Sécurité juridique et conclusion d’un contrat en viager : un équilibre quelquefois délicat
À l’heure de l’allongement de la durée de vie et de la nécessité de financer la dépendance, le viager retrouve de l’attractivité. Pourtant ce mode de transmission de patrimoine n’a pas toujours bénéficié d’une image positive. Les viagers interminables dans le cadre desquels les héritiers du crédit-preneur, doivent après son décès continuer de verser la rente due au crédit-rentier popularisés au cinéma avec le film Le Viager de Pierre Tchernia ou dans la presse avec l’appartement de la doyenne des Français, Jeanne Calment, vendu en viager à un notaire d’Arles ont contribué à cette mauvaise presse. Cette perception est en train de changer.
Une opération patrimoniale
Toute personne capable juridiquement peut vendre ou acheter un logement en viager. Le principe du viager est simple. Il consiste à vendre un bien immobilier à une personne, le crédit-preneur, qui verse en échange une rente viagère au vendeur, le crédit-rentier, jusqu’à son décès lequel est imprévisible. Le prix est généralement constitué d’une somme versée le jour de la vente appelée le bouquet et d’une rente viagère que le vendeur perçoit jusqu’à son décès. Le bouquet est la partie du prix payée comptant à la signature du contrat de vente. Le bouquet n’est pas obligatoire. Il est librement fixé par les parties et il équivaut, en général, à 30 % de la valeur totale du bien. La valeur totale de la rente est incertaine, car elle dépend de la durée de vie du vendeur. Son montant est estimé en fonction de plusieurs critères parmi lesquels, l’âge et l’espérance de vie du crédit-rentier, la valeur du bien et les loyers que pourrait percevoir le crédit-rentier si le logement était loué. La rente viagère peut être versée à une ou plusieurs personnes physiques. Dans ce dernier cas, une rente est versée à chacun des vendeurs (époux ou indivisaires). En cas de décès de l’un des bénéficiaires, la rente s’éteint sauf si une réversion est prévue au bénéfice d’un membre de la famille du défunt. Dans ce cas, le paiement de la rente se poursuit et le bénéficiaire est exonéré de droits de succession sur les versements. Elle peut également être réduite proportionnellement. La rente est mensuelle, trimestrielle ou annuelle, payable d’avance ou à terme échu. Les parties peuvent insérer dans l’acte de vente une clause d’indexation permettant la révision automatique du montant de la rente suivant, par exemple, un indice publié par l’Insee. Pour assurer la sécurité du paiement des rentes, le crédit-rentier peut notamment inscrire dans l’acte de vente une clause résolutoire qui l’autorise à reprendre son bien si plusieurs rentes ne sont plus versées par l’acquéreur, une clause pénale lui permettant de se réserver le droit de conserver le bouquet, le cas échéant, en cas de résiliation du contrat de vente (Cass 3e civ., 10 nov. 1992, n° 90-21417). Si ce dernier décède avant le vendeur, ses héritiers doivent poursuivre le paiement de la rente. Le bien intègre alors l’actif successoral.
Attention aux risques de remise en cause
Pour l’acheteur, l’achat en viager permet d’acquérir un bien à un prix généralement inférieur au prix du marché. Pour le vendeur, cette opération patrimoniale lui permet de rester dans son logement, tout en bénéficiant de revenus confortables et de réduire ses charges, même si la répartition entre le vendeur et l’acheteur du paiement des charges du bien vendu diffère selon le type de viager ou les clauses du contrat de vente. Le prix de vente est librement fixé entre l’acheteur et le vendeur, sans pouvoir dépasser la différence entre la valeur vénale du bien, c’est-à-dire sa valeur du marché, et la valeur du bien occupé, déterminé par des barèmes en fonction notamment de l’âge du vendeur (Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-18226). L’âge du vendeur constitue une donnée importante dans cette opération, car plus le vendeur sera jeune, plus le risque que le bien soit plus cher à terme est grand. En revanche, les rentes viagères étant imposées pour une partie, en décroissance par rapport à l’âge du vendeur, ce dernier n’a pas intérêt à vendre trop tôt. Un prix trop faible peut être remis en cause par des héritiers du crédit-rentier par exemple mais également par l’administration fiscale au motif que le contrat constitue en réalité une donation masquée, ce qui est un facteur majeur d’insécurité juridique pour l’acquéreur. L’administration fiscale peut vérifier l’existence d’une contrepartie réelle au contrat pour le crédit-rentier. Elle s’assure aussi que les différents paiements ne sont pas en réalité pris en charge par ce dernier, en s’intéressant aux flux monétaires entre les différentes parties. Elle vérifie également la présence d’un prix de vente sérieux qu’elle apprécie en comparant le montant de la rente et les revenus de l’immeuble. Une simple obligation de soin et d’entretien par exemple ne saurait constituer la juste contrepartie de la cession d’un bien immobilier de valeur. L’administration fiscale a en effet la possibilité sur le fondement de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF) d’écarter le contrat de viager au motif qu’il a un caractère fictif ou qu’il recherche le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n’a pu être inspiré par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait dû normalement supporter. Les remises en cause de vente en viager sur ce fondement sont récurrentes dans des montages manifestement abusifs généralement conclus entre des proches et masquant des donations.
