Les nouveaux remèdes au déséquilibre contractuel dans la réforme du Code civil

Publié le 16/08/2016

Au postulat volontariste reposant sur l’égalité des contractants, le droit rénové supplante une nouvelle hygiène du contrat. En s’intéressant autant aux parties qu’au contrat lui-même, la réforme mêle subtilement défense du contractant vulnérable et promotion de l’équilibre contractuel. Au moyen de multiples standards tels que « l’onérosité excessive » (C. civ., art. 1195), « l’avantage manifestement excessif » (C. civ., art. 1143), le « déséquilibre significatif » (C. civ., art. 1171) ou l’atteinte à la substance au travers « l’obligation essentielle » du débiteur (C. civ., art. 1170), le texte parvient à juguler le déséquilibre généré par une clause, rétablir l’équilibre rompu à la suite d’un simple changement de circonstances ou sanctionner toute forme d’abus de puissance ou d’exploitation d’un état de dépendance ou fragilité contractuelle.

Si les parties sont incontestablement les meilleurs juges de leurs intérêts, encore faut-il qu’elles soient en mesure ou en capacité de négocier. Le principe de commutativité subjective ne saurait résister au piège de la vulnérabilité contractuelle et les contrats « structurellement déséquilibrés » ont progressivement envahis le décorum. Aux contrats échanges conçus entre partenaires d’égales forces qui s’exécutent en un trait de temps succèdent les contrats-organisation, contrats-alliance ou relationnels inscrits dans la durée et laissant davantage de prise aux abus de dépendance économique. Aussi le schéma idyllique brossé par le Code Napoléon était-il en passe de devenir une image d’Épinal.

Prenant pleinement conscience des nouvelles formes de violence ou d’abus de faiblesse, la réforme du droit des contrats offre une parfaite réplique en accentuant la défense de la partie faible au contrat et en contrôlant davantage l’équilibre contractuel. Et si certains minimisent déjà les avancées, le dispositif issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a su très habilement concilier les exigences de sécurité, prévisibilité et de justice. Loin d’être inconciliable avec ces impératifs, le nouveau credo : protection du contractant et préservation de l’équilibre contractuel ne demande qu’à s’exprimer. À la défense du contractant se mêle celle du contrat.

I – La défense du contractant vulnérable

Souvent présentée comme antagoniste au principe de la liberté contractuelle et au postulat de l’égalité juridique des contractants, la protection de la partie faible semblait inenvisageable au sein du Code civil. Ce n’est qu’au prix d’un véritable forçage des textes que la jurisprudence est parvenue bon gré mal gré à combattre les injustices contractuelles les plus criantes : en sanctionnant l’abus dans la fixation unilatérale du prix, en réputant non écrite les clauses excessivement limitatives de responsabilité, ou en annulant une présentation exagérément optimiste de la rentabilité de l’opération. Socle du droit commun, l’idée même de faiblesse semblait absente du Code civil. À partir d’une présomption légale de capacité juridique étendue à la capacité de contracter, les moyens consacrés à la défense du contractant étaient sinon rares sinon incongrus.

Partant, le prototype du contractant faible faisait figure d’ersatz juridique. Absente du Code civil, la défense de la partie faible au contrat ou plus généralement d’un contractant vulnérable était réservée à d’autres codes spécialement dédiés comme le Code de la consommation avec l’effigie du consommateur, le Code du travail au travers la protection du salarié ou de manière indirecte avec le Code de commerce davantage axé sur la défense des marchés et d’une saine ou loyale concurrence.

Aux techniques innovantes du Code de la consommation que sont l’obligation d’information, le droit de repentir ou de rétractation se sont greffées celles du droit commercial avec l’obligation spéciale d’information en cas d’exclusivité ou de quasi-exclusivité, la réglementation de la négociation ou la communication des conditions générales, la transparence tarifaire et l’encadrement des pratiques restrictives de concurrence permettant de combattre toutes sortes d’abus de situation ou d’états de dépendance. En comparaison, le droit commun des contrats faisait figure de parent pauvre puisque, au mépris de tout réalisme, le Code civil ignorait jusqu’à la catégorie de contrat d’adhésion.

