La nécessaire appréciation de la valeur probante des témoignages relatés dans un acte notarié constatant l’usucapion

Publié le 28/01/2025
Cadastre, lot, division, parcelle, immobilier
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Dans un arrêt rendu le 10 octobre 2024, la troisième chambre civile précise que « l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, mais il appartient au juge d’apprécier la valeur probante des témoignages relatés dans cet acte quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée ».

En l’espèce, un couple a, par acte notarié du 13 décembre 2010, acquis d’un tiers une parcelle.

Le 8 juin 2016, a été dressé par notaire un acte de notoriété acquisitive désignant ce couple comme propriétaires. Une commune a assigné ce couple aux fins de voir annuler l’acte et juger qu’elle est propriétaire de cette parcelle, en application de l’article 713 du Code civil.

Par un arrêt rendu le 4 avril 2023, la cour d’appel de Grenoble a annulé l’acte de notoriété et dit la commune fondée en sa demande présentée au titre de l’article 713 du Code civil. La cour d’appel a donc jugé que la commune est propriétaire de la parcelle en retenant que l’acte n’est confirmé par aucun autre élément, les autres pièces produites aux débats étant insuffisantes à établir une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaires pendant plus de 30 ans.

Un pourvoi en cassation a été formé car, selon les auteurs, « si l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne peut par elle-même établir celle-ci, les juges sont néanmoins tenus d’examiner si la preuve de la possession est rapportée par les éléments contenus dans cet acte ». Or pour « justifier d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de 30 ans, [ils] se prévalaient notamment des deux témoignages contenus dans l’acte de notoriété du 8 juin 2016 ». La cour d’appel, « en retenant que la preuve d’une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de 30 ans n’était pas rapportée, sans rechercher si les deux témoignages contenus dans l’acte de notoriété du 8 juin 2016 ne permettaient pas d’établir une telle preuve, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2261 et 2272 du Code civil ».

Ainsi la question posée à la Cour était de savoir si la cour d’appel pouvait annuler l’acte notarié constatant l’usucapion, sans analyser, comme il le lui était demandé, les témoignages contenus dans ce même acte.

Au visa des articles 2261 et 2272, alinéa 1er, du Code civil la Cour régulatrice rappelle que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. Elle rappelle également que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de 30 ans. Selon elle, il « incombe à celui qui invoque le bénéfice de la prescription acquisitive de rapporter la preuve d’actes matériels de possession exercés pendant la durée prévue par le second de ces textes et revêtant les caractères exigés par le premier ».

Surtout, elle retient l’argument des auteurs du pourvoi et indique que « si l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, il appartient au juge d’apprécier la valeur probante des témoignages relatés dans cet acte quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée ».

Ainsi, la Cour de cassation rappelle les règles à prendre en compte pour déterminer si les éléments constitutifs de l’usucapion sont réunis et sur qui pèse la charge de la preuve en la matière (I).

Elle précise surtout que l’existence d’un acte notarié constatant l’usucapion n’établit pas, par lui-même, celui-ci mais que les témoignages relatés dans cet acte doivent être pris en compte pour déterminer l’existence d’actes matériels permettant de caractériser la possession (II).

I – Les conditions de l’usucapion

Pour pouvoir usucaper, la Cour de cassation rappelle que la possession du bien immobilier doit être continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. Par ailleurs, elle précise que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de 30 ans, par principe (A). Enfin, il incombe à celui qui invoque le bénéfice de la prescription acquisitive de rapporter la preuve d’actes matériels de possession exercés sur le bien (B).

A – Une possession continue, ininterrompue, paisible, non équivoque et à titre de propriétaire

Issu des termes latins usus et capere, le terme usucapion est un mode particulier d’acquisition de la propriété immobilière. Ce mécanisme est également appelé prescription acquisitive. C’est plus généralement le moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession, d’une manière publique et durable.

Aux termes de l’article 2261 du Code civil, « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».