Un pari sur l’avenir
La vente peut se faire en viager libre ou occupé. Dans le cas du viager libre, dès la signature de la vente, l’acquéreur dispose librement du bien pour l’occuper ou le louer et percevoir les loyers. Dans le cas du viager occupé, le vendeur conserve toute sa vie l’usufruit ou un droit d’usage du bien vendu. L’usufruit lui permet d’habiter dans le logement ou de le louer et de percevoir les loyers. Un droit d’usage lui permet de conserver l’usage personnel du logement en y habitant sans pouvoir le louer. Le logement pourra être occupé par l’acquéreur à partir du décès du vendeur ou du dernier survivant lorsque le contrat concerne plusieurs vendeurs. La particularité du viager réside dans son caractère aléatoire qui doit exister au moment de la conclusion du contrat (Cass. 3e civ., 4 juill. 2007, n° 06-14122). Cet aléa correspond à la durée qui reste à vivre au vendeur, le crédit-rentier. Le débit-rentier ne connaît donc pas à l’avance le terme auquel cessera son obligation de verser la rente prévue. Le décès futur du crédit-rentier doit donc être imprévisible. Ainsi, l’acquéreur ne doit pas avoir eu connaissance d’une maladie dont était atteint le vendeur au moment de la signature de l’acte de vente (Cass. 3e civ., 2 février 2000, n° 98-10714). De même, si le vendeur décède dans les 20 jours qui suivent la signature de l’acte de vente, le législateur considère que l’événement était prévisible et que la vente n’est pas valable. En revanche, le grand âge d’un vendeur ne supprime pas à lui seul la notion d’aléa.
Répartition des charges
Entretien, travaux, impôts… la répartition entre le vendeur et l’acheteur du paiement des charges du bien vendu diffère selon le type de viager ou les clauses du contrat de vente. Dans le cas d’un viager vendu occupé avec usufruit. En l’absence de précision dans l’acte de vente, trois types de charges sont payées par le vendeur : les réparations et les charges d’entretien courant du logement sauf si le vendeur libère totalement le bien vendu, les taxes d’habitation, foncière et d’enlèvement des ordures ménagères ainsi que les factures d’énergie. En revanche, les grosses réparations sont prises en charge par l’acheteur. Si le bien est vendu en viager libre, les charges (factures d’énergie, taxes, impôts…), l’entretien courant et toutes les réparations sont à la charge de l’acheteur. La taxe foncière est également à la charge de l’acheteur qui en est redevable. En matière de fiscalité, les rentes viagères sont soumises à l’impôt sur le revenu pour une fraction de leur montant, comprise entre 30 et 70 % et décroissante avec l’âge du vendeur. En matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), pour un viager occupé, le vendeur doit intégrer la valeur d’occupation du bien s’il continue de l’habiter. De son côté, l’acheteur doit intégrer à l’assiette de cet impôt la valeur du bien, déduction faite de la valeur d’occupation par le vendeur. En cas de viager libre, l’IFI sera assis donc sur l’intégralité de la valeur du bien qui doit être déclarée. En contrepartie, l’acheteur a la possibilité d’inscrire au passif de son IFI la valeur capitalisée de la rente qu’il verse à son vendeur. Si le vendeur réalise une plus-value, celle-ci est taxable sauf dans le cas de la vente en viager d’une résidence principale. Pour calculer, le prix de vente et le prix de revient, il convient de prendre en compte le montant de la rente. Pour le vendeur, le prix de vente retenu correspond au montant du bouquet augmenté de la valeur en capital de la rente perçue. Pour l’acquéreur, le calcul du prix de revient du bien acquis en viager consiste à additionner le montant du bouquet, les rentes versées jusqu’à la vente et le capital correspondant aux rentes à payer si le vendeur n’est pas décédé. Les droits de mutation et frais de notaire sont calculés selon les mêmes taux que pour une vente classique. L’assiette pour le calcul des droits correspond alors au montant du bouquet augmenté de la valeur capitalisée des rentes dues.
Référence : AJU001j7