La relative reconnaissance de l’erreur sur la valeur

Publié le 19/09/2023
La relative reconnaissance de l’erreur sur la valeur
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L’erreur sur la valeur n’est pas prise en compte par notre droit positif. Cette position de principe s’explique par l’attachement au rejet de la lésion, dans un but de préservation de la sécurité juridique des transactions. En pratique, l’obstacle peut être levé par le détour qu’offre la démonstration d’une défaillance liée à une qualité essentielle de la prestation. À ce pas de côté s’ajoutent les exceptions toujours plus nombreuses, et parfois singulières, au principe de l’indifférence de l’erreur sur la valeur.

« En général, l’erreur consiste à se tromper, à croire qu’est vrai ce qui est faux ou inversement. Utilisant un langage plus juridique, on peut dire aussi qu’elle est le fait de se représenter inexactement l’objet d’une obligation, ou bien, plus techniquement encore, qu’elle est une discordance entre la volonté interne et la volonté déclarée1 ». Cette approche de l’erreur met la lumière sur toute la difficulté que soulève la recherche d’une donnée interne à l’individu, qui devra in fine être détectée par un autre individu, en la personne du juge. Notre droit positif s’emploie à séparer le bon grain de l’ivraie, dans une démarche de summa divisio entre les erreurs qui méritent d’être retenues et celles qui demeureront indifférentes2.

L’erreur sur la valeur intègre par principe la seconde catégorie3. Celle-ci a pu être entendue comme une erreur qui « consiste en une mauvaise estimation de l’avantage économique que constitue un bien ou un service. Par exemple, un vendeur cède le bien pour un prix insuffisant ou l’acquéreur l’achète trop cher4 ». Cette appréhension permet d’englober à notre sens non seulement la valeur intrinsèque de la chose ou de la prestation mais également les revenus et fruits au sens large qu’est supposée produire la prestation (dans une acception positive) ou encore l’économie de revenus qu’elle peut générer (dans une acception cette fois négative). Trop souvent en effet ces questions sont traitées de façon distincte sur la forme, tout en cédant finalement à un traitement d’ensemble sur le fond, dans une perspective d’exhaustivité du propos. Les différentes formes de ce triptyque – valeur intrinsèque, acception positive et négative de la valeur – participent toutes en réalité d’une logique commune, si bien qu’il convient de les décloisonner. Il semble en effet indéniable que l’ensemble de ces données sont chiffrables et intègrent la psychologie des parties dès lors que ces mêmes données interfèrent avec le prix du bien ou de la prestation objet du contrat. Ces éléments concourent tous à l’évaluation économique de la prestation5 que les parties se figurent au moment de la conclusion du contrat. Or, la question de l’erreur constitue avant toute chose une donnée psychologique que le droit entend traiter. Pour ce faire, l’indifférence de principe de l’erreur sur la valeur se voit constamment affirmée (I), tandis que de nombreuses exceptions à ce principe tendent à faire douter de sa consistance réelle (II).

I – L’indifférence par principe de l’erreur sur la valeur

L’erreur sur la valeur est rejetée par notre droit positif, en cohérence avec le refus d’admettre de façon généralisée la lésion et donc dans le but assumé de préserver la sécurité juridique des transactions (A). Pour autant, en pratique, bien des erreurs sur la valeur sont admises, dès lors qu’elles s’appuient sur la défaillance d’une qualité essentielle de la prestation, ceci de façon parfois artificielle (B).

A – Une indifférence justifiée par la sécurité juridique

L’erreur sur la valeur constitue une erreur indifférente en droit des obligations. Autrement dit, cette erreur spontanée n’est pas appréhendée comme un vice du consentement susceptible d’emporter la nullité du contrat. La théorie des vices du consentement, conçue dans le but d’assurer la protection de la volonté des parties qui s’engagent dans des liens contractuels, ne trouve pas à s’appliquer en présence d’un contractant qui estime avoir simplement fait une appréciation erronée de la valeur économique de la prestation objet du contrat.

Il s’agit de l’une des différences majeures que présente l’erreur spontanée avec l’erreur provoquée. Le dol, en ce qu’il constitue un délit civil, permet en effet de lever l’objection de principe6. En pratique, tant les conditions de mise en œuvre du dol que les difficultés probatoires qu’il suscite font souvent obstacle à l’obtention de la nullité pour celui qui l’invoque et amène le requérant à se tourner, faute de mieux, vers l’action en nullité fondée sur une erreur spontanée7. Une telle action, basée uniquement sur la valeur, ne peut toutefois prospérer.

Cette solution de principe tient essentiellement à la volonté fortement ancrée qui irrigue le droit des contrats de préserver la sécurité juridique des transactions8. À cet égard, il serait en effet peu satisfaisant de pouvoir se débarrasser à bon compte du contrat chaque fois qu’une partie n’y trouve pas son intérêt économique. Raisonner ainsi entrerait en collision frontale avec le rejet de principe de la lésion9, celle-ci n’étant admise que par exception et donc dans des hypothèses très circonscrites, précisément pour assurer la sécurité juridique de ceux qui entendent se lier contractuellement. Aucune convention ne saurait être parfaitement équilibrée et les parties doivent en conséquence veiller à évaluer correctement l’intérêt économique que leur procurera le contrat avant d’y souscrire10. C’est du moins là l’une des idées-forces qui trouva naguère son fondement dans la théorie de l’autonomie de la volonté.

