Qui sait conclure sa convention d’assistance bénévole connaît le chemin de l’indemnisation…
Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation poursuit sa série d’arrêts en matière de convention d’assistance bénévole et décide, cette fois, que ce contrat peut être formé aussi bien par une aide spontanée que par une aide sollicitée.
Cass. 1re civ., 18 janv. 2023, no 20-18114
Pour cueillir des pommes dans son verger en 2010, le gérant d’une société sollicite de l’aide auprès de son salarié. Ensemble, ils utilisent une nacelle attachée à l’extrémité d’une grue. Or cette nacelle se décroche et l’assistant comme l’assisté sont blessés.
L’assistant et certains de ses proches assignent en justice l’assisté afin d’être indemnisés de leurs différents préjudices. Ils fondent cette demande sur la notoire convention d’assistance bénévole. La cour d’appel les déboute au motif que cette convention n’a pas été conclue : l’assistant n’avait pas offert son aide mais avait été contraint par son employeur de l’aider. Il résulte donc, selon les juges du fond, que l’autorité de l’assisté sur l’assistant « est exclusive de la rencontre entre une offre et une acceptation »1. Plusieurs pourvois en cassation sont formés ; cependant, en raison de déchéances, seul celui de l’un des proches de l’assistant est examiné par la Cour de cassation. En substance, le demandeur fait grief à la cour d’appel d’avoir refusé l’indemnisation étant donné qu’une convention d’assistance bénévole peut être formée à partir d’une offre qui émane soit de l’assisté soit de l’assistant.
Sans aucune surprise, la première chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Au visa de l’ancien article 1101 du Code civil, elle énonce que la convention d’assistance bénévole peut être formée tant par une aide spontanée que par une aide sollicitée. En décidant l’inverse, les juges du fond ont violé l’article visé. Dans cet arrêt, la Cour régulatrice applique encore et toujours la logique contractuelle à l’assistance bénévole (I) ce qui exclut, en conséquence, tout recours à la gestion d’affaires (II).
I – La logique contractuelle de l’assistance bénévole
La première chambre civile décide que la convention d’assistance bénévole peut être formée par une aide, ou bien spontanée de l’assistant, ou bien sollicitée par l’assisté. Par conséquent, elle réaffirme l’existence de ce contrat dénoncé par la doctrine et lui applique une parfaite logique contractuelle.
La convention d’assistance bénévole est l’un des contrats fictifs les plus connus du droit français. Apparue en 19592, elle a depuis été très fréquemment utilisée pour régir des situations dans lesquelles une personne, l’assistant, se blesse en apportant son aide à une autre, l’assisté. Les décisions furent nombreuses dans la seconde moitié du XXe siècle, étant donné que tout le régime de cette convention devait être bâti. Cependant, au début des années 2000, on a pu constater une raréfaction d’arrêt rendu par la Cour de cassation relatif à la convention d’assistance bénévole. Néanmoins, depuis deux ans, l’on se croirait revenu cinquante ans en arrière, étant donné qu’il est possible de compter, pour la première chambre civile et au sein du Bulletin, trois arrêts qui statuent sur cette convention3. Or celle-ci, ou plutôt son caractère fictif, a été maintes fois dénoncé par la doctrine4. Deux raisons sont justement avancées. En premier lieu, l’assisté et l’assistant n’ont pas l’intention de s’obliger5. Les juges reconnaissent un contrat alors que les parties n’ont aucune intention de soumettre leur accord à la contrainte du droit. Il s’ensuit alors une déformation du concept de contrat étant donné que celui-ci exige cette intention6. En second lieu, l’assisté n’est parfois pas conscient lorsque l’assistant lui apporte son aide7. Par conséquent, il ne peut émettre aucune volonté. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation inventa le concept d’offre formulée dans l’intérêt exclusif de son destinataire, concept qui fut critiqué à bien des égards8.