Selon l’article 2272 du même code, « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de 30 ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par 10 ans ».

Il existe donc deux types de prescriptions acquisitives : celle de 30 ans et celle abrégée de 10 ans.

La différence entre les deux mécanismes réside dans le fait que, dans le premier, il existe un juste titre conforme à la possession. Dans le second, tel n’est pas le cas.

Le juste titre est considéré comme étant celui qui, considéré en soi, serait de nature à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription1.

La prescription abrégée est fondée sur l’existence d’un titre qui suppose un transfert de propriété « consenti par celui qui n’est pas le véritable propriétaire »2.

La prescription trentenaire ne nécessitant pas de titre et permettant d’acquérir la propriété, la Cour de cassation a rappelé que les juridictions du fond doivent, sur une action en usucapion, rechercher si le propriétaire indivis d’un passage ne s’était pas comporté en propriétaire exclusif3. Ainsi et par principe, un propriétaire indivis peut usucaper.

Concernant l’existence d’un titre réel, la Cour de cassation a rappelé que cela implique que l’acte invoqué concerne exactement, et dans sa totalité, le bien que le possesseur a entre les mains et qu’il entend prescrire4.

Par ailleurs, pour que la possession prolongée soit prise en compte et produise ses effets, celle-ci doit être utile et à titre de propriétaire.

Le possesseur doit avoir le pouvoir réel sur la chose, c’est le corpus. Le corpus consiste à exercer les attributs du droit de propriété, c’est-à-dire l’usus, le fructus et l’abusus sur la chose. Dans ce cadre, le possesseur accomplit sur la chose des prérogatives du droit de propriété. Le possesseur doit donc exercer sur la chose les actes que peut accomplir tout propriétaire.

Mais il doit également avoir l’intention de se comporter en propriétaire, c’est l’animus.

L’article 2261 du Code civil donne donc les caractéristiques de la possession pour être considérée comme utile.

Tout d’abord, la possession doit être continue. Ainsi, aucune interruption de la possession ne doit être caractérisée. Il doit être précisé néanmoins que la conservation de la possession solo animo est admise. Mais la Cour de cassation a précisé sur ce point que si la possession légale d’un fonds immobilier, quand elle a été une fois acquise au moyen d’actes matériels de détention ou de jouissance accomplis animo domini, peut se conserver par la seule intention du possesseur, c’est à la double condition qu’il n’y ait pas eu renonciation expresse ou tacite et que la possession ait été exercée dans toutes les occasions comme à tous les moments où elle devait l’être d’après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession discontinue. C’est ainsi qu’a été cassé un arrêt d’une cour d’appel qui avait écarté la prescription acquisitive, faute de fait matériel d’occupation effective récent, sans rechercher, les actes matériels d’origine étant établis, si la possession ne s’est pas poursuivie par la seule intention, sans être interrompue avant l’expiration du délai de prescription par un acte ou un fait contraire5.

Concernant le caractère paisible de la possession, il a été jugé qu’il est exclu dès lors que la possession n’est pas exempte de violences matérielles ou morales dans son appréhension et durant son cours6.

Ensuite, la possession doit être publique. Cela implique que la possession ne soit pas clandestine. La clandestinité est qualifiée lorsqu’il existe, de la part de celui qui veut prescrire, une dissimulation des actes. Mais ce vice de clandestinité est un vice relatif dont seule peut se prévaloir la personne à qui la possession a été dissimulée. Il suffit, pour que le vice de clandestinité puisse être écarté, que la possession ait été connue de la partie adverse.

La possession doit également être non équivoque. Aucune ambiguïté ne doit exister sur l’intention du possesseur de se comporter en propriétaire et cela dans des circonstances qui ne sont pas de nature à faire douter de cette qualité.

Il a été jugé que la possession est équivoque si les actes du possesseur ne révèlent pas son intention de se conduire véritablement en propriétaire, étant précisé que l’équivoque suppose le doute dans l’esprit des tiers, mais non dans celui du possesseur7.