La défense du contractant était uniquement organisée autour des vices du consentement. Sous sa bannière, la réalité du consentement donné n’était contestée qu’en cas, soit d’erreur déterminante portant sur les qualités essentielles ou intrinsèques, soit de dol ou de réticence dolosive sous réserve d’établir l’intention malveillante, soit de violence dans des hypothèses si marginales qu’elles frisaient le cas d’école.

Dès lors, en faisant de la défense du contractant l’un de ses objectifs prioritaires et en affichant de manière décomplexée cette volonté, la réforme marque une évolution profonde par rapport au droit antérieur1. Sans aller jusqu’à un changement de paradigme, cette philosophie nouvelle marque de son sceau le Code civil2. L’idée que le contactant puisse être vulnérable et recevoir l’appui du droit commun semble avoir été entendue3.

Au sein d’un chapitre préliminaire, le contrat de gré à gré est désormais confronté à celui d’adhésion. Le premier désigne « celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties », tandis que « le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties » (C. civ., art. 1110 nouv.). Non sans une certaine ambiguïté, la nouvelle définition associe au contrat d’adhésion un régime qui lui est propre puisque le contrôle des clauses génératrices d’un déséquilibre lui est exclusivement réservé (C. civ., art. 1171 nouv.) tout comme le bénéfice d’une règle particulière d’interprétation (C. civ., art. 1190 nouv.) 4.

Mais outre, cette prise en compte nouvelle du contrat d’adhésion et l’ambition de combattre l’absence réelle de négociation, la protection du contractant est encore assurée par l’inscription d’une obligation précontractuelle d’information, l’instauration de nouvelles règles d’interprétation, la référence à la réticence dolosive et l’élargissement du vice de violence. D’inégales importances, ces avancées en faveur du contractant marquent un tournant dans la conception que se fait le Code civil du contractant5.

A – Le devoir général d’information

Le nouvel article 1112-1 du Code civil canalise le devoir général d’information au cours de négociations en faisant obligation à celui des contractants qui détient une information de la communiquer dans deux hypothèses distinctes. Aux antipodes de l’obligation de confidentialité, l’obligation de divulguer une information existe en cas d’ignorance légitime du cocontractant ou de confiance de nature à entraver sa sagacité ou capacité de jugement.

Cette délimitation précise révèle la volonté de responsabiliser le contractant qui ne saurait être dispensé du devoir corrélatif de se renseigner, tout en imprimant aux relations de confiance une conséquence directe, sorte d’excuse ou de fait justificatif6. Si du fait de la confiance accordée au cocontractant, la partie a négligé de se renseigner en ne faisant pas preuve d’un minimum de curiosité, cette omission ne sera pas sanctionnable mais, au contraire, de nature à alourdir l’obligation d’informer de son partenaire contractuel.

Nouvellement balisée dans son champ d’application, l’obligation d’information l’est encore quant à son contenu. Le texte définit désormais les informations exigibles et celles qui sont soustraites. Cantonnées aux informations déterminantes du consentement, l’exigence de divulgation improprement qualifiée de « devoir » d’information « ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation ». Mais quid de la valeur de l’objet et de la fameuse jurisprudence Baldus, qui restreint l’obligation de loyauté de l’acheteur non tenu d’informer son vendeur de la valeur réelle du bien7 ? Cette imprécision est d’autant plus regrettable que, dans son dernier état, la Cour de cassation sanctionne fermement un tel manquement en admettant la nullité d’une cession de titres pour réticence dolosive8.

À l’inverse, sont considérées comme déterminantes du consentement, les informations « qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Cette référence au contenu contractuel est ici d’autant plus surprenante qu’elle concerne ailleurs, en l’occurrence dans la sous-section III du chapitre consacré à la formation : l’obligation, la qualité de la prestation, le prix ou l’équivalence des prestations. Dès lors, l’exclusion de la valeur de la prestation dans la sous-section 1 consacrée aux négociations et son inclusion à la sous-section 3 relative au contenu prête à confusion. Bien que consacrée et sanctionnée par la responsabilité délictuelle ou l’annulation du contrat, le contentieux lié au manquement à l’obligation d’information risque de perdurer9.