Peut-on s’étonner de l’utilisation toujours actuelle de la convention d’assistance bénévole par la Cour de cassation ? Dans notre arrêt précisément, la réponse est affirmative. De deux choses l’une : dans les arrêts rendus en 2021 et 2022, la qualification de convention d’assistance bénévole n’était pas discutée par les demandeurs au pourvoi. Dès lors, la première chambre civile ne pouvait normalement pas condamner ce contrat fictif : il s’agissait de problèmes de régime, pas de nature. En revanche, dans cet arrêt rendu le 18 janvier 2023, l’existence de la convention était bien contestée. Il n’aurait pas été incongru que la première chambre civile décide finalement d’abandonner la nature contractuelle de l’assistance bénévole. Ce ne fut toutefois pas son choix.
À suivre la nature contractuelle posée par la première chambre civile s’agissant de l’assistance bénévole, il faut alors logiquement lui appliquer le régime contractuel. Le contrat se formant par la rencontre d’une offre et d’une acceptation9, la convention d’assistance bénévole obéit au même schéma. L’offre d’assistance bénévole, comme toute offre, peut émaner aussi bien de l’assistant que de l’assisté. De surcroît, il n’était pas exact d’affirmer que le rapport d’autorité de l’assisté sur l’assistant est exclusif de la formation d’un contrat. Fréquents sont les contrats qui sont conclus entre des parties dont l’une d’elles est soumise à l’autorité, de fait ou de droit, de l’autre. La cassation se comprend aisément. Les juges du fond, en décidant que la convention d’assistance bénévole se forme seulement par une aide spontanée de l’assistant, donc par la seule offre de celui-ci, ont ajouté à l’article 1101 du Code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, une condition qu’il ne comportait pas. Si l’on admet que l’assistance bénévole possède une nature contractuelle, alors il faut lui appliquer le régime contractuel. Cela démontre alors qu’il serait impossible d’utiliser, en l’absence de cette convention, la gestion d’affaires.
II – L’impossible utilisation de la gestion d’affaires
En admettant que la convention d’assistance bénévole se forme soit par une aide spontanée de l’assistant soit par une aide sollicitée par l’assisté, la première chambre civile de la Cour de cassation met en exergue l’intérêt de ce contrat fictif à l’égard de la gestion d’affaires.
Des auteurs estiment que la gestion d’affaires serait le mécanisme adéquat pour régir l’assistance bénévole10 : lorsque l’assistant vient en aide à l’assisté, il gère ses affaires. Néanmoins, cette analyse ne peut pas prospérer à la lumière de l’arrêt rendu le 18 janvier 2023. Dans la gestion d’affaires, l’acte de gestion accompli par le gérant doit être spontané11. Si le maître sollicite cet acte, alors il se forme entre eux un contrat de mandat12. Dès lors, si la convention d’assistance bénévole finit par disparaître, la gestion d’affaires ne pourra intervenir que dans les hypothèses où l’assistant fournit, de lui-même, son aide. Autrement, c’est-à-dire quand l’assisté demandera le coup de main, il sera impossible d’invoquer ce quasi-contrat. Il ne restera alors que la responsabilité civile extracontractuelle, mécanisme qui est d’ailleurs privilégié par le projet de réforme de la responsabilité civile présenté en mars 2017. Son article 1233-1 énonce que les préjudices corporels seront exclusivement réparés sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle, sauf stipulations expresses plus favorables à la victime.
En définitive, la convention d’assistance bénévole reste, encore aujourd’hui, le mécanisme idoine pour indemniser l’assistant qui se blesse en aidant son prochain. Son remplacement par la gestion d’affaires, et même par un quasi-contrat spécifique13, n’est pas encore d’actualité.
Notes de bas de pages
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1.
CA Nancy, 26 mai 2020, n° 18/02734.
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2.
Cass. 1re civ., 27 mai 1959, n° 57-12126, Servouse c/ Motillon : Bull. civ. I, n° 271 ; D. 1959, Jur., p. 524, note R. Savatier ; JCP G 1959, II 11187, note P. Esmein ; RTD civ. 1959, p. 735, obs. H. Mazeaud et L. Mazeaud.
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3.
