Garantie d’éviction partielle : des précisions sur l’indemnisation

Publié le 21/04/2023

Une demande d’indemnisation du préjudice résultant d’une éviction partielle, fondée sur les articles 1636 et 1637 du Code civil, n’est pas nouvelle en appel, dès lors que les acquéreurs avaient formé, en première instance, des demandes fondées sur les articles 1625, 1626 et 1630, tendant à l’exercice du même droit.

Par ailleurs, l’indemnité d’éviction doit s’apprécier au regard non des caractéristiques du bien qui justifient l’éviction, mais au regard de sa désignation lors de la vente.

Cass. 3e civ., 18 janv. 2023, no 21-16666

L’article 1625 du Code civil oblige le vendeur à garantir la possession paisible de la chose vendue. À ce titre, la garantie d’éviction du fait des tiers permet de protéger l’acquéreur contre un vendeur qui lui aurait cédé plus de droits sur la chose qu’il n’en avait. Elle est due pour tous les troubles de droit préexistants au moment de la vente, non déclarés et ignorés de l’acheteur.

L’éviction peut être soit totale, soit partielle1.

En cas d’éviction partielle, et si l’éviction est d’une importance telle que l’acheteur n’aurait pas acheté s’il avait connu le risque d’éviction, ce dernier peut demander la résolution de la vente (article 1636 du Code civil) assortie, le cas échéant, d’une condamnation au paiement de dommages-intérêts. En revanche, si l’éviction partielle est insuffisante pour demander la résolution, l’acheteur aura seulement la possibilité de demander une indemnité correspondant à la valeur de la partie du bien dont il a été évincé2.

Cette affaire permet de revenir sur la garantie d’éviction et plus précisément sur l’indemnité d’éviction qui est due en cas de trouble3.

En l’espèce, il était question d’une éviction partielle. En juillet 2010, des acheteurs font l’acquisition d’une maison avec jardin pour un prix de 293 000 €. Six mois après cette acquisition, les acheteurs sont sommés par la direction départementale des territoires et de la mer de libérer une bande de terrain de 28 m2 appartenant au domaine public maritime. Or, entre-temps, les acquéreurs avaient fait édifier sur cette bande de terrain des constructions annexes à la maison. Par ailleurs, le mur de clôture empiétait également sur ladite bande.

Mécontents, les acquéreurs assignent leurs vendeurs, sur le fondement des articles 1625, 1626 et 1630 du Code civil relatifs à la garantie d’éviction, afin d’obtenir l’annulation de la vente, le remboursement des frais engagés sur l’immeuble depuis son acquisition et le paiement de dommages-intérêts. Précisons que si l’éviction causée à l’acquéreur d’un bien par le fait de l’autorité publique ne peut, en général, donner lieu contre le vendeur à une action en garantie, il en est autrement lorsque cet acte est la conséquence de circonstances antérieures à la vente et que, par aucun moyen, l’acquéreur n’en peut empêcher les effets4. Tel était le cas en l’espèce.

Dans un arrêt en date du 14 mars 2019, la cour d’appel de Montpellier ordonne la réouverture des débats et invite les acquéreurs à conclure au regard des dispositions des articles 1636 et 1637 du Code civil ainsi que sur les conséquences découlant de l’option choisie quant à leurs demandes chiffrées.

L’héritière des acquéreurs5 renonce, dans ses conclusions récapitulatives d’appel, à sa demande d’annulation de la vente et sollicite l’indemnisation du préjudice résultant de l’éviction partielle du bien acquis neuf ans plus tôt.

Les vendeurs soulèvent alors une fin de non-recevoir prise de la nouveauté des demandes en appel.

Se pose ainsi une première interrogation relative au caractère nouveau ou non de la demande de l’héritière.

À ce titre, les vendeurs faisaient grief à l’arrêt de déclarer l’héritière recevable en sa demande de règlement de la valeur de la partie évincée alors que les acquéreurs s’étaient fondés, en première instance sur les articles 1625, 1626 et 1630 du Code civil. De ce fait, la demande en indemnisation sollicitée devant la cour d’appel sur le fondement des articles 1636 et 1637 du Code civil constituait, selon eux, une demande nouvelle. Une demande qui, au titre de l’article 564 du Code de procédure civile (« à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait »), ne pouvait qu’être irrecevable.

La Cour de cassation rejette cet argument en estimant qu’en ayant constaté qu’en exécution de l’arrêt avant dire droit en date du 14 mars 2019, l’héritière des acquéreurs avait sollicité des dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait de l’éviction partielle, conformément à ce que permettent les articles 1636 et 1637 du Code civil, la cour d’appel en avait exactement déduit que cette demande tendait à l’exercice du même droit qu’en première instance, à savoir la mise en jeu de la garantie légale du vendeur. Qu’en conséquence, la demande en appel n’était pas nouvelle.