Sur ces bases théoriques, la jurisprudence a pu refuser d’annuler une cession de parts sociales ou d’actions, alors que l’erreur invoquée portait uniquement sur la valeur des titres11. Même solution concernant une erreur sur la valeur d’un véhicule résultant d’une mauvaise évaluation de son état12. D’une manière plus générale, le vendeur ne peut invoquer une erreur fondée sur la seule évaluation économique de la vente13. Dans la même veine, l’erreur portant sur la valeur monétaire d’un fonds de commerce ne permet pas d’obtenir la nullité du contrat14. Des solutions analogues ont également été rendues au sujet de la valeur locative réelle d’un bien donné en nue-propriété15, ou encore de la valeur : de la rente stipulée dans une vente en viager16, de l’œuvre d’art vendue17, du droit ayant fait l’objet d’une transaction18.

Ce type d’erreur sur la valeur ne se confond pas, du reste, avec l’erreur sur le prix19, qui peut consister en une erreur purement matérielle20, voire en une erreur faisant purement et simplement obstacle à la rencontre des consentements21. Ainsi, l’erreur sur la valeur, qui ne se traduit pas par une erreur matérielle et qui repose uniquement sur une méprise portant sur l’évaluation économique de la prestation, ne peut permettre d’emporter la nullité du contrat. La volonté d’assurer la sécurité juridique des transactions explique ce positionnement en apparence rigide du droit. Pour autant, il apparaît que s’il n’est pas possible d’invoquer de façon directe l’erreur sur la valeur, certains biais permettent d’aboutir indirectement au même résultat. Les praticiens ont pu ainsi obtenir gain de cause dans des affaires où leurs clients exposaient indirectement une déception quant à la valeur réelle de la prestation, en se fondant directement et judiciairement sur ses qualités essentielles.

B – Une indifférence contournée par la pratique juridique

Lorsqu’un requérant sollicite l’annulation du contrat en raison d’une erreur sur les qualités essentielles, autrefois appelées les qualités substantielles22, c’est le plus souvent en raison d’une mauvaise appréciation de la valeur de la prestation23. L’erreur commise génère l’insatisfaction en ce que le prix aurait dû être plus élevé ou au contraire plus bas. La pratique conduit donc à contourner l’obstacle juridique lié au rejet de l’erreur sur la valeur en fondant l’action en nullité, non pas directement sur cette erreur d’appréciation de la valeur, mais bien sur l’existence d’une erreur sur une qualité dite essentielle, pour peu que cette dernière puisse être démontrée24. Dès lors, l’erreur sur la valeur ne sera reconnue que de façon indirecte25, par ce chemin de traverse. Ceci peut s’apparenter à un artifice juridique de prétoires, bien qu’il soit possible d’arguer que ce pas de côté ne contrevient à aucun texte applicable en cette matière, qu’il s’agisse de l’actuel ou de l’ancien26.

Il existe ainsi une jurisprudence très fournie en matière d’erreur sur la substance ou sur les qualités essentielles de la prestation. Une telle erreur a pu être reconnue dans des domaines variés, s’agissant par exemple de l’authenticité d’une œuvre d’art27, les fonctionnalités d’un logiciel informatique28, l’étendue du terrain vendu attaché à un immeuble29, l’aptitude de la prestation en matière immobilière30, la constructibilité d’un terrain31, la qualité de cheval de course de l’animal vendu32, le caractère libre des terres agricoles louées33, la solvabilité de l’emprunteur34, la solvabilité du débiteur telle que conçue par la caution35, etc. En revanche, chaque fois que l’erreur ne porte que sur la valeur en tant que telle – l’erreur stricto sensu36 – et donc que le requérant n’a pas pu faire valoir en justice l’existence d’une erreur sur une qualité essentielle, la nullité sera refusée. Il s’agira alors seulement d’une « appréciation économique erronée, effectuée à partir de données exactes37 ».

Cette présentation presque manichéenne a pour elle le mérite de la simplicité, mais l’étude de la jurisprudence démontre que la ligne de partage se dessine de façon nettement moins claire qu’on ne le souhaiterait. La frontière apparaît parfois très subtile lorsque la jurisprudence tente de faire le départ entre la moindre incidence de l’erreur sur la valeur, qui ne permet pas d’obtenir la nullité du contrat, et la forte incidence de l’erreur sur la valeur, qui permet quant à elle l’anéantissement rétroactif dès lors qu’est en péril la raison d’être du contrat. Il s’agit en particulier de la jurisprudence portant sur la valeur des droits sociaux. Certains arrêts ont en effet admis l’erreur commise sur la valeur des titres ou des actions lorsque celle-ci a eu pour effet, par exemple, d’affecter la substance même de la prestation qui était l’objet du contrat. Ainsi, la Cour de cassation a annulé un contrat de cession de parts en raison de la découverte d’un passif important entraînant la mise en liquidation judiciaire dans les mois suivant la cession. Ce passif ne correspondait pas aux éléments erronés du bilan donné à l’acquéreur et s’expliquait notamment par des escroqueries dont s’était rendu coupable le gérant. La Cour de cassation en a déduit que l’erreur commise avait affecté la valeur des parts mais aussi leurs qualités substantielles car elle ne permettait pas à leurs titulaires de poursuivre l’activité économique de l’entreprise38. Dans la même veine, des acheteurs souhaitaient acquérir une société. Ils la savaient en difficulté mais non dans une situation irrémédiablement compromise. La haute juridiction a considéré que ces acheteurs avaient commis une erreur sur les qualités substantielles des parts cédées39. C’est là encore une impossibilité de poursuivre l’objet social de la société qui apparaît décisive40.

