Réparation du vice caché par un tiers : l’acquéreur fondé à engager une action estimatoire à l’encontre du vendeur
La réparation du vice caché par un tiers ne prive pas l’acquéreur de la possibilité d’intenter une action estimatoire à l’encontre de son vendeur.
Cass. 3e civ., 8 févr. 2023, no 22-10743
Est-il encore possible, pour un acquéreur, d’engager une action en garantie des vices cachés lorsque le vice a disparu ? Si l’on est tenté de répondre par la négative, tout dépend en réalité de la personne qui a procédé à la réparation du vice. Tel est l’enseignement qui nous est donné par la Cour de cassation dans cet arrêt rendu le 8 février 2023.
En l’espèce, un particulier acquiert la propriété d’un appartement dans un immeuble en copropriété par acte authentique en date du 9 mars 2016.
Un an plus tard, la préfecture met en œuvre une procédure de péril ordinaire concernant cet immeuble. L’acquéreur fait, par ailleurs, constater par huissier des désordres dus à la présence d’insectes xylophages affectant les planchers hauts et bas de l’appartement.
S’estimant lésé, l’acquéreur assigne son vendeur aux fins d’obtenir, sur le fondement de la garantie des vices cachés, la réduction du prix de vente et l’obtention de dommages-intérêts.
Si aucune indication temporelle n’est donnée, l’on apprend cependant que les vices ont été réparés par le syndicat de copropriété. Compte tenu de cet élément, la demande de l’acheteur en restitution du prix est rejetée par la cour d’appel de Paris qui juge que le vice a disparu du fait de sa réparation par le syndicat de copropriété et qu’il importe peu que cette réparation n’ait pas été effectuée par le vendeur, mais par la copropriété.
L’acheteur forme alors un pourvoi en cassation en estimant que seule la réparation de la chose par le vendeur, non par un tiers, acceptée par l’acquéreur et qui fait disparaître le vice caché empêche l’acheteur d’exercer l’action rédhibitoire ou estimatoire. En d’autres termes, le vendeur faisait valoir que si la réparation était effectuée par un tiers, la mise en œuvre de la garantie des vices cachés, à l’encontre de son vendeur, restait encore possible.
Se posait dès lors la question de savoir si la réparation effectuée par un tiers et qui met fin au vice est susceptible de priver l’acheteur de sa possibilité d’engager une action en garantie des vices cachés contre son vendeur. La Cour de cassation répond par la négative et, aux termes d’une motivation enrichie, nous livre, au visa des articles 1641 et 1644 du Code civil, un véritable cours de droit sur la garantie des vices cachés.
La solution sera reprise intégralement dans les lignes suivantes.
« Aux termes du premier de ces textes, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connus.
Selon le second, dans ce cas, l’acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
En application de ces textes, il est jugé que l’acheteur d’une chose comportant un vice caché qui accepte que le vendeur procède à la remise en état de ce bien ne peut plus invoquer l’action en garantie dès lors que le vice originaire a disparu[1].
L’acquéreur, qui a seul le choix des actions prévues par la loi en cas de mise en jeu de la garantie du vendeur pour vice caché, peut accepter que celui-ci procède, par une remise en état à ses frais, à une réparation en nature qui fait disparaître le vice et rétablit l’équilibre contractuel voulu par les parties ».
L’article 1644 du Code civil permet à l’acheteur, en cas de vice caché, de choisir entre rendre la chose et obtenir la restitution intégrale du prix (action rédhibitoire), ou garder la chose et obtenir la restitution partielle du prix (action estimatoire).
Une troisième option existe également qui est celle soit, pour le vendeur, de proposer soit, pour l’acquéreur, de demander la réparation ou le remplacement du bien.
En effet, dans certains cas, l’acheteur préférera choisir cette option ; dans d’autres, il peut être plus avantageux pour le vendeur de proposer la réparation ou le remplacement du bien. Il reste cependant impossible pour le vendeur d’imposer cette troisième solution, l’acheteur conservant une totale liberté quant au choix de l’action.