B – Les nouvelles règles d’interprétation

Le contrat d’adhésion fait l’objet d’une règle particulière d’interprétation. Puisque si dans le doute le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, s’agissant du contrat d’adhésion, le doute profite au contractant vulnérable. Le contrat s’interprète systématiquement contre celui qui l’a proposé. Cette nouvelle règle d’interprétation vise clairement à protéger le contractant qui aura souscrit un contrat d’adhésion. Faute d’avoir pu en négocier les termes, son contenu est interprété dans un sens favorable à l’adhérent. Proche de la règle du Code de la consommation, cette nouvelle disposition tend logiquement à protéger le contractant n’ayant pas négocié son contrat.

C – La codification de la réticence dolosive

Création jurisprudentielle, le dol par réticence fait son entrée dans le Code civil. L’article 1137 nouveau élargit la conception classique du dol à la rétention frauduleuse d’information. « Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». Tout comme constitue « également » un acte de violence, le fait d’abuser d’un état de dépendance pour en tirer un avantage manifestement excessif, le manquement à l’obligation générale d’information est également constitutif de dol. Toutefois, cette codification de la jurisprudence n’a pas les effets simplificateurs souhaités. En imposant que le contractant ait connaissance du caractère déterminant, pour l’autre partie, de l’information non communiquée, le texte introduit une difficulté probatoire supplémentaire. Aussi plus que l’assurance d’un consentement éclairé avec l’introduction d’un devoir général d’information ou la sanction effective du manquement à l’obligation de renseigner son cocontractant, la protection est-elle assurée par la répression élargie des abus.

Lettre morte et objet d’une jurisprudence en tête d’épingle, la notion de violence se modernise pour embrasser de nouvelles formes d’atteintes au consentement10. Éclairé, le consentement doit encore pour être valable être libre.

D – L’extension du vice de violence

Mesure phare de la réforme, la consécration de la violence dite « économique » vient combler l’absence de disposition spécifiquement dédiée à la sanction des abus contractuels commis ou perpétrés par la partie qui se trouve en position, sinon de domination, de force. Destinés à sanctionner l’erreur provoquée ou la contrainte du lésé, le dol ou la violence apparaissent aujourd’hui insuffisants à prévenir un risque d’abus de dépendance ou à garantir un abus de domination. Limités aux abus d’influence, ces moyens ne permettent pas de remédier aux abus d’exploitation d’un état ou d’une situation de faiblesse11. Or avec la référence à la violence pour abus de dépendance, on ne vise plus seulement la simple altération du consentement mais, plus largement, le fait d’en abuser. Est désormais sanctionné quiconque exploite un état de dépendance ou tire profit d’une situation de dépendance pour en retirer un avantage manifestement excessif.

Par le truchement de la volonté, le déséquilibre manifeste entre les prestations contractuelles acquiert droit de cité. Et si la simple lésion continue de ne pas être sanctionnée et ce, indépendamment de sa gravité, puisqu’il en va de même de la lésion qualifiée, en revanche, tout déséquilibre qui résulte d’un abus de l’état de faiblesse du cocontractant est désormais retenu.

Cette prise en compte nouvelle du déséquilibre significatif en cas d’abus d’un état de faiblesse ou d’exploitation d’une situation de dépendance permet de concevoir le rapport contractuel au lieu de se référer au contrat de façon désincarnée. Le contrat n’est pas perçu comme un ensemble de droits et d’obligations soumis à une exigence plus ou moins forte d’équilibre mais comme une relation contractuelle source d’intérêts antagonistes ou convergents propres à chacun des contractants. Considéré sous l’angle du lien contractuel et non seulement du rapport d’obligations, la réforme a fait le choix d’envisager le contrat comme un rapport de forces. Aujourd’hui, le contrat n’est pas qu’un ensemble de droits et d’obligations, de prérogatives ou de droits, il est avant tout conçu comme une mise en relation de deux contractants. Au rapport désincarné envisageant le déséquilibre contractuel in abstracto, au regard des seules prestations échangées, on supplante le lien contractuel. C’est davantage la relation de dépendance ou plus précisément l’abus de « l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant » qui est ici considéré pour, in fine, retenir le déséquilibre induit par une inégalité contractuelle. Ce changement de perspective justifie une appréciation in concreto du défaut d’équivalence.