Cette solution est logique. En effet, si les demandeurs s’étaient fondés en première instance sur les articles 1625, 1626 et 1630 du Code civil pour solliciter une indemnisation et s’étaient, ensuite, fondés sur les articles 1636 et 1637 du Code civil, la demande n’était pas, en soi, nouvelle.

Cette demande d’indemnisation, d’une part, avait été sollicitée dès la première instance et résultait, d’autre part, et dans les deux cas, de l’exercice du même droit : celui de solliciter, au titre de la garantie d’éviction, une indemnisation du préjudice résultant d’un trouble de droit. Dès lors, cette modification des fondements textuels n’était pas de nature à créer une demande nouvelle.

Au-delà de cette première interrogation, se posait également la question de savoir comment l’indemnité d’éviction devait être appréciée.

Les vendeurs faisaient grief à l’arrêt de les avoir condamnés à payer la somme de 80 000 € au titre de la valeur de la partie dont l’héritière acquéreuse se trouvait évincée en estimant que la méthode d’évaluation de l’indemnisation, adoptée par la cour d’appel, était contraire à l’article 1637 du Code civil qui énonce que « si, dans le cas de l’éviction d’une partie du fonds vendu, la vente n’est pas résiliée, la valeur de la partie dont l’acquéreur se trouve évincé lui est remboursée suivant l’estimation à l’époque de l’éviction, et non proportionnellement au prix total de la vente, soit que la chose vendue ait augmenté ou diminué de valeur »6.

Pour les vendeurs, la somme de 80 000 € correspondait à une indemnité calculée en fonction du prix total de la vente et non au regard de la valeur de la partie du bien dont l’acheteur avait été évincé.

Ce à quoi la Cour de cassation répond en estimant que l’indemnité doit être appréciée au regard non des caractéristiques du bien qui justifient l’éviction mais de sa désignation lors de la vente et qu’en conséquence, la cour d’appel, qui n’avait pas procédé à une évaluation proportionnelle au prix total de la vente, mais avait souverainement fixé la valeur de la partie du fonds dont l’acquéreur avait été évincé et qu’elle avait, de ce fait, légalement justifié sa décision.

La solution rendue par la Cour de cassation permet d’apporter des précisions à la fois sur la date d’appréciation de l’indemnité d’éviction et sur son estimation.

En premier lieu, l’appréciation de l’indemnité d’éviction se fait au regard de la désignation du bien lors de sa vente, une maison avec un jardin en l’espèce, et non au regard des caractéristiques du bien justifiant l’éviction, une bande de terrain appartenant au domaine public.

En second lieu, l’estimation de cette indemnité d’éviction doit se faire au moment de l’éviction. Il convient donc de ne pas confondre appréciation et estimation de l’indemnité. Si l’appréciation de l’indemnité se fait bien au moment de la vente lors de la désignation du bien, le calcul de l’indemnité peut se faire des années plus tard, au moment de l’éviction.

Concernant la méthode de calcul de l’estimation de l’indemnité d’éviction, des critiques peuvent être formulées à son encontre. Le fait de se placer au moment de l’éviction impose, en effet, à l’acheteur de supporter les variations de la valeur du bien. Ceci peut être désavantageux en cas de perte de valeur du bien, l’acquéreur n’étant que partiellement indemnisé au regard du prix d’origine versé (pour un exemple d’une maison achetée au prix de 500 000 F et revendue au prix de 350 000 F en raison de la perte de jouissance de certaines parties). Si la cour d’appel avait retenu une indemnité calculée en fonction de la différence, cette décision a été censurée par la Cour de cassation qui a estimé qu’il fallait seulement évaluer les parties du bien dont l’acheteur avait été évincé7.

En outre, cette règle de calcul s’articule mal avec celle adoptée en cas d’éviction partielle qui permet une restitution complète du prix quand bien même la valeur de la chose vendue se trouverait diminuée de valeur8.

Fort heureusement, il reste possible pour l’acquéreur ayant souffert de l’éviction de demander réparation des autres préjudices dont il aurait souffert du fait de cette éviction. Cette possibilité permet ainsi de nuancer la sévérité de cette méthode de calcul.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. civ., art. 1626.
  • 2.
    C. civ., art. 1637.
  • 3.
    A. Martineau, « Indemnisation d’un préjudice résultant d’une éviction partielle, Dalloz actualité, 31 janv. 2023.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 28 avr. 1976, n° 74-11924.
  • 5.
    Sur la possibilité pour des héritiers de se prévaloir d’une garantie d’éviction, v. Cass. 3e civ., 28 mars 1990, n° 88-14953, RTD civ. 1990, p. 287, obs. P. Jourdain.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 21 mars 2001, n° 99-16706.
  • 7.
    Cass. 3e civ., 21 mars 2001, n° 99-16706 : CCC 2001, n° 121, note L. Leveneur ; Defrénois 2001, p. 1064, obs. R. Libchaber ; RTD civ. 2001, p. 614, obs. P.-Y. Gautier.
  • 8.
    C. civ., art. 1631.
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