Le contrat de cautionnement né pendant la communauté doit figurer au passif de celle-ci

Publié le 09/07/2021

La dette résultant du cautionnement, née pendant la communauté, doit figurer au passif définitif de la communauté, sauf à prouver que l’un des époux avait souscrit cet engagement dans son intérêt personnel.

Cass. 1re civ., 31 mars 2021, no 19-17439, D

Cofidejusseur ou cocaution. Au centre des diverses controverses sur le pouvoir des époux dans le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, l’article 1415 du Code civil figure en bonne place puisque le contentieux n’a cessé de se développer depuis plusieurs décennies tant au regard du contrat de cautionnement que de celui du droit des régimes matrimoniaux1. Dans cette affaire2, un jugement du 26 mars 2006 a prononcé le divorce de M. C. et de Mme M., mariés sans contrat préalable, et fixé la date de ses effets patrimoniaux entre les époux au 14 juillet 2000. La cour d’appel de Nîmes rejette la demande de M. C. tendant à lui reconnaître une créance de 72 870,63 € à l’encontre de la communauté, en considérant d’abord, que pendant le mariage, celui-ci s’est, comme son épouse, porté caution solidaire d’un prêt contracté par une société dont ils étaient associés et qu’après la liquidation judiciaire de celle-ci, il a, en cette qualité, réglé cette somme à la banque. Les juges du fond relèvent ensuite que le remboursement ayant été effectué le 12 août 2004, soit après la dissolution de la communauté, la discussion sur l’origine des fonds est inopérante et qu’il convient de déterminer la nature de cette dette qui, si elle a une origine commune, pourrait donner lieu à des comptes de l’indivision post-communautaire. La cour d’appel estime enfin qu’il s’agit manifestement d’une dette personnelle de M. C. qui ne relève pas de cette indivision puisqu’il n’est ni allégué ni justifié que les règles de l’article 1415 du Code civil devraient être écartées. La Cour de cassation censure les juges du fond en considérant qu’en statuant ainsi, alors que ces dispositions, qui concernent l’obligation à la dette, étaient inapplicables (I) et que la dette résultant du cautionnement, née pendant la communauté, devait figurer au passif définitif de la communauté, sauf à prouver que M. C. avait souscrit cet engagement dans son intérêt personnel (II), la cour d’appel a violé les textes visés.

I – Sur l’obligation à la dette de cautionnement

L’article 1415 du Code civil. Au regard de l’obligation à la dette, les époux s’étaient portés cautions solidaires de la société dont ils étaient les associés (A), si bien que la protection édictée par l’article 1415 du Code civil était inapplicable (B).

A – L’autorisation-consentement de l’époux cocaution

Autorisation-consentement. L’article 1415 du Code civil dispose que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. Selon la doctrine, larticle 1415 du Code civil prévoit une exception à l’exception, et donc un retour au principe de l’article 1413 du Code civil. Les biens communs sont engagés si le conjoint de l’époux emprunteur ou caution donne son consentement exprès (dans l’acte lui-même ou séparément) à l’engagement des biens communs (ce qui ne suppose pas que le conjoint signe l’acte de cautionnement lui-même3. L’article 1413 du Code civil précise que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, durant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, excepté la récompense due à la communauté s’il y a lieu, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier. L’article 1413 du Code civil a donc vocation à jouer, en principe, pour toutes les dettes nées durant la communauté sauf trois exceptions. À titre d’illustration, le tableau suivant indique les exceptions à la règle4.

Dette commune

Dette propre

Article 1413 du Code civil : fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier

Non

Oui

Article 1414 du Code civil : obligation non solidaire au regard de l’article 220 du Code civil

Non

Oui

Article 415 du Code civil : un cautionnement ou un emprunt contracté sans le consentement exprès de l’autre conjoint n’engage pas ses biens propres

Non

Oui

Complexité en droit des régimes matrimoniaux. Cette question se complique en droit des régimes matrimoniaux, car la Cour de cassation considère souvent que, bien que le conjoint de la caution ait donné son consentement-autorisation en vertu de l’article 1415 du Code civil, il n’est pas cocaution5. C’est ainsi que la Cour de cassation a rappelé : « Mais attendu qu’après avoir énoncé que le consentement de Mme X au cautionnement donné par son époux en garantie des dettes de la société, en application de l’article 1415 du Code civil, n’a pas eu pour effet de lui conférer la qualité de partie à l’acte (…) »6. Dans l’arrêt rapporté, les deux époux se sont portés caution solidaire d’un prêt contracté par une société dont ils étaient associés.

