L’absence de contrainte découlant de la prévision d’un montant maximum du prêt objet d’une condition suspensive

Publié le 05/04/2023
Finance
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La Cour de cassation juge que la condition suspensive d’obtention d’un prêt, insérée dans une promesse de vente, ne contraint pas les acquéreurs à accepter toute offre de prêt consentie pour un montant inférieur au montant maximum prévu au sein de la condition. Les acquéreurs qui refusent une telle offre n’empêchent pas la réalisation de la condition.

Cass. 3e civ., 14 déc. 2022, no 21-24539

Le 14 décembre 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rendait un arrêt relatif à la condition suspensive d’obtention d’un prêt insérée dans une promesse de vente. Si ces clauses sont des plus classiques dans ce type de contrat, celle-ci a fait naître un litige en raison de sa rédaction prévoyant un montant maximum pour le prêt envisagé.

Les parties s’étaient accordées pour que la vente ne soit conclue que dans l’hypothèse où les acquéreurs obtiendraient « un prêt d’un montant maximum de 414 000 euros au taux de 2 % l’an, remboursable sur une durée de 300 mois ». Les acquéreurs ont obtenu une offre de prêt pour un montant inférieur, qu’ils ont refusé.

La cour d’appel de Paris a déclaré le 22 octobre 2021 la promesse de vente caduque et a rejeté en conséquence la demande en paiement de l’indemnité d’immobilisation formulée par le vendeur. Selon cette dernière, les acquéreurs « n’étaient pas tenus d’accepter un financement d’un montant inférieur à celui qu’ils avaient estimé nécessaire à l’acquisition du bien ».

Le vendeur a une vision différente qu’il expose à l’occasion de son pourvoi en cassation. Selon lui, les acquéreurs ont empêché l’accomplissement de la condition en refusant une offre de prêt d’un montant inférieur au montant maximum prévu dans la promesse de vente. Ce refus justifierait donc l’application de l’article 1304-3 du Code civil selon lequel « la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement ».

Il est vrai que l’application de cette règle est usuelle en la matière. Il est par ailleurs notable que cette règle puisse mettre des obligations à la charge des parties. Les signataires d’une promesse de vente, dès lors qu’ils insèrent dans leur contrat une condition suspensive d’obtention d’un prêt, obligent de facto les acquéreurs à rechercher un prêt et à accepter les offres de prêt qui correspondent aux stipulations de la condition suspensive. Ceux qui pensent se débarrasser de leur promesse d’achat en ne réalisant pas de démarche suffisante pour obtenir un prêt, en formulant une demande de prêt non conforme aux dispositions de la condition suspensive ou en n’acceptant pas l’offre de prêt qui leur est faite et correspond aux prévisions contractuelles sont rattrapés par le jeu de l’article 1304-3 du Code civil1.

L’article 1304-3, prévu spécifiquement en matière de condition suspensive, est invoqué par le vendeur aux côtés de l’article 1103 du Code civil prévoyant de manière générale que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Le recours à cette seconde règle pouvait sembler pertinent au regard de la jurisprudence récente en matière de condition suspensive. Dans un arrêt du 14 janvier 2021, la Cour de cassation a précisé qu’« un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu est conforme aux stipulations contractuelles »2. L’argument du vendeur est cohérent : il affirme que l’offre de prêt faite aux acquéreurs était conforme aux dispositions contractuelles et aurait donc permis la réalisation de la condition suspensive. Ainsi, selon le pourvoi, en refusant cette offre, les acquéreurs ont empêché la réalisation de la condition.

Néanmoins, la Cour de cassation soutient la position de la cour d’appel. Elle rappelle que les juges du fond ont relevé qu’une demande de prêt avait été formulée – les acquéreurs ont même fait appel à un courtier –, que la demande de prêt formulée par le courtier représentant les acquéreurs était conforme aux stipulations contractuelles et que ce prêt leur a été refusé par la banque. À ce stade du raisonnement, il semble bien impossible de faire jouer l’article 1304-3 du Code civil. Nul ne saurait affirmer en effet que les acquéreurs ont empêché l’accomplissement de la condition suspensive. Toutefois, il ne faut pas oublier que la banque a formulé une offre de prêt aux acquéreurs qui correspondait également aux caractéristiques prévues dans la condition suspensive que les acquéreurs ont refusée. C’est ce constat qui a poussé le vendeur à former un pourvoi en cassation en invoquant la violation des articles 1304-3 et 1103 du Code civil. À ce sujet, la Cour de cassation se contente de répondre que la cour d’appel « a retenu à bon droit que l’indication, dans la promesse d’un montant maximal du prêt n’était pas de nature à contraindre les acquéreurs à accepter toute offre d’un montant inférieur ». Les juges de la Cour de cassation précisent encore que la cour d’appel « en a exactement déduit que, la défaillance de la condition n’étant pas imputable aux acquéreurs, la promesse était devenue caduque ».

Ainsi il n’est pas incompatible de dire, d’une part, que la prévision d’un montant maximum permet à l’acquéreur d’accepter un prêt pour un montant inférieur – l’obtention d’un tel prêt répute la condition accomplie – et de dire, d’autre part, que la prévision d’un montant maximum ne contraint pas l’acquéreur à accepter un prêt pour un montant inférieur – si l’acquéreur refuse l’offre de prêt qui lui est consentie pour un montant inférieur alors la condition est réputée défaillie.