À côté de la contrainte provoquée, « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (C. civ., art. 1143 nouv.). Se trouvent mêlées deux exigences complémentaires : l’une tenant à l’altération du consentement, l’autre au déséquilibre. Autrement dit, il n’y a pas vice sans que soit établi un déséquilibre, qui prend ici le nom d’« avantage manifestement excessif » après bien d’autres appellations possibles comme le profit excessif ou l’avantage déloyal, le déséquilibre significatif ou la disproportion entre les droits et les obligations des parties au contrat12. Mais ce défaut d’équivalence n’est pas, en soi, suffisant. Quelle que soit son importance ou sa mesure, que le déséquilibre soit patent, manifeste, significatif ou excessif, il n’est pas en lui-même sanctionné. Autrement dit, la disproportion des obligations n’est pas à elle-seule cause de nullité ou de réformation du contrat. Il faut, en outre, que le déséquilibre contractuel provienne d’un vice du consentement.

Or un tel vice n’existait pas jusqu’à la réforme. Le grand mérite est donc non seulement d’avoir associé les questions d’équilibre et de consentement mais surtout d’avoir imaginé un vice fondé sur le défaut d’équivalence13. À côté du dogme primitif selon lequel l’équilibre voulu ne peut qu’être juste, on fait place à sa contestation. À défaut de volonté libre, le déséquilibre contractuel vient à être considéré. Si le simple déséquilibre des prestations ne peut suffire à justifier la remise en cause du contrat, à l’inverse, l’existence d’un abus de faiblesse commande la solution contraire14.

Il faut non seulement établir le caractère déterminant comme pour tout vice du consentement et en particulier l’erreur puisque doit être établi que l’engagement n’aurait pas été souscrit sans cet abus mais également qu’il en est résulté un « avantage manifestement excessif », soit encore un déséquilibre significatif. À la mesure du déséquilibre s’ajoute l’imposition d’un abus, l’exploitation d’un rapport de force. Le défaut d’équivalence des prestations n’est pas suffisant. Pour être considéré, ce déséquilibre contractuel doit être la conséquence d’un vice de faiblesse, d’un abus de dépendance ou d’une violence économique. Les mots ici importent peu. Seul compte cette idée que l’on juxtapose au déséquilibre, soit le défaut de proportionnalité entre les droits et obligations, l’inégalité fautive des contractants.

C’est, d’abord, le rapport de force que l’on fustige avant de s’intéresser à sa conséquence, le déséquilibre des prestations. Inégalité des contractants et proportionnalité des prestations sont étroitement mêlées. En d’autres termes, le déséquilibre contractuel ne sera sanctionnable que s’il résulte de l’inégalité des parties, la condition première étant l’abus d’un état de dépendance. Quelle que soit son origine : pathologique ou fautive, l’inégalité des contractants reste la condition essentielle.

Toutefois, à l’abus de dépendance ou « violence économique » se mêle le déséquilibre contractuel. Dès lors, la contrainte n’est sanctionnable qu’autant que le contractant en aura retiré « un avantage manifestement excessif ». Par conséquent, le texte renvoie tout autant à la vulnérabilité qu’à la proportionnalité, ce qui revient à dire qu’il s’intéresse aussi bien au contrat qu’à ses contractants. Il mobilise non seulement l’exigence de justice contractuelle tenant à l’équilibre du contrat mais encore la défense de la partie faible ou contractant vulnérable. À la défense du contractant jouxte celle du contrat.

II – La défense de l’équilibre contractuel

En dehors des dispositions protectrices du contractant, l’équilibre contractuel tend à être considéré en lui-même, soit indépendamment de tout abus de domination ou de dépendance, et ce indépendamment de la qualité des parties. En effet, si la législation consumériste sanctionne, exclusivement, le défaut d’équilibre subi par la partie faible, le droit réformé des contrats a, quant à lui, égard au déséquilibre significatif supporté par n’importe quel contractant.

Cela étant, bien que le Code de la consommation s’intéresse au seul déséquilibre subi par le consommateur, l’introduction d’un contrôle des clauses abusives dans le Code civil participe de la même philosophie en limitant le contrôle aux contrats d’adhésion. Si l’on peut, certes, imaginer que la protection ne soit pas réservée à l’adhérent, il y a toutefois fort à parier que ce dernier sera le seul concerné.