B – L’inapplication au cautionnement de la protection prévue par l’article 1415 du Code civil

Symétrie entre la gestion active et la gestion passive de la communauté. L’absence de personnalité morale de la communauté entre époux rend complexe le sort des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté7. Il en résulte que les dettes communes sont celles que l’époux a fait entrer en communauté8. En effet, l’article 1418 du Code civil énonce que lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre. On sait que les sociétés jouissent de la personnalité morale dès leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Ainsi les associés de SARL ne sont responsables qu’à hauteur de leur apport si bien que leur patrimoine personnel est protégé vis-à-vis des créanciers de la société9. En revanche, en matière matrimoniale, les créanciers de la communauté bénéficient d’un droit de poursuite (droit de gage maximal) qui s’étend généralement sur les biens de la communauté mais également sur les biens propres de l’époux débiteur10. En d’autres termes, comme le relève Janine Revel : « chacune des masses propres a un propriétaire qui a sur ses biens des droits et pouvoirs exclusifs ; la masse commune a deux gérants qui ont vocation à la partager à la dissolution du régime matrimonial. Or une dette est toujours supportée par une personne, l’un ou l’autre des époux, ou les deux ensemble : elle ne peut jamais l’être par la communauté qui n’a pas la personnalité »11. L’absence de personnalité juridique de la communauté matrimoniale implique une symétrie entre la gestion active et passive de la communauté. Le pouvoir dont dispose chacun des époux pour accomplir seul un acte sur les biens communs a pour corollaire d’engager ces mêmes biens12.

Les dispositions de l’article 1415 du Code civil concernent l’obligation à la dette (passif provisoire). Un autre aspect, et non des moindres, du droit de des régimes matrimoniaux tient à la distinction entre la contribution et l’obligation à la dette13. La doctrine a donné un fondement très solide à la distinction entre l’obligation et la contribution à la dette. On a ainsi fait remarquer que : « (…) quant à la contribution à la dette : en principe, toute dette née en cours d’union est supportée définitivement par la communauté14. Si elle est acquittée au moyen de deniers communs, elle n’ouvre donc pas droit à récompense. Par exception, certaines dettes nées en cours de mariage doivent en définitive n’être assumées que par l’époux qui les a contractées. Elles relevaient du passif provisoire de la communauté, mais sont finalement à la charge personnelle de l’époux débiteur. Ainsi lorsqu’elles ont été contractées dans l’intérêt personnel »15. En l’espèce, la censure était inévitable parce que le raisonnement des juges du fond traduisait la confusion entre la contribution au passif avec l’obligation au passif, si bien que les articles 1415 et 1409 du Code civil ont été violés16.

Le contrat de cautionnement né pendant la communauté doit figurer au passif de celle-ci
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II – Sur la contribution à la dette de cautionnement

Enseignement de la décision rendue. Selon la haute juridiction, la dette résultant du cautionnement, née pendant la communauté, doit figurer au passif définitif de la communauté (A) sauf à prouver que l’époux avait souscrit cet engagement dans son intérêt personnel (B).

A – Le cautionnement fait partie du passif définitif de la communauté

Le passif définitif : les dettes définitivement communes par principe. L’article 1409 du Code civil dispose que la communauté se compose passivement :

  • à titre définitif, des aliments dus par les époux et des dettes contractées par eux pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants, conformément à l’article 220 ;

  • à titre définitif ou sauf récompense, selon les cas, des autres dettes nées pendant la communauté.