Ces différents cas de figure témoignent bien d’une prise en compte de l’erreur sur la valeur, il s’agit de leur dénominateur commun. Seulement cette erreur sur la valeur est telle, en termes de conséquences, qu’elle affecte la substance, que l’on peut aussi traduire comme la raison d’être primitive de l’engagement. On aboutit donc à une reconnaissance partielle et graduelle de l’erreur sur la valeur, suivant la nature des conséquences dont l’errans se prétend victime. Il n’apparaît pourtant pas possible ici d’arguer d’une différence de nature entre plusieurs formes d’erreur sur la valeur, mais seulement d’une différence de degré, si bien que la ligne de partage entre ces erreurs se justifie peu du point de vue de la cohérence des principes.

La Cour de cassation a poussé parfois plus loin encore, admettant l’erreur commise sur la valeur des titres sans prendre la peine de constater l’impossibilité de poursuivre l’activité de la société ou l’impossible réalisation de son objet social. Il s’agissait alors par exemple d’une cession de parts pour leur valeur nominale, sans commune mesure avec leur valeur objective41. Une solution analogue a été rendue plus récemment, certes en présence d’une présentation erronée du bilan qui avait généré une erreur sur la valorisation des parts sociales42. L’erreur sur la valeur était ici double, portant sur la valeur des parts mais aussi sur la situation financière présentée de façon erronée dans les bilans. La seconde étant révélatrice de la première. Mais dans cet arrêt également, la haute juridiction se contente de caractériser l’erreur, sans référence à une quelconque impossibilité de poursuivre l’activité ou de réaliser l’objet social. Un tel glissement ne repose pas que sur la sémantique et ouvre la voie à une relative reconnaissance de l’erreur sur la valeur. Ce phénomène n’est pas anodin et mérite d’être rapproché des exceptions toujours plus nombreuses au principe de rejet de l’erreur sur la valeur.

II – La reconnaissance par exception de l’erreur sur la valeur

L’erreur sur la valeur peut se voir reconnue par la jurisprudence de façon exceptionnelle. Cette reconnaissance passe par une admission restrictive mais néanmoins téméraire de l’erreur sur la rentabilité (A), également que par l’admission inédite de l’erreur sur l’éligibilité à un dispositif fiscal (B).

A – L’admission restrictive de l’erreur sur la rentabilité

L’erreur sur la rentabilité a pu être admise par la jurisprudence dans certains domaines très cantonnés. Cette dernière se garde bien, du reste, d’en livrer une définition, à l’instar du Code civil. Dans le langage usuel, la rentabilité peut être entendue comme la « faculté d’un capital placé ou investi de dégager un résultat ou un gain exprimé en monnaie43 ». De façon plus terre à terre, cette rentabilité réside dans le rapport entre les fruits que produit le bien ou la prestation objet du contrat et les charges inhérentes à cet investissement. Un lien fort se tisse donc entre la valeur de la prestation et la valeur des fruits44 produits par cette même prestation. Se dresse ici un premier obstacle de principe à admettre l’erreur sur la rentabilité. Une autre difficulté vient de ce qu’il peut exister un delta important entre la rentabilité contemporaine du contrat et celle qui adviendra après la rencontre des volontés. Celui qui entend prédire l’avenir ne possède pourtant pas de boule de cristal et n’ignore pas que ce qu’il cède demeure soumis à de nombreux aléas45 et dépend également très largement de l’habileté de celui qui acquiert. Vu sous cet angle, on pourrait se convaincre assez rapidement de ce que l’erreur sur l’appréciation économique de la rentabilité ne devrait jamais être admise.

L’erreur sur la rentabilité économique a en effet été refusée en matière d’installation photovoltaïque46. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a considéré que le caractère fixe du prix de rachat de l’électricité indiqué dans l’offre de crédit-fournisseur et le contrat d’exploitation ne constituait pas une qualité substantielle de la prestation objet de chacun de ces contrats. De même, dans un arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de cassation a énoncé de façon plus claire encore que « la rentabilité économique ne constitue une caractéristique essentielle d’une installation photovoltaïque au sens de l’article L. 111-1 du Code de la consommation, qu’à la condition que les parties l’aient fait entrer dans le champ contractuel47 ». La solution met en exergue l’opposition classique que l’on connaît entre la qualité essentielle (dont la défaillance entraîne la nullité du contrat) et le motif (dont la défaillance ne peut entraîner la nullité du contrat).

