La demande de nullité du bail commercial pour erreur sur les qualités substantielles, retour sur l’appréciation

Publié le 02/06/2023
immobilier, urbanisme, ville, logement
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À défaut d’éléments permettant d’apprécier le vice à la conclusion du bail, une augmentation des charges locatives dans les trois ans de sa conclusion n’entraîne pas l’annulation du contrat pour erreur sur les qualités substantielles.

Cass. 3e civ., 15 févr. 2023, no 21-23166

Comme tout contrat, la conclusion du bail commercial obéit aux règles du droit commun des contrats, et notamment à la théorie des vices du consentement. C’est ce qui ressort d’un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 15 février 2023.

Le 1er octobre 2009, la société Palmer plage (ci-après le bailleur) a donné à bail des locaux commerciaux à la société Access Global Security (ci-après le preneur). Le bail prévoyait un montant de provision pour les charges à hauteur de 24 480 € l’an. Alors que le preneur est assigné en résiliation du bail, il demande, à titre reconventionnel, l’annulation de celui-ci pour vice du consentement.

La cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 7 juillet 2021, annule le bail commercial conclu entre les parties et ordonne la restitution des loyers et charges qui ont été versées. Les juges du fond constatent qu’à partir de 2012 les régularisations de charges, portant sur les années courant de 2010 à 2012, atteignaient des sommes très importantes, à savoir 25 000 €, 34 000 € et 27 000 €. En dépit de la sous-estimation du montant des provisions de charges et de l’absence de justification par le bailleur, ce dernier avait les moyens de deviner la croissance extraordinaire au regard de l’annualisation des régularisations qui, en l’espèce, n’avait été faite qu’en 2012. La cour d’appel retient que le consentement au bail a été vicié par une erreur sur les qualités substantielles du contrat, en l’occurrence le loyer et les charges qui sont des éléments fondamentaux du bail.

Pour le bailleur, la cour d’appel a utilisé des éléments postérieurs à la conclusion du contrat et impropres à caractériser une erreur sur les qualités substantielles du contrat et a donc privé sa décision de base légale au regard de l’ancien article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance de 2016.

L’existence d’une erreur lors de la conclusion du bail commercial peut-elle être démontrée par des éléments issus de son exécution ?

Pour censurer la décision de la cour d’appel, la Cour de cassation rappelle que « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. La validité de consentement doit être appréciée au moment de la formation du contrat ». Ainsi, à défaut d’éléments caractérisant le vice du consentement à la conclusion du contrat, il n’y avait pas d’erreur sur les qualités substantielles entraînant l’annulation du bail et la restitution des sommes versées.

Ainsi, faute de pouvoir apprécier le vice au moment de la conclusion du contrat, la croissance des charges ne constitue pas une cause de nullité du bail pour erreur sur les qualités substantielles (I). Si l’appréciation faite par la Cour de cassation n’est pas nouvelle, elle n’en est pas moins tournée vers l’application de la réforme (II).

I – La croissance extraordinaire des charges non constitutives de la nullité du bail

On pourrait penser qu’il est, une nouvelle fois, fait application du droit commun des contrats, mais ce qui est étrange est de demander la nullité du bail pour erreur sur les qualités substantielles du contrat, sans discussion sur l’objet de l’erreur commise (A). La Cour de cassation refuse de prononcer la nullité du bail, au regard de la faiblesse des éléments probants postérieurs rapportés pour établir le vice à la conclusion du contrat (B).

A – La surprenante absence de discussion sur l’objet de l’erreur commise

Soumise au droit commun des contrats, la nullité des contrats relatifs au fonds de commerce peut être prononcée sur le fondement de la théorie des vices du consentement. Ainsi, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de prononcer la nullité d’un bail commercial sur le fondement de l’erreur sur les qualités substantielles du local, si le preneur a contracté dans la croyance erronée d’une situation de non-concurrence, et que cette qualité est entrée dans le champ contractuel1.

