement du contrat.
L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 (modifié par l’ordonnance n° 2020-427) impose le report notamment des clauses résolutoires dont la date d’exécution interviendrait pendant la période juridiquement protégée (12 mars au 24 juin) ou débuterait avant ou expirerait après ladite période. Il ressort du nouveau texte que le report n’est plus fixé au 24 juillet comme initialement prévu dans l’ordonnance n° 2020-306 mais est désormais égal « au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée » ; par exemple, pour une mise en demeure adressée le 20 mars 2020, soit huit jours après le début de la période de confinement, prévue par une clause résolutoire devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 30 mars 2020, soit dix jours après le début de la mise en demeure, cette clause produira finalement son effet dix jours après la fin de cette période juridiquement protégée, soit en l’état actuel des choses le 4 juillet (24 juin + 10 jours) si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté à cette date. Cette disposition paralyse donc la mise en œuvre des clauses résolutoires pendant ladite période.
Si le délai pour réparer le manquement a commencé avant le début de la période juridiquement protégée, le délai d’exécution est suspendu pendant ladite période et donc reporté après sa fin.
Si le délai d’exécution expire après la période juridiquement protégée (24 juin), le report sera d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période (24 juin). Ainsi si une société accorde un délai de 3 mois, le 1er mai, pour remédier à une inexécution contractuelle, soit jusqu’au 1er août, le délai sera prorogé de 54 jours (du 1er mai au 24 juin), c’est-à-dire jusqu’au 24 septembre. Cette dernière disposition applicable aux échéances postérieures à la fin de la période juridiquement protégée ne vise pas une inexécution relative au paiement d’une somme d’argent. Le rapport au président indique que l’incidence des mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire sur la possibilité d’exécution des obligations de somme d’argent n’est qu’indirecte et, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement). Précisons enfin que les parties peuvent d’un commun accord déroger à ces reports.
L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 publiée au Journal officiel le 26 mars 2020 prévoit lui le report des délais de résiliation et de renouvellement contractuellement prévus en raison de l’état d’urgence sanitaire mis en place pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Cet article dispose que : « Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période ».
L’article 5 permet donc à la partie, qui n’aurait pas pu résilier un contrat ou pas pu s’opposer à son renouvellement en raison de l’épidémie de Covid-19 car l’expiration du délai pour le faire serait intervenue pendant la période juridiquement protégée, de bénéficier d’un délai supplémentaire de deux mois pour le faire, soit jusqu’au 24 août 2020. Cette disposition ne vise donc pas à protéger la possibilité de réparation d’un manquement à l’exécution du contrat par la partie défaillante visée à l’article 4 mais au contraire à protéger la faculté pour une partie de résilier ou de ne pas renouveler le contrat.
La mesure prévue par l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 conduit à une suspension des délais contractuels, de sorte que le contrat est supposé devoir être exécuté pendant la durée de la suspension aux mêmes conditions que pendant l’exécution du contrat.
Dans le même temps, l’application combinée de cet article 5 avec l’article 4 de la même ordonnance n° 2020-306, modifiée par l’ordonnance n° 2020-427, conduit en réalité à l’impossibilité pour une partie de mettre en œuvre la clause résolutoire pendant la période protégée en cas d’inexécution de ses obligations par l’autre partie. En d‘autres termes, le respect de leurs obligations par les parties s’impose pendant la période visée à l’article 5 de l’ordonnance mais l’inexécution d’une obligation ne peut être sanctionnée en application d’une clause résolutoire dont le délai débuterait ou expirerait pendant la période juridiquement protégée. La partie victime de l’inexécution ne dispose donc d’aucun moyen de rendre l’obligation coercitive jusqu’à la fin de cette période.
LPA : Quelles sont les conséquences en matière de rupture des relations commerciales ?
M. P. : Les articles 4 et 5 de l’ordonnance n° 2020-306 modifiée visent des situations d’inexécution de ses obligations par une des parties, inexécution entraînant la mise en œuvre de la clause résolutoire, ou absence d’utilisation de la faculté contractuelle de résilier ou de ne pas renouveler par une partie.
Aucune disposition n’interdit la résiliation du contrat qui ne serait pas fondée sur une inexécution contractuelle mais résulterait d’un préavis normal. Tout contrat peut s’il est à durée indéterminée être résilié à tout moment sous réserve de respecter un préavis suffisant. Tout contrat à durée déterminée dont le terme contractuel expire peut ne pas être renouvelé.
La rupture brutale d’un contrat est en général étrangère à l’existence d’une faute mais résulte simplement de la volonté d’une partie de mettre fin à la relation, sans justification particulière, en accordant un préavis suffisant à l’autre partie. Ainsi la rupture d’un contrat avant le 12 mars 2020 avec un préavis qui expire pendant la période juridiquement protégée ne semble pas devoir être remise en cause au regard de l’ordonnance n° 2020-306. En effet l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 vise simplement à maintenir la possibilité pour une partie de résilier ou de ne pas renouveler un contrat, ce qui ne concerne pas l’hypothèse où le contrat est rompu. Il en va de même si la résiliation du contrat intervient pendant la période juridiquement protégée sans invoquer une faute. Ce serait par exemple le cas d’un contrat à durée indéterminée. Si le 13 mars 2020, une partie résilie un contrat à durée indéterminée avec un préavis de deux mois sans qu’aucune faute ne soit invoquée ni aucune réparation envisagée, la prorogation des délais ne peut s’appliquer. C’est bien ce que confirme la circulaire du 26 mars 2020 précisant l’ordonnance n° 2020-306 sur les délais. La suspension des délais visée à l’article 4 ne concerne que les cas d’inexécution d’une obligation pendant la période juridiquement protégée.
Cette situation est préoccupante pour les victimes des ruptures brutales de contrats commerciaux dans la mesure où elles auront les plus grandes difficultés à se défendre en raison de la paralysie des tribunaux pendant la période actuelle. Cela est d’autant plus problématique que les urgences seront appréciées avec une rigueur accrue des juges des référés qui ont désormais la possibilité de rejeter les demandes sans ordonnance contradictoire, soit sans débat et de manière simplifiée, s’ils jugent que la demande est irrecevable ou qu’il n’y a pas lieu à référé (Ord. n° 2020-304, 25 mars 2020, art. 9 et circulaire CIV/02/20, 26 mars 2020).
Il n’en irait autrement que si dans la notification de la résiliation, la partie invoquait une faute de la victime de la résiliation et lui accordait un délai pour remédier à ladite faute.