Cette distinction entre la notion de qualité essentielle et celle de motif emporte des conséquences importantes en termes de régime. La réforme de 201648 reprend à cet égard l’appréhension qu’en faisait la jurisprudence jusqu’alors. En effet, l’article 1133 du Code civil énonce que « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ». Il revient donc aux juges du fond de déterminer ce qui a pu éventuellement être tacitement convenu entre les parties, suivant le contexte, la façon dont sont rédigées les clauses du contrat, le comportement des parties de nature à révéler leur intention et leurs qualités respectives. Le motif, quant à lui, ne peut jamais être tacitement convenu. Le juge ne pourra donc procéder à une quelconque recherche du motif si celui-ci n’a pas ostensiblement pénétré le champ contractuel.

Or, face à ce diptyque, qualité essentielle versus motif, se dresse une troisième voie : le motif peut être « essentialisé », c’est-à-dire qu’il peut entrer dans le champ contractuel49. Ce faisant, le motif initialement indiffèrent se mue en qualité essentielle50. L’arrêt du 21 octobre 2020 illustre donc le croisement des notions en rapprochant le motif de l’erreur sur la valeur, ou plus précisément encore de l’erreur sur la rentabilité économique d’une installation photovoltaïque. L’erreur sur la rentabilité économique se trouve écartée en l’espèce, puisque précisément elle n’a su pénétrer le champ contractuel51. Une solution analogue consistant à refuser la prise en compte d’une erreur sur la rentabilité a pu être rendue, s’agissant cette fois de la rentabilité d’un investissement immobilier52.

En revanche, l’erreur sur la rentabilité a pu être admise dans le domaine très particulier de la franchise. En cette matière, le franchiseur est tenu légalement à la délivrance d’une information précontractuelle53. Dès lors, si le consentement d’une partie se trouve vicié en raison d’une discordance entre les prévisions contractuelles fournies et la situation effective, le contrat pourra être annulé sur le fondement de l’erreur54.

Par la suite, une position jurisprudentielle nettement plus surprenante a pu être prise en matière de franchise, alors même qu’aucun manquement à l’obligation précontractuelle d’information n’avait été constaté. Ainsi, par un arrêt du 4 octobre 2011, la Cour de cassation a relevé que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire. Elle a alors reproché à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si ces circonstances révélaient, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, le fait que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité de l’entreprise55.

Depuis lors, cette solution n’a eu de cesse que d’être confirmée56. Certains de ces arrêts contiennent une motivation qui laisse à penser que cette position d’ouverture relative à l’erreur sur la valeur d’un contractant n’est valable qu’en présence d’un certain type de contrat. À plusieurs reprises en effet, la Cour de cassation a évoqué le contrat de franchise, « pour lequel l’espérance d’un gain est déterminante57 ». Sur la base d’un critère aussi vague, certains ont appelé à la prudence et ont fait observer que cette jurisprudence pouvait être transposée à tous les contrats qui permettent l’exercice d’une activité professionnelle58. En vérité, la référence à un tel critère permet de raisonner par analogie avec l’ensemble des contrats susceptible de générer un revenu. Pour autant, force est de constater que la jurisprudence ne s’est à ce jour pas engouffrée dans cette voie qui mettrait sérieusement à mal la sécurité des transactions. Cette approche jurisprudentielle demeure en effet toujours réservée au contrat de franchise. Toutefois, même au-delà de la franchise, il reste raisonnable de supposer qu’un contrat sera annulable sur le fondement de l’erreur sur la rentabilité dans deux situations dont les conditions sont cumulatives. D’abord, à chaque fois qu’un contractant se risquera à fournir des prévisionnels chiffrés59 à son cocontractant, que cette remise soit antérieure ou concomitante à la conclusion du contrat. Ensuite, à chaque fois que ce prévisionnel présentera un décalage très important avec la réalité des données chiffrées consécutives à la conclusion du contrat60. Dans ces conditions, l’erreur sur la rentabilité sera en effet toujours objectivable.

B – L’admission inédite de l’erreur sur l’éligibilité à un dispositif fiscal

La question de l’éligibilité à un dispositif fiscal présente la particularité, pour celui qui en bénéficie, d’obtenir – non pas des revenus en tant que tels ou des fruits valorisables en argent –, mais une économie d’impôt. En ce sens, lorsqu’un investissement est réalisé dans la perspective d’obtenir une réduction d’impôt, et que les bénéficiaires font in fine l’objet d’un redressement fiscal, ces acquéreurs sont certainement tentés d’invoquer l’erreur sur une qualité essentielle du bien acquis.

La faveur fiscale a toutefois longtemps été appréhendée comme un motif en jurisprudence61, plutôt que comme une qualité essentielle de la prestation. Un tel motif se situait donc mécaniquement hors du champ de la recherche par le juge de ce qui a pu être tacitement convenu entre les parties. Partant, si les parties n’avaient pas intégré dans le champ contractuel le motif tiré de l’éligibilité à un dispositif fiscal, celui-ci ne pouvait être invoqué au soutien d’une demande d’annulation du contrat fondée sur l’erreur. Cette position a pu être adoptée, par exemple, au sujet du bénéfice de la loi Malraux. Dans cette affaire, des époux affirmaient que le bénéfice de la loi Malraux était entré dans le champ contractuel et invoquaient une erreur sur la cause de leur engagement62. Ici s’entrecroisent donc les notions d’erreur et de cause, ce qui revient à tenter de faire valoir devant le juge une erreur sur l’existence de la cause en allant convoquer les mobiles des parties63. La Cour de cassation a estimé en l’espèce que l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’était pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant. Elle en a déduit que « la recherche d’avantages d’ordre fiscal, alors même que ce motif était connu de l’autre partie, ne pouvait entraîner l’annulation du contrat faute d’une stipulation expresse qui aurait fait entrer ce motif dans le champ contractuel en l’érigeant en condition de ce contrat64 ». Une solution analogue avait pu être rendue s’agissant de l’assujettissement au régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Là encore, le bénéfice fiscal inhérent au régime des BIC ne constituait qu’un simple motif du contrat, en l’absence d’une stipulation expresse65. Une même logique a pu être mise en œuvre au sujet du dispositif de Robien66.