L’admission de l’erreur nécessite une discussion sur l’objet de l’erreur commise. Le droit commun des contrats est ici bien mobilisé par le preneur, en vue de faire sanctionner la nullité du bail, mais pour ce qui ressemble fort à une erreur sur la valeur. Ici l’erreur aurait été commise sur l’envolée des coûts locatifs supportés par le preneur. Autrement dit, le preneur se plaint de la valeur économique du bail, de l’appréciation économiquement inexacte de celui-ci. Il y aurait alors eu une méprise sur la valeur. Mais quoi qu’il en soit, l’erreur sur la valeur n’emporte pas en principe la nullité du contrat, car la valeur est étrangère aux qualités substantielles. Il n’est pas démontré que l’erreur a été causée par un dol ou qu’elle a été provoquée par une erreur sur les qualités substantielles.

Toutefois, il reste curieux que l’arrêt ne fasse pas état de l’objet de l’erreur commise, son caractère déterminant et excusable. L’avocat du bailleur n’a pas soulevé l’argument et il n’en a pas eu besoin. Les éléments probants même postérieurs à la conclusion du contrat n’ont pas permis d’établir le vice d’erreur à la formation du bail.

B – La faiblesse des éléments probants postérieurs à la conclusion du contrat

Les juges de la Cour de cassation refusent de prononcer la nullité du bail. En effet, la preuve n’est pas rapportée que le consentement du preneur avait été vicié au moment de la formation du contrat. Les juges du fond s’étaient déterminés sur des éléments postérieurs à la conclusion du contrat et impropres à caractériser l’erreur.

Le bail ayant été signé le 1er octobre 2019, seuls des éléments issus de cette période auraient dû être présentés par le preneur afin de faire valoir une erreur. Le bailleur n’avait pas donné au preneur, avant la conclusion du bail, d’éléments prévisionnels permettant d’établir le montant des charges. Les juges du fond ne prennent alors en considération que les données chiffrées de 2010 à 2012, étant donné que ce n’est qu’en 2012, au moment de la régularisation de charges des années 2010 à 2012, que le preneur a pris connaissance de l’augmentation exponentielle des charges. La Cour de cassation censure la pauvreté des motifs donnés par les juges d’appel à l’appui de leur décision, qui ne lui permettent pas de vérifier si celle-ci est conforme à l’ancien article 1110 du Code civil.

La jurisprudence a déjà admis que l’on puisse se servir d’éléments postérieurs pour apprécier l’erreur au moment de la conclusion du contrat2. En l’espèce, la Cour de cassation ne semble pas hostile à la caractérisation de l’erreur à l’aide d’éléments postérieurs à la signature du contrat3, mais elle n’est pas convaincue par la motivation des juges du fond, ce qui explique le qualificatif d’« impropres ». La décision étant prononcée pour défaut de base légale et non pour une violation de la loi, il apparaît que les explications de la cour d’appel sont bien insuffisantes.

La Cour de cassation refuse la nullité du bail pour erreur sur les qualités substantielles du contrat, faute d’éléments permettant d’établir le vice au moment de la conclusion du contrat. Si la motivation de la cour d’appel ne convainc pas les juges de cassation, la solution n’exclut pas l’appréciation de l’erreur en vertu de la réforme.

II – L’appréciation de l’erreur tournée vers l’application de la réforme

Bien qu’utilisant l’ancien article 1110 du Code civil, l’appréciation de l’erreur par la Cour cassation est tournée vers l’avenir. La solution de la Cour n’entre pas en contradiction avec la réforme, permettant ainsi une application uniforme de la preuve de l’erreur (A). De plus, elle laisse implicitement planer la possibilité de recourir à un prévisionnel de charges (B).

A – La preuve de l’erreur, une application uniforme

L’ordonnance du 10 février 20164 modifie les articles sur l’erreur, sans modifier l’orthodoxie de la théorie des vices du consentement. L’article 1132, alinéa 1, du Code civil prévoit désormais que l’erreur commise par l’un des contractants est une cause de nullité quand elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due. Ces qualités essentielles sont celles qui ont été convenues expressément ou tacitement et en considération desquelles les parties ont contracté, en vertu de l’article 1133, alinéa 1, de ce même code. Cette ordonnance et les substitutions terminologiques ne remettent pas en cause les solutions rendues sous l’empire de l’ancien texte, et celles rendues depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance, pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016. L’arrêt de l’espèce n’y fait pas exception. En effet, il existe une constante entre les deux législations : les juges recherchent un « équilibre entre l’impératif de protection des volontés individuelles et l’impératif de sécurité des transactions »5, en rappelant que l’erreur doit exister au moment de la conclusion du contrat.