L’occupation du bien usucapé ne doit pas avoir été autorisée dans un but précis. Dans le cas contraire, l’occupation est précaire. Il a été jugé, à titre d’exemple, qu’est précaire l’occupation de terrains autorisée initialement dans la perspective d’un projet de lotissement et de cession de lots jamais réalisé8.

Aussi, dès lors qu’il existe un contrat de bail, toute possession ne peut être considérée comme permettant l’usucapion.

En l’espèce, la question portée devant la Cour de cassation ne concerne pas la durée ni même les caractères de la possession, mais la preuve de celle-ci.

B – La charge de la preuve de la possession

La Cour rappelle qu’il « incombe à celui qui invoque le bénéfice de la prescription acquisitive de rapporter la preuve d’actes matériels de possession exercés pendant la durée prévue par le second de ces textes et revêtant les caractères exigés par le premier ».

Aussi, c’est bien à celui qui se considère comme propriétaire d’apporter la preuve de sa possession et de toutes ses caractéristiques.

Le possesseur doit non seulement apporter la preuve du corpus, mais également la preuve de l’animus.

La preuve du corpus est libre. En effet, les faits matériels de possession peuvent être établis par des témoignages ou même par des présomptions. La preuve peut être également apportée par des photographies mais également par tous documents de nature à justifier le début de la possession ou la durée de la celle-ci.

Le juge apprécie souverainement les éléments apportés par le possesseur pour déterminer la réalité de sa possession9.

La preuve de l’animus se fait également par tous moyens. Mais l’animus est présumé. En effet, aux termes de l’article 2256 du Code civil, « on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre ». Et cette présomption ne cède pas devant un titre, mais devant la preuve qu’on a commencé à posséder pour un autre.

En l’espèce, la charge de la preuve pesait donc bien sur le couple et non sur la mairie qui avait sollicité l’annulation de l’acte notarié. La cour d’appel avait considéré que les éléments apportés par le possesseur étaient insuffisants pour caractériser la possession utile sur la période considérée.

Parmi les éléments de preuve apportés par le couple, l’un était fondamental : l’acte notarié constatant l’usucapion. Mais la question portait donc pour la Cour sur la place que doit avoir un acte authentique constatant l’usucapion dans la preuve de la possession.

II – La prise en compte d’un acte notarié constatant l’usucapion

La Cour rappelle que l’acte notarié constatant l’usucapion n’est pas suffisant pour l’établir (A). Néanmoins, les juges du fond doivent tenir compte des témoignages relatés dans l’acte afin de caractériser la possession (B).

A – Le caractère insuffisant de l’acte notarié constatant une usucapion pour l’établir

Les éléments factuels de nature à démontrer la possession utile et trentenaire d’un immeuble peuvent être réunis dans un acte de notoriété acquisitive qui sera dressé par le notaire.

Un tel acte ne constitue pas un titre de propriété avec la force probante qui en découle, mais il permet de réunir les preuves d’une possession permettant de caractériser l’usucapion ou prescription acquisitive.

La cour d’appel de Grenoble, le 4 avril 2023, a annulé l’acte de notoriété du 8 juin 2016 et dit la commune fondée en sa demande présentée au titre de l’article 713 du Code civil. Elle a estimé que la commune est propriétaire de la parcelle en retenant que l’acte de notoriété n’est confirmé par aucun autre élément, les autres pièces produites aux débats étant insuffisantes à établir une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaires pendant plus de 30 ans.

Pour les auteurs du pourvoi, « si l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne peut par elle-même établir celle-ci, les juges sont néanmoins tenus d’examiner si la preuve de la possession est rapportée par les éléments contenus dans cet acte ». Or pour les possesseurs, leur possession était justifiée car ils se prévalaient notamment des deux témoignages contenus dans l’acte de notoriété du 8 juin 2016. Selon eux, « en retenant que la preuve d’une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de 30 ans n’était pas rapportée, sans rechercher si les deux témoignages contenus dans l’acte de notoriété du 8 juin 2016 ne permettaient pas d’établir une telle preuve, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2261 et 2272 du Code civil ».