En revanche, plus récemment, un arrêt semble avoir ouvert une brèche dans cette logique, en considérant au sujet du bénéfice de la loi Pons que « les parties peuvent convenir, expressément ou tacitement, que le fait que le bien, objet d’une vente, remplisse les conditions d’éligibilité à un dispositif de défiscalisation constitue une qualité substantielle de ce bien67 ». Ce faisant, la Cour de cassation, en sa chambre commerciale, opère un basculement inédit en reconnaissant pour la première fois que l’éligibilité à un dispositif fiscal peut constituer une qualité substantielle du bien acquis. L’objectif de défiscalisation passe donc, dans cet arrêt publié au Bulletin, du statut de motif à celui de qualité essentielle68. Dans ces conditions, l’office du juge se trouve élargi puisque celui-ci peut s’autoriser à rechercher ce qui a été tacitement convenu entre les parties. En l’espèce, certains éléments concrets pouvaient être pris en compte afin de guider cette recherche puisqu’il ressort notamment des faits qu’une plaquette de présentation avait été remise aux acquéreurs et comportait des éléments relatifs à la déductibilité fiscale du bien acquis, en l’occurrence des quirats69. La haute cour en a déduit que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’éligibilité des quirats au dispositif de défiscalisation en cause ne constituait pas une qualité substantielle du bien vendu, convenue par les parties et en considération de laquelle elles avaient contracté. Une telle erreur ne peut être prise en considération, et la Cour de cassation le précise bien en l’espèce, que dans la mesure où cette éligibilité était exclue avant même la conclusion du contrat70.

Cette solution a pu recevoir l’approbation d’une partie de la doctrine en ce qu’il apparaît évident que l’investissement n’avait été réalisé que dans l’objectif d’obtenir une économie d’impôt71. À tout le moins, il semble que l’arrêt illustre une forme de porosité singulière entre les qualités indifférentes et les qualités dites essentielles. Il n’y a par ailleurs aucune certitude quant à la portée de cette solution rendue par la chambre commerciale, qui tranche avec celles adoptées jusqu’alors par les premières et troisièmes chambres civiles de la Cour de cassation. La position de la chambre commerciale ne sera pas nécessairement suivie et ne provoquera peut-être pas l’effet viral escompté par une auteure72. Cet arrêt n’en est pas moins un revirement de chambre, puisque la chambre commerciale avait adopté une logique inverse précédemment73.

Reste également que l’on peut s’interroger sur la possible admission future, non pas d’une erreur sur l’éligibilité à un dispositif fiscal, mais d’une erreur sur la rentabilité fiscale d’un investissement74. Cette rentabilité pourrait en effet être si faible que l’erreur commise affecterait la substance même de l’engagement souscrit. La brèche est manifestement ouverte dans cette voie et une nouvelle forme d’erreur sur la valeur pourrait ainsi se trouver reconnue par exception.