Cass. 1re civ., 5 mai 2021, n° 19-20579 : Bull. civ. I ; D. 2021, Jur., p. 1803, note D. Galbois-Lehalle ; JCP G 2021, 539, note P. Oudot ; JCP G 2021, 606, note Y.-M. Serinet ; GPL 6 juill. 2021, n° GPL423t3, note A. Stevignon ; GPL 21 sept. 2021, n° GPL425y6, obs. V. Mazeaud ; RTD civ. 2021, p. 653, obs. P. Jourdain ; Contrats, conc. consom. 2021, comm. 111, note L. Leveneur ; RDC sept. 2021, n° RDC200e1, note J. Knetsch ; Resp. civ. et assur. 2021, comm. 140, note C. Radé ; LEDC juin 2021, n° DCO200e4, obs. O. Robin-Sabard – Cass. 1re civ., 5 janv. 2022, n° 20-20331 : Bull. civ. I ; D. 2022, Jur., p. 740, note P. Gaiardo ; Contrats, conc. consom. 2022, comm. 41, note L. Leveneur ; RDC sept. 2022, n° RDC200u4, note S. Pellet ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 65, note S. Hocquet-Berg ; LEDC févr. 2022, n° DCO200p2, obs. O. Robin-Sabard ; LEDA févr. 2022, n° DAS200m5, obs. T. Douville – Cass. 1re civ., 18 janv. 2023, n° 20-18114 : Bull. civ.
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4.
Pour un exemple récent, v. P. Gaiardo, note ss Cass. 1re civ., 5 janv. 2022, n° 20-20331 : D. 2022, Jur., p. 742.
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5.
En ce sens : J. Knetsch, « Quand le déménagement entre amis tourne mal : la convention d’assistance bénévole et l’obligation in solidum », RDC sept. 2021, n° RDC200e1.
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6.
En ce sens : P. Ancel, « Sur une approche nominaliste du contrat », in Liber amicorum. Mélanges en l’honneur de François Collard Dutilleul, 2017, Dalloz, p. 19.
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7.
L’exemple le plus célèbre est celui d’une personne qui gît sans connaissance près de son vélomoteur (Cass. 1re civ., 1er déc. 1969, n° 68-12140 : Bull. civ. I, n° 375 ; D. 1970, Jur., p. 422, note M. Puech ; JCP G 1970, II 16445, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1971, p. 164, obs. G. Durry).
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8.
R. Bout, « La convention d’assistance », in Études offertes à Pierre Kayser, 1979, PUAM, p. 182, n° 26.
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9.
V., avant la réforme, Cass. civ., 15 nov. 1926 : Gaz. Pal. Rec. 1927, 1, jur., p. 122 : « Tout contrat exige essentiellement le concours de deux ou plusieurs déclarations de volonté se manifestant, d’un côté, par une offre ou proposition et, de l’autre, par son acceptation ».
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10.
En ce sens : R. Bout, « La convention d’assistance », in Études offertes à Pierre Kayser, 1979, PUAM, p. 183, n° 26 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. Responsabilité civile et quasi-contrats, t. 2, 5e éd., 2021, PUF, p. 612-613, n° 585 – T. Genicon, note ss Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-23530 : RDC mars 2014, n° RDC110d0.
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11.
Le gérant doit agir « à l’insu ou sans opposition du maître » (C. civ., art. 1301).
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12.
En ce sens : L. Aynès, P. Malaurie et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 12e éd., 2022, LGDJ, p. 604, n° 665 in fine, EAN : 9782275095547 ; A. Bénabent, Droit des obligations, 19e éd., 2021, LGDJ, p. 368, n° 455, EAN : 9782275090375.
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13.
Pour une proposition d’un quasi-contrat spécifique d’assistance, v. P. Le Tourneau, Rép. civ. Dalloz, vo Quasi-contrat, 2021, n° 66 ; A. Montas, Le quasi-contrat d’assistance. Essai sur le droit maritime comme source de droit, 2007, LGDJ, Thèses, préf. Y. Tassel, p. 341 et s., EAN : 9782275032207.
Référence : AJU007t3