La Cour de cassation estime, elle, que « si l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, il appartient au juge d’apprécier la valeur probante des témoignages relatés dans cet acte quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée ».

Cette position de la Cour de cassation est finalement constante.

Dans un arrêt rendu le 30 juin 199910, la troisième chambre avait déjà indiqué que « l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion et le paiement d’impôts ne pouvait établir celle-ci, sans relever l’existence d’actes matériels de possession accomplis par les demandeurs pendant une durée de 30 ans ». La Cour censurait donc un arrêt rendu par une cour d’appel qui avait fondé sa décision principalement sur l’existence d’un acte notarié.

Mais l’acte en lui-même est donc insuffisant.

Par ailleurs, il doit être indiqué que le notaire instrumentaire est parfois même attrait en justice pour avoir rédigé un tel acte, même si sa responsabilité n’est généralement pas retenue. La Cour de cassation a ainsi donné les fondements de la mise en œuvre d’une telle responsabilité. Elle précise que « le notaire qui établit un acte de notoriété acquisitive qui se révèle ultérieurement erroné n’engage sa responsabilité de ce fait que lorsqu’il dispose d’éléments de nature à le faire douter de la véracité des énonciations dont on lui est demandé de faire état, sans avoir à rechercher les origines de propriété du bien en cause qui ne sont pas susceptibles de contredire la possession ainsi attestée »11.

Cela étant précisé, la Cour de cassation relativise le caractère insuffisant de l’acte de notoriété acquisitive.

B – L’obligation pour les juges du fond de tenir compte des témoignages relatés dans l’acte afin de caractériser la possession

Dans la décision commentée, la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel qui n’a pas tenu compte des éléments précis mentionnés dans l’acte notarié.

En l’espèce, elle précise qu’il « appartient au juge d’apprécier la valeur probante des témoignages relatés dans cet acte quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée ».

Ce rappel est bienvenu. La cour d’appel ne pouvait pas se contenter de dire que l’acte de notoriété n’est confirmé par aucun autre élément en considérant que les autres pièces produites aux débats étaient insuffisantes à établir une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaires pendant plus de 30 ans.

En définitive, elle devait analyser les témoignages pris en compte par le notaire pour établir son acte, afin de déterminer s’ils étaient suffisants à caractériser une possession utile. Il en serait de même de tout élément mentionné dans l’acte qui permettrait de prouver valablement la possession dans ses différentes composantes.

En effet, la preuve étant libre, l’appréciation des juges doit porter sur l’ensemble des éléments de preuve apportés par les possesseurs. Écarter les témoignages pris en compte par le notaire ou rendre nécessaire la production d’autres éléments supplémentaires n’est pas justifié.

A contrario, cela demanderait au notaire instrumentaire de ne pas mentionner tous les éléments qu’il prend en compte pour dresser son acte, ce qui peut paraître quelque peu illogique et improductif.

Le but in fine d’un acte notarié constatant une usucapion est de faciliter le cas échéant la reconnaissance judiciaire de l’usucapion.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 3e civ., 13 janv. 1999, n° 96-19.735.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 30 oct. 1972, n° 71-11.541.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 22 janv. 1992, n° 89-21.142.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 23 févr. 2005, n° 03-17.899.
  • 5.
    Cass. 3e civ., 20 févr. 2013, n° 11-25.398.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 15 févr. 1995, n° 93-14.143.
  • 7.
    CA Bourges, 3 mars 2011, n° 10/00953.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 5 juin 2013, n° 11-22.958.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 7 mars 1972, n° 70-14.512.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 30 juin 1999, n° 97-11.388.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 22 janv. 2014, n° 12-26.601.
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