Notes de bas de pages

  • 1.
    P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 12e éd., 2022, LGDJ, EAN : 9782275095547.
  • 2.
    J. Guestin, La notion d’erreur dans le droit positif actuel, thèse, 1971, Paris, LGDJ.
  • 3.
    L’ancien article 1110 du Code civil ne visait pas l’erreur sur la valeur en tant que telle et énonçait seulement que : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention ». Le nouvel article 1136 de ce même code, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, vise bien l’erreur sur la valeur, intégrant la jurisprudence construite en application des anciennes dispositions. Cet article 1136 prévoit ainsi que : « L’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité ».
  • 4.
    J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, 17e éd., 2022, Sirey.
  • 5.
    La nouvelle terminologie depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations permet de remplacer la notion de chose par la notion de prestation, si l’on considère l’ancien article 1110 du Code civil et le nouvel article 1136 de ce même code.
  • 6.
    Il s’agit à cet égard d’une solution classique. V. not. en ce sens : Cass. com., 17 juin 2008, n° 07-15398 – Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-11684. Cette position a été codifiée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, sous le nouvel article 1139 du Code civil. Celui-ci prévoit en effet que : « L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ». Une telle solution n’est toutefois pas transposable à la réticence dolosive, v. en ce sens le nouvel article 1137 du Code civil qui prévoit en son alinéa 3 que : « Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».
  • 7.
    En pratique toutefois, les conseils, désireux de donner toutes les chances possibles au recours entrepris en application de leur devoir de conseil, mèneront souvent les deux actions de concert (erreur spontanée et erreur provoquée), en formulant une demande à titre principal d’une part, et une demande à titre subsidiaire d’autre part.
  • 8.
    V. not. en ce sens : P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 12e éd., 2022, LGDJ, EAN : 9782275095547 ; J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, 17e éd., 2022, Sirey. À cette explication, une auteure ajoute des considérations d’ordre moral. V. en ce sens : M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 6e éd., 2021, PUF : « Cette indifférence se justifie aussi par l’idée que la victime a été négligente et donc fautive, si elle a mal apprécié la prestation fournie ou reçue ».
  • 9.
    Ancien article 1118 du Code civil, devenu le nouvel article 1168 depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
  • 10.
    A. Bénabent, Droit des obligations, 19e éd., 2021, LGDJ, EAN : 9782275090375. Selon cet auteur, le rejet de l’erreur sur la valeur s’explique pour deux raisons : « Sur le plan pratique, car il existerait alors une contestation très large des contrats ; sur le plan théorique, car du moment que les parties disposent de tous les éléments, il leur appartient de bien évaluer la valeur monétaire, y compris en se renseignant auprès d’experts ».
  • 11.
    Cass. com., 26 mars 1974, n° 72-14791 – Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-13135 – Cass. com., 4 févr. 1997, n° 95-12625 – Cass. com., 18 févr. 1997, n° 95-12617 – Cass. com., 26 mars 2002, n° 99-17716.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 5 avr. 1993, n° 91-11576.
  • 13.
    Cass. 3e civ., 17 janv. 2007, n° 06-10442.
  • 14.
    Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-19202.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-12342.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 9 mars 1994, n° 92-14808.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 25 janv. 1965, n° 63-10854.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 20 déc. 2000, n° 99-13561.
  • 19.
    Par ex., s’agissant d’une erreur sur l’unité monétaire, à savoir une confusion entre anciens et nouveaux francs, v. Cass. com., 14 janv. 1969, n° 67-10920 : « Que cette erreur portant sur la substance même de la prestation promise par la blanchisserie à sa cocontractante, savoir l’unité monétaire employée pour mesurer le prix, le tribunal a pu décider que le “consentement (de ladite blanchisserie) a été vicié à sa base par une erreur fondamentale” et, en conséquence, annuler la convention ». V. toutefois une solution différente en présence d’une inexactitude de la conversion du prix de francs en euros, au motif de la réitération de l’erreur et de la qualité de l’errans, à savoir un professionnel de la vente : Cass. 3e civ., 4 juill. 2007, n° 06-15881.
  • 20.
    Il s’agit alors de l’erreur dite grossière, à savoir une véritable erreur de plume ou de frappe.
  • 21.
    V. not. en ce sens : Cass. 3e civ., 23 janv. 1970, n° 68-14331 – Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-15916.
  • 22.
    Cette terminologie a évolué depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
  • 23.
    M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 6e éd., 2021, PUF : « L’erreur sur la valeur indifférente est donc uniquement une erreur directe sur le prix, sans erreur sur les qualités essentielles de la prestation. L’inverse empêcherait pratiquement d’invoquer toute erreur sur les qualités essentielles de la prestation, car une telle erreur a presque toujours pour conséquence une erreur sur le prix demandé ou fourni pour cette prestation : le contractant n’aurait fort probablement pas accepté de payer aussi cher ou de céder si bon marché s’il avait connu la réalité ». V. aussi sur ce sujet : A. Bénabent, Droit des obligations, 19e éd., 2021, LGDJ, EAN : 9782275090375. Cet auteur systématise même l’idée, en ces termes : « Pourtant toutes les erreurs sur la substance ont une répercussion sur la valeur : mais ce qui est exclu, c’est l’erreur sur la seule valeur de l’objet, en connaissance des paramètres d’évaluation ».
  • 24.