Par ailleurs, il faut souligner la parenté entre l’article 1143 précité relatif à la violence et les premières lois Scrivener ayant introduit un contrôle des clauses abusives au sein du Code de la consommation. Ainsi, la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, ensuite remplacée par la loi n° 95-96 du 1er février 1995 transposant la directive européenne de 1993, considérait-elle comme abusives les clauses « imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et [qui] confèrent à cette dernière un avantage excessif ». Si désormais l’avantage doit, de surcroît, être manifeste, la violence n’est elle aussi admise qu’en cas d’abus de l’état de dépendance du cocontractant. Or si l’on songe, que c’est précisément en raison de la difficulté d’établir un tel abus de puissance ou un tel état de dépendance (C. com., art. L. 442-6, 1° anc.) que les dispositions du droit de la consommation puis celles du droit de la concurrence ont été abrogées, on ne peut qu’être inquiet sur la pérennité d’un tel système de protection en droit commun, là où les droits spéciaux ont d’ores et déjà échoué.

Cela explique, peut-être, que le nouveau droit des contrats ne s’intéresse pas uniquement à l’équilibre contractuel que sous l’angle des contractants pour, au surplus, considérer l’équilibre contractuel en lui-même. À cet égard, trois dispositions marquent la réforme et traduisent ce regain d’intérêt porté à l’équilibre contractuel.

Il s’agit d’un triptyque ramassé aux articles 1169 à 1171. Alors que le premier de ces textes fustige l’absence réelle de contrepartie en condamnant l’engagement qui ne serait qu’illusoire ou dérisoire, l’ordonnance rappelle que le défaut d’équivalence des prestations dans les contrats synallagmatiques n’est pas une cause de nullité, à moins que la loi n’en dispose autrement. Pas plus qu’hier la lésion n’est admise de façon générale et l’on continue de ne pas exiger une contrepartie suffisante pour la validité du contrat.

Mais derrière l’absence de nouveauté se cache deux innovations de taille. Alors que l’article 1170 répute non écrite « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur », le nouvel article 1171 vise cette fois « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Isolée, mais toute aussi importante, la disposition relative au changement de circonstances rendant l’exécution « excessivement onéreuse » mérite, elle-aussi, de rejoindre le palmarès des articles dédiés au déséquilibre contractuel (C. civ., art. 1195 nouv.).

À titre liminaire, on peut observer les différences liées au domaine d’application. Alors que l’article 1169 concerne les contrats conclus à titre onéreux, l’article 1170 se réfère à l’ensemble des contrats alors que l’article 1171 se limite, à dessein, aux seuls contrats d’adhésion. Enfin, l’article 1195 – qui introduit en droit français un pouvoir de révision judiciaire et impose une obligation de renégociation lorsque, par suite d’un changement de circonstance imprévisible, les prestations sont devenues déséquilibrées – a vocation à s’appliquer à tout type de contrat. Le texte ne se limite pas davantage aux contrats synallagmatiques.

Dès lors, sans souci de coordination, puisque la réforme ne l’envisage pas, les textes portant remède au déséquilibre contractuel seront envisagés dans l’ordre chronologique.

A – Le défaut réel de contrepartie

Équilibre rime ici avec contrepartie. Si sans changement, l’équilibre contractuel se confond avec l’équilibre voulu par les parties, en revanche, la réforme bannit désormais, expressément, l’absence de contrepartie. Toutefois, l’innovation n’est que formelle et on a très justement parlé de « simple codification à droit légal et prétorien constant »15. La jurisprudence sanctionnait déjà le vil prix sur le fondement de l’absence de cause. En raison de la condamnation des engagements abstraits et surtout du fait que pour être licite, la cause doit exister, le droit parvenait à censurer les engagements sans contrepartie tout en tolérant les ventes à prix symbolique.

En énonçant qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire, l’article 1169 se contente de formuler une jurisprudence bien établie. Toutefois, avec la disparition de la cause, le législateur s’est cru obligé de l’exprimer. Sans être nouvelle, la disposition a le mérite d’assoir l’exigence d’une contrepartie, exigence commune à l’ensemble des contrats conclus à titre onéreux.

Le contrat totalement déséquilibré, puisque sans contrepartie convenue, est ainsi fermement condamné. Il est toutefois regrettable que l’approche causaliste, qui fonde cette solution, soit passée à la trappe. On peut encore déplorer l’absence de lien avec les abus dans la fixation du prix auxquels se réfèrent pourtant les articles 1164 et 1165. Le rapprochement était pourtant implicite à l’article suivant lorsque l’on prévoit que « le débiteur doit fournir une prestation de qualité conforme aux atteintes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ».