En revanche, si l’acheteur a accepté la réparation et que le vendeur met effectivement fin au vice, l’acheteur ne peut plus invoquer l’action en garantie. Cette règle a été posée par un arrêt de 2011 rendu en la matière2. Ceci se comprend dans la mesure où, à partir du moment où le vice originaire a disparu, l’action en garantie perd son intérêt. Sur ces points de droit, la Cour de cassation reprend clairement, dans sa motivation, les règles applicables ainsi que cette jurisprudence de 2011 qu’elle cite en référence.
Bien que très scolaire, ce rappel des règles est néanmoins intéressant car il permet de bien mettre en perspective la situation classique confrontant un vendeur à son acheteur et la situation dans laquelle intervient un tiers, en l’occurrence, ici, un syndicat de copropriétaires.
Jusqu’alors, la question de savoir si la réparation du vice caché par un tiers pouvait avoir une incidence sur l’action en garantie des vices cachés restait sans réponse. Cette décision permet ainsi d’apporter un éclairage sur des situations qui peuvent très souvent se produire en pratique, notamment dans des immeubles où la copropriété est gérée par un syndicat et où celui-ci décide d’intervenir en lieu et place du vendeur.
La réponse, donnée par la Cour de cassation, à la question de savoir si la réparation effectuée par un tiers et ayant mis fin au vice empêche ou non l’action estimatoire engagée à l’encontre du vendeur est claire. La solution posée en 2011 « ne peut pas être étendue à la réparation du vice caché par un tiers, laquelle, n’ayant pas d’incidence sur les rapports contractuels entre l’acquéreur et le vendeur, ne peut supprimer l’action estimatoire permettant à l’acquéreur d’obtenir la restitution du prix à hauteur du coût des travaux mis à sa charge pour remédier au vice ». L’acheteur peut donc valablement engager une action estimatoire à l’encontre de son vendeur alors même que le vice a disparu.
D’un côté, l’on peut se demander si une telle solution n’est pas trop sévère. En effet, si le vice a disparu, est-il encore justifié d’engager une action estimatoire ? D’autant qu’il est toujours possible pour l’acquéreur de solliciter l’indemnisation du préjudice éventuellement subi de fait de ce vice. La disparition du vice n’efface pas automatiquement les préjudices découlant du fait de ce vice. Il s’agit de deux choses différentes.
Par ailleurs, il n’est pas rare de voir, en pratique, les syndicats de copropriétaires intervenir et résoudre ce type de désordres, notamment lorsque ceux-ci affectent également les parties communes – ce qui semblait être le cas en l’espèce. Dès lors, ne serait-il pas plus pragmatique de considérer qu’à partir du moment où le vice a disparu, peu importe la personne qui y a mis fin, il n’y a tout simplement plus d’intérêt à former une action en garantie des vices cachés ?
D’un autre côté, il est également délicat de permettre à un vendeur de se dédouaner de la sorte. D’un point de vue légal, il serait faux d’affirmer que l’identité de la personne ayant mis fin au vice n’a aucune importance. C’est en principe au vendeur de garantir à l’acquéreur l’intégrité du bien et non au tiers. Le fait que le tiers répare le vice permet effectivement de rétablir la jouissance paisible, mais n’efface pas la garantie dont est redevable légalement le vendeur. Un tiers au contrat ne peut devenir partie au contrat de cette manière et se substituer aux obligations du vendeur. Au fond, cette règle de droit est classique et le raisonnement de la Cour de cassation logique d’un point de vue théorique.
Néanmoins, l’on notera que si cette solution semble a priori écarter toute approche pragmatique, la Cour de cassation indexe ici la réduction du prix au « coût des travaux mis à [la charge du tiers] pour remédier au vice ». Tout raisonnement pratique n’est donc pas totalement écarté.
Référence : AJU008h2