Que les signataires d’une promesse d’achat soient rassurés, ils peuvent prévoir un montant maximum au sein de leur condition suspensive d’obtention de prêt : cette stipulation contractuelle ne les obligera nullement à accepter toute offre de prêt d’un montant inférieur. La solution inverse aurait été trop contraignante pour les acquéreurs. Il est vrai qu’en l’espèce le prêt demandé était de 414 000 € alors que le prêt offert par la banque était d’un montant de 407 000 €, de sorte que l’écart entre les deux sommes n’apparaissait pas mirobolant. Néanmoins, la solution de la Cour de cassation ne peut se fonder sur ces données factuelles. Si elle avait admis le raisonnement du vendeur, elle aurait condamné les acquéreurs placés dans une situation similaire à accepter des crédits offerts pour des montants bien inférieurs aux montants maximums prévus dans les conditions suspensives. Ce faisant, la Cour de cassation aurait condamné la pratique consistant à prévoir un montant maximum pour le prêt faisant l’objet de la condition suspensive.

Quelle serait alors la marge de souplesse restante pour la rédaction de ces clauses ? Si la prévision d’un prêt d’un montant maximum obligeait l’acquéreur à accepter des prêts de montants inférieurs, il faudrait, pour éviter de tomber dans ce piège, prévoir un montant précis pour le prêt nécessaire à l’acquisition du bien dès la rédaction de la promesse unilatérale de vente. N’en arriverait-on pas en pratique à chercher une offre de prêt avant de conclure la promesse de vente ? Comment, sinon, les acquéreurs pourraient-ils connaître les détails du prêt qui pourrait leur être consenti3 ? Cette situation serait dépourvue de logique puisque la condition suspensive d’obtention du prêt a justement pour but de permettre une conclusion rapide de la promesse.

Une autre pratique aurait pu être généralisée si la Cour de cassation avait admis que la prévision d’un prêt d’un montant maximum obligeait l’acquéreur à accepter des prêts de montants inférieurs. Cette pratique consiste à prévoir une fourchette concernant le montant du prêt conditionnant la vente. En présence d’une telle clause, le prêt offert par un établissement de crédit entrant dans la fourchette conventionnellement prévue devrait être accepté par l’acquéreur, sous peine d’être condamné sur le fondement de l’article 1304-3 du Code civil. À l’inverse, le prêt consenti pour un montant inférieur ou supérieur aux limites conventionnelles pourrait être refusé sans conséquence pour l’acquéreur qui pourrait se prévaloir de la caducité de la promesse. Le recours à cette pratique implique que la rédaction de la condition suspensive soit mûrement réfléchie. En effet, les conséquences du prêt envisagé doivent être anticipées par l’acquéreur au jour de la conclusion de la promesse. Ainsi, avant même qu’il entame sa recherche de prêt et entre en contact avec un établissement de crédit à même de le conseiller, l’acquéreur doit déterminer le montant minimum et le montant maximum du prêt nécessaire à l’acquisition souhaitée4.

En refusant de contraindre l’acquéreur à accepter tout prêt consenti pour un montant inférieur au montant maximum conventionnellement prévu, la Cour de cassation n’incite pas les acquéreurs à insérer de telles fourchettes concernant le montant du prêt souhaité. La solution de la Cour de cassation préserve l’acquéreur des conséquences de telles conditions suspensives. Il nous semble que cette solution doit être saluée en ce qu’elle protège la souplesse des conditions suspensives d’obtention de crédit.

En outre, il est possible de remarquer que, par sa solution, la Cour de cassation a refusé d’ajouter une obligation à la charge de l’acquéreur. Celui-ci ne s’est pas engagé à accepter tout prêt qui lui serait consenti pour un montant inférieur au montant maximum prévu. La Cour de cassation refuse d’interpréter la détermination d’un montant maximum pour le prêt comme un consentement à accepter tout prêt d’un montant inférieur. S’il a été souligné que la règle de l’article 1304-3 a conduit à mettre certaines obligations à la charge des parties souscrivant une condition suspensive, encore faut-il que ces parties manifestent, implicitement mais nécessairement, leur volonté de se soumettre à ces obligations. Or il ne peut être raisonnablement soutenu que l’acquéreur souscrivant une condition suspensive d’obtention d’un prêt prévoyant un montant maximum exprime sa volonté d’accepter tout prêt quel que soit son montant dans la limite du maximum exprimé. S’il est vrai que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »5, il ne faut pas oublier que les obligations contractuelles naissent de la rencontre des volontés des contractants6.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. pour exemple des arrêts faisant application de l’article 1304-3 du Code civil lorsque les démarches de l’acquéreur pour obtenir un prêt sont insuffisantes : Cass. 1re civ., 25 oct. 1994, n° 92-11400 : Defrénois 15 juin 1995, n° 36100, p. 755, obs. D. Mazeaud – lorsque les acquéreurs sous condition suspensive d’obtention d’un prêt refusent un prêt conforme aux prévisions contractuelles : Cass. com., 31 janv. 1989 : JCP 1989, II 21382, note Y. Dagorne-Labbe – ou encore lorsque l’emprunteur demande un prêt pour un montant supérieur à celui prévu dans la promesse de vente : Cass. 3e civ., 19 mai 1999, n° 97-14529.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 14 janv. 2021, n° 20-11224.
  • 3.
    La solution qui vaut pour le montant du prêt devrait logiquement être étendue aux autres caractéristiques du prêt, et tout particulièrement au taux d’intérêt.
  • 4.
    Ainsi que le taux d’intérêt maximum qu’il acceptera de voir appliqué à son crédit.
  • 5.
    Selon les termes de l’article 1103 du Code civil.
  • 6.
    En application de l’article 1102 du Code civil qui pose le principe de la liberté contractuelle en les termes suivants : « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ».
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