En l’espèce, il incombait donc à l’ex-épouse de prouver que c’est la recherche d’un intérêt personnel par le mari qui l’avait poussé à souscrire un cautionnement. Or il n’est pas douteux qu’en l’espèce, le cautionnement était souscrit dans l’intérêt commun du couple d’autant plus qu’ils étaient coassociés. C’est donc au regard de la contribution à la dette, un passif définitif de la communauté. À ce stade, on distingue plusieurs dettes relevant du passif définitif. Tout d’abord, les dettes définitivement communes par nature telles que les dettes pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants voire les dettes d’aliments17. Ensuite, les dettes définitivement communes par principe comme les dettes issues d’un cautionnement ou d’un emprunt18.Et enfin, des dettes exceptionnellement propres c’est-à-dire un passif propre en raison du caractère personnel des dettes19. Concernant les dettes définitivement communes par principe, il convient de distinguer le cautionnement réel du cautionnement personnel. Dans son manuel « Leçons de droit », la doctrine définit le cautionnement tantôt comme « le contrat par lequel une personne appelée “caution” ou “fidejusseur” prend l’engagement de payer le créancier si le débiteur principal n’exécute pas. (…). Tantôt, [par] le mot “cautionnement réel”, il s’agit [alors] d’un nantissement ou d’une hypothèque fournis sur ses biens par une personne pour garantir la dette d’autrui (…) »20. En l’espèce, il ne s’agissait pas d’un cautionnement hypothécaire, nécessitant la rédaction d’un acte authentique, mais d’un cautionnement personnel souscrit pas les deux époux mariés sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts. Au vrai, dans le domaine du cautionnement personnel souscrit par les deux époux, la Cour de cassation paraît bien appliquer purement et simplement la règle des dettes définitivement communes par principe et ne laisser aucune place, si mesurée fût-elle, à l’article 1415 du Code civil limitant le droit de poursuite des créanciers.

B – L’engagement a été souscrit dans un intérêt personnel

La notion d’intérêt personnel d’un époux. Le professeur Gérard Champenois estime que la notion « d’intérêt personnel » est définie assez largement et ne se limite pas à l’intérêt du patrimoine propre, comme le permet l’article 1416 in fine qui vise, à titre d’exemple, « l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien propre ». Il nous semble que l’on peut qualifier d’« intérêt personnel » tout intérêt étranger à la communauté (ainsi le cautionnement « service d’ami »)21. Dans un tel système de communauté réduite aux acquêts, pouvoir et propriété sont en principe corrélés, si bien qu’un époux propriétaire d’un bien propre peut le vendre seul sans avoir à obtenir le consentement de son conjoint. Cependant, dans le cadre de l’article 215 du Code civil, alinéa 3, propriété et pouvoir ne sont plus corrélés, tant et si bien que le propriétaire du bien affecté au logement de la famille doit obtenir le consentement de son conjoint dans le cadre de la cogestion22. Un autre aspect, et non des moindres, du droit des régimes matrimoniaux tient à la distinction entre la contribution et l’obligation à la dette23. Au vrai, la notion d’intérêt personnel d’un des époux pose des difficultés d’application24. Il a été jugé ainsi que le cautionnement donné par un époux seul à un ami personnel ou l’emprunt bénéficiant à un seul époux relevait de la notion d’intérêt personnel d’un époux25. Dans une telle optique, il est souvent difficile de distinguer les notions de contribution et d’obligation à la dette comme le fait remarquer le Centre de recherches, d’information et de documentation notariales (CRIDON) qui relève que « Quant à la contribution, il s’agit d’un passif définitif de communauté26. De plus, ce texte visant “l’article 220”, sans distinguer les divers alinéas, il faut sans doute comprendre que la solution vaut également pour les dettes ménagères non solidaires »27.