La solution de l’espèce n’en est pas moins dénuée d’intérêt au regard de la théorie des vices du consentement. Bien que rendu sous l’empire de l’ancienne législation, cet arrêt de la Cour de cassation trouvera à s’appliquer avec le nouvel article 1133 du Code civil. C’est à ce titre que la solution est tournée vers l’avenir. Elle rappelle que la validité du consentement doit s’apprécier au moment de la formation du contrat, mais elle montre aussi qu’elle ne refuse pas l’appréciation d’éléments postérieurs à la rencontre des volontés pour apprécier l’erreur. La Cour de cassation n’y est pas hostile mais ce qu’elle demande, et demandera par l’application des nouveaux articles, est que ces éléments postérieurs versés aux débats ne soient pas impropres à mettre en lumière l’erreur. Une telle difficulté pourrait être levée en présence d’un prévisionnel de charges.

B – L’implicite possibilité d’un prévisionnel de charges

En l’espèce, il faut reconnaître que l’appréciation de l’erreur à la rencontre des volontés est bien difficile à mettre en œuvre. La connaissance du preneur ne portait que sur la régularisation de charges de 2009, qu’il n’avait pas à payer et qui était donnée à titre informatif. Ce n’est qu’au moment de la régularisation pour les années de 2010 à 2012 que la réalité sur le montant se révèle, donc postérieurement à la conclusion du contrat. Il n’avait connaissance que du transfert de charges et des éléments des provisions pour charges à prendre en considération. Au regard de l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation ne remet pas en cause une partie de la solution d’appel, voulant que le montant des charges fût prévisible et sous-évalué par le bailleur, qui ne motivait pas la croissance des charges. Faut-il comprendre que la Cour de cassation se prononce discrètement pour la présence d’un prévisionnel de charges à fournir avant la conclusion du contrat ?

Précisément sous l’empire de l’ancien article 1110 du Code civil, la Cour de cassation a déjà énoncé que constitue une erreur sur les qualités substantielles justifiant l’annulation du contrat le montant des charges multiplié par trois par rapport au montant précis inscrit au bail et au montant prévisionnel fourni dans une plaquette avant la conclusion du bail6. Il en est de même sur le fondement du dol, lorsque le bailleur remet une estimation prévisionnelle des charges de 28 500 €, alors que le minimum aurait dû être de 38 000 €, sans prendre en compte les dépassements prévisibles7. En l’espèce, si le preneur s’était engagé en considération des prévisions, il y aurait eu une perte d’équilibre entre les prévisions fournies et la situation réelle8.

Aussi, si le bailleur avait bien les moyens de « deviner » la croissance des charges, la terminologie employée est révélatrice du fait que les prévisionnels sont une science bien inexacte9, mais permettent au preneur de caractériser l’erreur au moment de la rencontre des volontés, s’ils l’ont amené à contracter.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 3e civ., 2 oct. 2013, n° 12-13302.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 13 déc. 1983, n° 82-12237 : Bull. civ. I, n° 293 ; RTD civ. 1984, p. 109, obs. F. Chabas ; D. 1984, p. 340, note J.-L. Aubert.
  • 3.
    L’erreur étant un fait juridique, sa preuve est libre et peut être apportée par tous moyens en application de l’article 1358 du Code civil, ce qui comprend des éléments postérieurs à l’évènement.
  • 4.
    Ord. n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO, 11 févr. 2016, texte n° 26.
  • 5.
    B. Fages, Droit des obligations, 12e éd., 2022-2023, LGDJ-Lextenso, p. 108, EAN : 9782275102337.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 13 juin 2001, n° 99-18676.
  • 7.
    Cass. 3e civ., 29 janv. 2002, n° 00-17201.
  • 8.
    Cass. com., 6 oct. 1998, n° 96-19084.
  • 9.
    V. en ce sens : R. Loir, « Les prévisionnels : le point de vue du juriste », in La protection du franchisé au début du XXIe siècle : entre réalité et illusions : actes de colloque tenu le 1er avril 2008, 2009, L’Harmattan, p. 112.
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