B – L’atteinte à l’obligation essentielle du contrat

Cette fois, l’article 1170 qui condamne « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du contrat » marque une référence expresse à la très fameuse jurisprudence Chronopost et, avant elle, celle des « clauses réclamation-victime » et des « clauses dates de valeurs »16. Mais dans cette saga, seuls les derniers soubresauts sont passés à la prospérité. Pourtant, les rédacteurs ont su se départir des formules byzantines faisant référence à la contradiction à la portée de l’engagement pris.

Depuis l’arrêt Chronopost ne sont pas admises les limitations portant sur une obligation essentielle, comme l’est l’obligation de délivrance17. Toutefois, les clauses limitatives de responsabilité connaissent un regain de liberté, la Cour de cassation ayant estimé au double visa de 1131 et 1134 que « les juges du fond ne peuvent écarter une clause limitant les dommages et intérêts au coût du transport sans rechercher en quoi cette clause avait pour effet de contredire l’obligation pour le transporteur de respecter un strict délai »18. En l’occurrence, la cassation pour défaut de base légale atteste que l’invalidation de la clause doit être circonstanciée et motivée en tenant compte de l’économie de la convention. Le seul fait que la clause porte sur une obligation essentielle ne suffit pas à la rendre nulle. Désormais la clause répandue qui limite la réparation au seul coût de la prestation (transport) n’est pas systématiquement condamnée.

Si ces nuances ne se retrouvent pas dans la nouvelle formulation, pour autant, la mémoire de cette jurisprudence complexe risque d’entraver la bonne compréhension du texte. Comment savoir en effet si la clause prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur19 ? D’application mal aisée, le texte n’en traduit pas moins une volonté d’assurer un équilibre minimum et de fustiger les obligations disproportionnées. Tel est évidemment le cas de la stipulation qui prive de sa substance l’obligation essentielle du contrat. Sans doute perfectible, il reste que le texte œuvre, à sa manière, à la promotion d’un certain équilibre contractuel.

Non limité au contrat d’adhésion ou à un type de clause, ce nouveau contrôle de validité associé au contenu restreint de manière significative le principe de liberté contractuelle20. En contrepoint de l’équilibre voulu par les parties, il répute non écrite « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ». Ce sont désormais toutes les clauses qui sont sujettes à un tel contrôle de l’équilibre. Or, exercé à plein, la vérification de l’atteinte portée à l’obligation essentielle paraît nettement plus intrusive que ne l’était l’analyse causaliste. Avec l’obligation du débiteur, se trouve visée la contreprestation et non pas l’obligation essentielle du contrat, soit la cause de l’obligation si l’on raisonne selon la théorie classique.

Si l’on met de côté le débat ancien relatif à la notion d’obligation essentielle, sans chercher à savoir s’il s’agit de l’obligation caractéristique ou principale, il reste à préciser l’atteinte à la substance21. Peut-on considérer l’hypothèse constituée s’agissant d’une clause de non garantie qui ne serait pas compensée par une baisse de prix ? L’admettre revient à imposer un équilibre in valorem des obligations réciproques en sanctionnant toute disproportion entre les obligations.

Sans être dénué d’intérêt, le détour par les notions indéfinies de l’obligation essentielle ou de substance ne facilite pas un tel contrôle de l’équilibre entre les obligations réciproques des parties. On sait seulement que l’atteinte doit être importante puisqu’il est question de perte de substance. Seront visées indifféremment toutes clauses limitatives ou exclusives de garantie ou de responsabilité mais encore les clauses de non obligation22. Inversement devraient être soustraites d’un tel contrôle celles majorant l’étendue des obligations ou extensives de risques. Pour autant, de telles clauses sont également génératrices de déséquilibre mais dès lors qu’elles ne privent pas de sa substance l’obligation essentielle du débiteur, elles semblent échapper au contrôle.

Outre la difficulté d’appréciation posée par un texte, qui tout en s’inspirant des solutions prétoriennes s’en éloigne, la question de sa cohabitation avec les autres dispositions afférentes au déséquilibre perdure.