    La charge de la preuve de l’erreur pèse en effet sur celui qui l’invoque. V. en ce sens : Cass. com., 20 oct. 1970, n° 69-12258.
  • 25.
    C. Larroumet et S. Bros, Traité de droit civil. Tome 3 Les obligations. Le contrat, 10e éd., 2021, Economica. Ces auteurs considèrent quant à eux que l’erreur sur la valeur n’est pas indifférente dès lors qu’elle est la conséquence d’une erreur sur une qualité essentielle de la chose.
  • 26.
    Ancien article 1110 du Code civil et nouvel article 1136 du même code issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
  • 27.
    V. not. en ce sens : Cass. 1re civ., 22 févr. 1978, n° 76-11551 – Cass. 1re civ., 7 nov. 1995, n° 93-11418 – Cass. 1re civ., 17 juin 2010, n° 09-14854 – Cass. 1re civ., 27 févr. 2007, n° 02-13420 – Cass. 1re civ., 5 févr. 2002, n° 99-21444 – Cass. 1re civ., 15 nov. 2005, n° 03-20597.
  • 28.
    Cass. com., 27 nov. 2019, n° 18-15104.
  • 29.
    Cass. 3e civ., 15 déc. 1981, n° 80-11326.
  • 30.
    Cass. 3e civ., 3 mai 2018, nos 17-11132 et 17-14090. En l’espèce, la pièce principale du logement vendu était d’une superficie inférieure à 9 m2 et était donc impropre à la location.
  • 31.
    Cass. 3e civ., 21 juin 1995, n° 92-12969.
  • 32.
    Cass. 1re civ., 5 févr. 2002, n° 00-12671.
  • 33.
    Cass. 3e civ., 3 juill. 2002, n° 00-22146.
  • 34.
    Cass. 1re civ., 27 juin 2018, n° 17-15039. Dans cet arrêt étonnant, la substance même de la chose résidait dans la « bonne foi du cocontractant et l’exactitude des éléments patrimoniaux fournis, éléments déterminants de l’octroi du crédit ».
  • 35.
    Cass. com., 19 mai 2015, n° 14-10860.
  • 36.
    M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 6e éd., 2021, PUF.
  • 37.
    Cass. com., 18 févr. 1997, n° 95-12617.
  • 38.
    Cass. com., 21 oct. 1997, n° 95-10267. Déjà en ce sens, v. Cass. com., 1er oct. 1991, n° 89-13967. Dans cet arrêt, juste avant l’opération de cession de l’entreprise, la société cédante avait cédé la quasi-totalité de ses actifs à une autre entité, convention qui était ignorée du cessionnaire au moment de la conclusion du contrat. La Cour de cassation en déduit que le consentement des cessionnaires a été vicié par une erreur portant sur les qualités substantielles des actions objets de la cession litigieuse.
  • 39.
    Cass. com., 28 févr. 2006, n° 01-14951.
  • 40.
    V. à ce sujet : Cass. com., 21 oct. 2020, n° 17-31663. Dans cet arrêt, étaient en cause des irrégularités comptables. La Cour de cassation a eu recours à ce critère tiré de l’impossible réalisation de l’objet social. Elle a en effet estimé que ces irrégularités n’empêchaient pas la réalisation de l’objet social et n’obéraient pas non plus la capacité de la société à poursuivre son activité.
  • 41.
    Cass. com., 12 févr. 2008, n° 06-19204 : « Mais attendu qu’en relevant que M. X…, dépressif et peu versé dans la pratique des affaires, et incapable dans ces conditions de mesurer la portée des actes qu’il signait, avait cédé les parts qu’il détenait dans la société pour leur valeur nominale, sans commune mesure avec leur valeur objective, se trouvant ainsi écarté d’une société florissante sans contrepartie réelle, la cour d’appel a pu décider qu’il avait commis une erreur sur la substance même de la chose qui était l’objet du contrat ». À propos de cet arrêt, v. J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, 17e éd., 2022, Sirey : « Contre toute la tradition, la motivation paraît bien faire de la valeur la substance des titres vendus. Sur cette pente, la valeur de tous les biens pourrait être considérée comme appartenant à leurs substances et tous les contrats pourraient être annulés en cas de méprise sur celle-ci, en contradiction avec la limitation du domaine de la lésion ».
  • 42.
    Cass. com., 10 nov. 2015, n° 14-11370.
  • 43.
    Larousse, version dématérialisée, 2023.
  • 44.
    Ces fruits ne seront d’ailleurs pas nécessairement monétaires mais seront toujours valorisables.
  • 45.
    Cette notion d’aléa est d’ailleurs prise en compte par la jurisprudence. V. not. en ce sens : Cass. com., 1er oct. 2013, n° 12-23337.
  • 46.
    Cass. com., 2 oct. 2019, n° 17-14423.
  • 47.
    Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 18-26761.
  • 48.
    Ord. n° 2016-131, 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
  • 49.
    Cette solution est d’ailleurs reprise par la réforme du 10 février 2016. Le nouvel article 1135 du Code civil énonce ainsi que : « L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. Néanmoins l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité ».
  • 50.
    S. Tisseyre, « L’erreur sur la rentabilité économique des panneaux photovoltaïques n’est pas une cause de nullité du contrat », note ss Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 18-26761, RLDC 2021/189. L’auteure propose deux voies permettant cette essentialisation de l’erreur sur un motif tiré de la rentabilité économique, à savoir par le biais d’une clause contractuelle ou par le biais de la remise de documents précontractuels tels que des simulations.
  • 51.
    Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 18-26761.
  • 52.
    Cass. 3e civ., 5 nov. 2020, n° 19-21575. Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce que « ni le chiffre d’affaires réalisé par le locataire d’un local commercial ni la rentabilité économique d’un investissement immobilier, lorsque celle-ci n’était pas entrée dans le champ contractuel, ne constituaient une qualité substantielle du bien objet d’une vente immobilière ». Déjà en ce sens, mais au sujet d’une erreur provoquée cette fois, v. Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20096.
  • 53.
    C. com., art. L. 330-3, al. 1 et 2 : « Toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties, de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause. Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités (…) ».
  • 54.
    Cass. com., 16 mai 2000, n° 97-16386. Il s’agissait toutefois dans cet arrêt d’une erreur provoquée.
  • 55.
    Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-20956. V. au sujet de cet arrêt : C. Larroumet et S. Bros, Traité de droit civil. Tome 3 Les obligations. Le contrat, 10e éd., 2021, Economica. Ces auteurs considèrent que l’arrêt du 4 octobre 2011 est injustifiable puisqu’au moment de l’échange des consentements, la réalité, à savoir les faibles résultats de l’entreprise, était inconnue. Ce n’est qu’au cours de l’exécution du contrat qu’il a été possible de comparer le résultat avec les prévisions. Ces auteurs fustigent donc la solution en considérant que l’erreur doit être appréciée au jour de la formation du contrat.
  • 56.
    Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-19047 – Cass. com., 17 mars 2015, n° 13-24853 – Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-21536 – v. également en ce sens : Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-15249. Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation précise toutefois que la nullité ne peut être prononcée qu’en présence de données établies et communiquées par le franchiseur.
  • 57.
    Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-19047 – Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-21536.
  • 58.
    J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, 17e éd., 2022, Sirey. Selon ces auteurs : « Dans la franchise, en plus du savoir-faire qui constitue l’élément caractéristique, la rentabilité serait donc toujours un élément essentiel du contrat, déterminant de la volonté du franchisé. Mais ne devrait-on pas dire la même chose de tous les contrats qui permettent l’exercice d’une activité professionnelle : cession de fonds de commerce, cession de clientèle, concession, licence de marque… ? La voie ouverte semble trop large, d’autant que le risque économique des activités permises par ces opérations pèse normalement sur l’acquéreur. Par conséquent, même dans les contrats ayant pour objet des biens ou des activités rémunératrices, la nullité ne devrait être admise qu’avec prudence afin d’éviter qu’une simple erreur sur les motifs ne fragilise le contrat ».
  • 59.
    L’erreur sera d’autant plus aisée à démontrer si ces prévisionnels sont établis sur la base de données erronées.
  • 60.
    L’erreur sur la rentabilité, c’est-à-dire sur la valeur des fruits produits par la prestation, s’inscrit en effet dans la même mouvance jurisprudentielle que celle observée précédemment en matière d’erreur sur la valeur intrinsèque de la prestation. Ainsi, l’erreur sur la rentabilité n’est admise que dans la mesure où elle prend des proportions telles dans ses conséquences (par exemple la liquidation de la société cessionnaire) qu’elle affecte la raison primitive de l’engagement contractuel. Les mêmes critiques que celles présentées plus haut au sujet de l’erreur sur la valeur intrinsèque de la prestation peuvent donc être formulées, à savoir une prise en compte artificielle et graduelle de l’erreur sur la rentabilité.
  • 61.
    L’ensemble de la jurisprudence rapportée dans cette étude au sujet de l’éligibilité à un dispositif fiscal a été rendue sous l’égide de dispositions antérieures à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016.
  • 62.
    Cass. 1re civ., 13 févr. 2001, n° 98-15092.
  • 63.
    Ce qui avait pu être admis pendant un temps par la Cour de cassation, dans un arrêt célèbre dit Point club vidéo : Cass. 1re civ., 3 juill. 1996, n° 94-14800.
  • 64.
    Cass. 1re civ., 13 févr. 2001, n° 98-15092. V. déjà dans cette même affaire : Cass. 3e civ., 31 oct. 2000, n° 98-19320. En l’espèce, la Cour de cassation avait déjà considéré qu’il « n’était pas établi que le notaire avait participé aux discussions ayant précédé la vente ni qu’il avait eu connaissance des mobiles des acheteurs qui étaient représentés lors de la signature de l’acte de vente, si bien que la cour d’appel avait pu en déduire que le notaire n’avait pas manqué à son devoir d’information et de conseil ».
  • 65.
    Cass. 3e civ., 24 avr. 2003, n° 01-17458.
  • 66.
    Cass. 3e civ., 14 déc. 2017, n° 16-24096.
  • 67.
    Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-11846.
  • 68.
    En application de la terminologie nouvelle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
  • 69.
    Il s’agit de l’acquisition de parts de copropriété d’un navire. Dans le cadre de la loi Pons, cette opération d’achat ouvre la possibilité de déduire l’investissement du résultat imposable du bénéficiaire.
  • 70.
    Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-11846.
  • 71.
    V. par ex. en ce sens : A. Thobie, « L’inéligibilité à un dispositif fiscal peut être source de nullité d’un contrat d’investissement pour erreur sur les qualités substantielles », note ss Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-11846, RLDC 2022/207. Selon cette auteure, « il semble difficile de soutenir que l’objectif de défiscalisation n’intègre pas la substance même de la prestation alors que cet objectif est, fréquemment la clé de voûte d’un investissement. L’espèce en offre un bon exemple : l’acquisition de quirats n’est qu’un prétexte à l’obtention de l’avantage fiscal (…). Ici, nul besoin de se livrer à une introspection psychologique poussée pour comprendre que l’acquéreur, prêt à investir un million de francs dans des quirats, était motivé par l’avantage fiscal offert, et non la seule propriété des quirats ».
  • 72.
    A. Thobie, « L’inéligibilité à un dispositif fiscal peut être source de nullité d’un contrat d’investissement pour erreur sur les qualités substantielles », note ss Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-11846, RLDC 2022/207.
  • 73.
    Cass. com., 12 déc. 2006, n° 04-19083.
  • 74.
    Cass. 3e civ., 14 déc. 2017, n° 16-24096. Dans cet arrêt, la troisième chambre civile de la Cour de cassation refuse de reconnaître une erreur spontanée fondée sur la rentabilité d’une opération de défiscalisation. En revanche, pour une admission en matière de dol, v. Cass. 3e civ., 12 oct. 2017, n° 16-23362.
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