Notes de bas de pages

  • 1.
    P.-L. Niel, « Appréciation stricte de la disproportion de l’engagement de la caution mariée », LPA 24 mai 2017, n° 126f4.
  • 2.
    S. Dubost, « Passif définitif de la communauté et cautionnement », RLDC 2021 ; N. Mouligner-Baud, « Communauté légale – Passif propre et passif commun – Obligation et contribution à la dette en régime légal nos 42 et s., et n° 112 », JCl. Civil Code, Art. 1409 à 1420, fasc. unique.
  • 3.
    V. Brémond, N. Moulignier, « Synthèse – Composition et gestion des masses dans le régime de communauté légale », JCl. Civil Code, n° 64.
  • 4.
    P.-L. Niel, « La confiscation pénale d’un bien commun est susceptible de faire naître un droit à la récompense pour la communauté », LPA 10 févr. 2021, n° 157z3, p. 13.
  • 5.
    X. Delpech, « Appréciation de la proportionnalité de l’engagement de la caution mariée », Dalloz actualité, 7 mars 2017.
  • 6.
    Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-20304 ; G. Marraud des Grottes, « Cautionnement : rappel sur le contour de mise en garde de la banque et l’appréciation de la disproportion de la caution », Documentation expresse 2017, p. 7.
  • 7.
    P.-L. Niel, « La confiscation pénale d’un bien commun est susceptible de faire naître un droit à la récompense pour la communauté », LPA 10 févr. 2021, n° 157z3, p. 13.
  • 8.
    N. Peterka et Q. Guiguet-Schielé, Régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Hyper-cours, p. 281.
  • 9.
    Quels sont les droits et obligations de l’associé de SARL ? », https://lext.so/lou7sc.
  • 10.
    N. Peterka et Q. Guiguet-Schielé, Régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Hyper-cours, p. 281.
  • 11.
    J. Revel, Les régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Cours, p. 191.
  • 12.
    J. Revel, Les régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Cours, p. 191.
  • 13.
    J. Aulagnier et a., « Dettes de communauté, dettes propres et récompenses », Le Lamy Patrimoine, 2017, p. 75, n° 565 ; J. Aulagnier et a., « Engagement contracté dans l’intérêt personnel d’un des époux », Le Lamy Patrimoine 2017, p. 215, n° 625.
  • 14.
    C. civ., art. 1409.
  • 15.
    C. civ., art. 1416 : Cridon Nord-Est, « Le contrat de mariage la communauté de biens réduite aux acquêts ».
  • 16.
    A.-L. Lonné-Clément, « Dette résultant d’un cautionnement souscrit par un époux : attention à ne pas confondre obligation et contribution à la dette (rappel) ! », 22 avr. 2021, https://www.lexbase.fr.
  • 17.
    R. Le Guidec, « Chapitre 142 – Passif définitif : répartition entre les époux et contribution à la dette », 2021-2022, Dalloz action, Droit patrimonial de la famille.
  • 18.
    R. Le Guidec, « Chapitre 142 – Passif définitif : répartition entre les époux et contribution à la dette », 2021-2022, Dalloz action, Droit patrimonial de la famille.
  • 19.
    R. Le Guidec, « Chapitre 142 – Passif définitif : répartition entre les époux et contribution à la dette », 2021-2022, Dalloz action, Droit patrimonial de la famille.
  • 20.
    H. Mazaud et a., Leçons de droit civil, t. III, Sûretés publicité foncière, 1988, Montchrestien, p. 17.
  • 21.
    G. Champenois, « Régimes matrimoniaux, libéralités, successions », Defrénois 15 nov. 2008, n° 38854, p. 2207.
  • 22.
    P.-L. Niel et M. Morin, « Appréciation de la composition de la communauté activement et passivement : les juges du fond censurés par la Cour de cassation », LPA 28 janv. 2019, n° 141x8, p. 11.
  • 23.
    J. Aulagnier et a., « Dettes de communauté, dettes propres et récompenses », Le Lamy Patrimoine 2017, p. 75, n° 565 ; J. Aulagnier et a., « Engagement contracté dans l’intérêt personnel d’un des époux », Le Lamy Patrimoine 2017, p. 215, n° 625.
  • 24.
    J. Guenette Seigneuret, « Le cautionnement entre époux », LPA 20 déc. 2018, n° 141a3, p. 6.
  • 25.
    J. Aulagnier et a., « Engagement contracté dans l’intérêt personnel d’un des époux » Le Lamy Patrimoine 2017, p. 215, n° 625 ; J. Aulagnier et a., « Dettes de communauté, dettes propres et récompenses », Le Lamy Patrimoine 2017, p. 75, n° 565.
  • 26.
    C. civ., art. 1409.
  • 27.
    Cridon Nord-Est, « Le contrat de mariage la communauté de biens réduite aux acquêts ».
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