C – La condamnation des clauses générant un déséquilibre significatif

Par contraste, l’article 1171 impose clairement le contrôle de l’équilibre contractuel au regard de ses différentes clauses. À nouveau, sont visées tout type de clauses dès lors qu’elles s’inscrivent dans un contrat d’adhésion, autrement dit sont concernées toutes stipulations soustraites à la négociation. Mais sont, en revanche, exclues les clauses de prix, rémunération ou portant sur l’objet principal du contrat. Faut-il dès lors y voir le complément de l’article précédent ?

Une telle interprétation ne résiste pas à la réflexion, car il serait incohérent d’imposer des limites au contrôle de l’équilibre contractuel pour les réintégrer ensuite. Aussi, doit-on concevoir ces deux contrôles de l’équilibre contractuel de manière autonome, ce qui ne résout évidemment pas le problème de leur articulation. Inspiré des législations spéciales23, ce nouveau contrôle des clauses abusives se distingue du droit des pratiques restrictives de concurrence par ses restrictions et s’éloigne du droit de la consommation par l’absence de référence faite à l’ensemble contractuel. Est-ce à dire que la compréhension du déséquilibre significatif diffère24 ? L’histoire n’est pas encore écrite et il appartient désormais à la jurisprudence d’œuvrer pour son analyse.

Il reste que l’équilibre contrôlé est celui généré par les clauses dites « accessoires » du contrat et ne saurait restaurer de manière détournée un contrôle de l’équilibre financier du contrat, équilibre in valorem associé à la lésion ou à l’imprévision.

D – La restauration de l’équilibre disparu

Beaucoup plus novateur, en revanche, est le contrôle de l’équilibre contractuel non pas au stade de sa formation mais en cours d’exécution. Rompant avec une jurisprudence séculaire, la réforme décide d’imposer une obligation de renégociation ou d’ouvrir droit à une adaptation judiciaire25. Le nouvel article 1195 prévoit qu’en cas de changement imprévisible de circonstances rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse, les parties puis le juge soient autorisés à en poursuivre la révision ou la cessation. Désormais, « le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

À l’indifférence de principe, on oppose à présent un traitement du déséquilibre survenu en cours d’exécution à la suite d’un changement des circonstances ayant présidées à la conclusion du contrat. Il ne s’agit dès lors pas de réécrire le contrat, ex nihilo, mais de rétablir l’équilibre, tel que dessiné par les contractants, et rompu par la suite. Le déséquilibre contractuel appréhendé provient d’une modification des données externes au contrat, tels une augmentation du coût des matières premières, une évolution des cours, des taux d’intérêt ou du coût de la main d’œuvre, etc., dont les risques n’ont pas été assumés conventionnellement par l’une des parties.

Le juge est ainsi appelé à prendre en compte l’évolution des circonstances indépendantes de la volonté des parties qui seraient de nature à déséquilibrer l’économie générale du contrat ou à priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit. Même si les juges se fonderont sur l’équilibre initial et la volonté des parties, le rééquilibrage est bien réel. Ce nouveau souffle dans le combat mené en faveur de l’équilibre contractuel ne peut qu’être loué et encouragé. Au final, les remèdes au déséquilibre contractuel, bien présents dans la réforme du droit des contrats, ne demandent qu’à s’épanouir. Sublimés par la lettre et l’esprit de la réforme, ces nouveaux atouts sont désormais entre les mains des contractants eux-mêmes.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le Gac-Pech S., « Vers un avènement (ou simple glose de l’article 8 de la loi du 16 février 2015) », LPA 29 avr. 2015, p. 8 ; Barbier H., « La violence par abus de dépendance », JCP G 2016, 421.
  • 2.
    Revet T., « Une philosophie générale ? », RDC 2016, n° 112y5, p. 5, hors-série ; Moury J., « La détermination du prix dans le “nouveau” droit commun des contrats », D. 2016, p. 1013.
  • 3.
    Le Gac-Pech S., « Bâtir un droit des contractants vulnérables », RTD civ. 2014, p. 581 et s ; Loiseau G., « La vulnérabilité en droit commun », in Les droits du contractant vulnérable, 2016, Larcier, p. 125 et s.
  • 4.
    Dondero B., « La réforme du droit des contrats, ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », JCP E 2016, 1283, spéc. n° 17.
  • 5.
    Le Gac-Pech S., « De la personne au contractant vulnérable », in Les droits du contractant vulnérable, op. cit., p. 11 et s.
  • 6.
    Jourdain P., « Le devoir de se renseigner », D. 1983, chron., p. 139 ; Rudden B., « Le juste et l’inefficace : pour un non-devoir de renseignements », RTD civ. 1985, p. 91 ; Le Gac-Pech S., « Réticence dolosive et violation d’une obligation précontractuelle d’information : un dispositif insuffisamment protecteur du consommateur », note sous Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, n° 15-13064 : JCP E 2016, 1403.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11381 : Defrénois 15 oct. 2000, p. 1110, obs. Delebecque P. et Mazeaud D. ; JCP 2000, I, 272, obs. Loiseau G. et JCP 2000, II, 10510, obs. Jamin C. ; D. 2002, somm., p. 928, obs. Tournafond O.
  • 8.
    Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-11684 : JCP E 2016, act. 494, obs. Brignon B.
  • 9.
    Le Gac-Pech S., « L’obligation d’information : omniprésente, mais en mal de reconnaissance ? », RLDC oct. 2012, p. 87 ; Grimaldi C., « Quand une obligation d’information en cache une autre : inquiétudes à l’horizon… », D. 2016, p. 1009.
  • 10.
    Barbier H., art. préc. ; sur les différentes variétés de vice de violence, Ghestin J., Loiseau G. et Sérinet Y.-M., « La formation du contrat », in Ghestin J. (dir.), Traité de droit civil, 4e éd., 2013, LGDJ, n° 1505.
  • 11.
    Sur la distinction entre le fait de provoquer ou d’exploiter l’ignorance de son cocontractant, contrainte « provoquée ou exploitée », Chénedé F., « L’équilibre contractuel dans le projet de réforme », RDC 2015, n° 111y8, p. 655 et s.
  • 12.
    Tous les textes consacrant le vice d’abus de faiblesse exigent un déséquilibre important du contenu du contrat pour caractériser le vice source de nullité. Il est tantôt question de « disproportion flagrante » (BGB, § 138), de disproportion importante (C. civ. québécois, art. 1406), d’avantage déloyal (PDEC, art. 4 , 109), d’avantages patrimoniaux manifestement disproportionnés (Code Gandolfi, art. 30, 3°).
  • 13.
    Sur ce syncrétisme, Barbier H., art. préc.
  • 14.
    Chénedé F., art. préc.
  • 15.
    Ibid.
  • 16.
    Sur cette jurisprudence, v. Terré F. et Lequette Y., Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. II, 12e éd., 2008, Dalloz, n° 157, spéc. n° 4-5.
  • 17.
    Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632.
  • 18.
    Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-26412, D : RDC 2014, p. 176, obs. Genicon T.
  • 19.
    Pour une réflexion sur le projet, RDC 2015, n° 112e8, p. 759, obs. Delebecque P.
  • 20.
    Le Gac-Pech S., « Le contrôle de l’équilibre contractuel : législation schizophrène ou dispositif équilibré ? », LPA 24 sept. 2015, p. 14.
  • 21.
    Sur cette question, Delebecque P., Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse, 1981, Aix-en-Provence, n° 135-279 ; Le Gac-Pech S., La proportionnalité en droit privé des contrats, 2000, LGDJ, nos 305 et s., spéc. n° 308, p. 126.
  • 22.
    Le Gac-Pech S., loc. cit., nos 270 et s.
  • 23.
    C. consom., art. L. 212-1 dans sa rédaction issue de Ord. n° 2016-301, 14 mars 2016 ; C. com., art. L. 642-1, 2°.
  • 24.
    V. l’analyse de Béhar-Touchais M., « Le déséquilibre significatif dans le Code civil », JCP G 2016, 391.
  • 25.
    Molfessis N., « Le rôle du juge en cas d’imprévision dans la réforme du droit des contrats », JCP G 2015, 1415 : « Lorsque le juge se voit accorder un pouvoir de révision qui vise à restaurer l’équilibre voulu par les parties, que les circonstances extérieures ont remis en cause, il contribue à servir le contrat. Il en assure également la pérennité, là où la résiliation n’a assurément pas d’intérêt économique » ; Picod Y., « L’imprévision contractuelle », in La réforme du droit des contrats, 2015, Presses univ. Montpellier, p. 165 ; Stoffel-Munck P., « L’imprévision et la réforme des effets du contrat », RDC 2016, n° 112z5, p. 30 et s., hors-série.