Accession et concubinage… ne font pas bon ménage

Publié le 22/06/2017

Par cet arrêt, la Cour de cassation réitère une décision en apparence conforme à l’esprit de la règle de l’accession immobilière. Pourtant, l’application de l’article 555 du Code civil aux concubins est non seulement incompatible avec les idées qui sont à son fondement mais elle engendre, en outre, une dénaturation des modes de calcul qu’offre ce texte. Ce commentaire se présente alors comme l’occasion de soulever la question, redondante, du statut juridique des concubins et de l’inadaptation du droit commun à cette forme particulière de conjugalité.

Cass. 3e civ., 16 mars 2016, no 15-12384

La Cour de cassation a admis, une nouvelle fois, l’application de l’article 555 du Code civil aux concubins1. Ce faisant, elle réitère une solution qui déforme la règle sur laquelle elle se fonde. Si l’arrêt du 16 mars dernier ne semble, a priori, apporter aucun éclairage nouveau sur l’indemnisation en cas d’accession immobilière artificielle entre concubins, cette décision apporte en réalité une nouvelle précision quant aux conditions d’application de la règle. L’arrêt offre ainsi une occasion de s’intéresser à la pertinence de l’application du droit commun des biens aux concubins.

Les faits étaient ici très classiques : un couple avait contracté une série d’emprunts afin de financer la construction d’un immeuble sur le terrain de l’un des concubins, lequel en était donc devenu propriétaire, par application de la règle superficies solo cedit2. À la rupture du couple, les parties, avec beaucoup de bon sens, s’accordèrent pour ne faire supporter le reste du prêt qu’à la seule concubine propriétaire. Mais quid alors des sommes précédemment remboursées ?

C’est sur ce point que l’ex-concubin a assigné la propriétaire en indemnisation des travaux de construction sur le fondement de l’article 555 du Code civil. La cour d’appel de Rennes a alors accueilli cette demande en lui accordant le remboursement des sommes qu’il avait versées au titre du remboursement des emprunts. La Cour de cassation, réitérant sa position antérieure, valide cette décision – bien que l’arrêt d’appel ait été ensuite censuré sur un autre point dont il n’est pas question ici. Dans un attendu aux termes généraux et connus, la haute juridiction prend le soin de préciser, en réponse au pourvoi, que « l’indemnisation de celui qui a concouru à la construction d’ouvrage sur le terrain d’autrui (…) n’est pas subordonnée au caractère exclusif de sa participation ». Cet ajout3 invite à s’intéresser aux modes de calcul du remboursement ici mis en œuvre car il semblerait que l’indemnité à laquelle aboutit cet arrêt ne corresponde pas aux prévisions du texte. La règle en ressort ainsi défigurée.

La philosophie qui sous-tend les règles d’indemnisation en cas d’accession immobilière est fondée théoriquement sur une recherche d’équité ; il s’agit alors de rétablir un équilibre et l’arrêt du 16 mars dernier semble, en apparence, s’y conformer (I). La règle de l’article 555 repose encore sur la technique de la dette de valeur et offre au propriétaire un choix dans l’indemnisation du constructeur : plus-value et coût des matériaux et de la main-d’œuvre au jour du remboursement. Ce sont ces modalités particulières de calcul de l’indemnité que la Cour de cassation tend ici à faire disparaître en adaptant le texte à une situation qui n’entrait pas naturellement dans son champ d’application (II).

I – Une apparente conformité à l’esprit de la règle

En admettant le remboursement des sommes que l’ex-concubin avait investies dans la construction, la Cour de cassation vise ici à rétablir un équilibre. Le rapprochement entre le droit à indemnisation issu de l’accession immobilière d’un côté et le mécanisme de l’enrichissement injustifié de l’autre est globalement accepté aujourd’hui4. La solution n’est d’ailleurs pas nouvelle et est accueillie par la doctrine avec une certaine bienveillance5. Les deux mécanismes reposeraient donc sur un égal fondement : la poursuite d’une justice distributive. Il s’agit alors de mettre en balance deux intérêts contraires. L’opposition entre propriétaire et constructeur de l’article 555 est plus volontiers présentée aujourd’hui comme un conflit entre le propriétaire et le tiers, entendu au seul regard du droit de propriété6. Ne sont donc exclus du champ d’application de l’accession que ceux qui partagent un droit de propriété sur le bien concerné. En d’autres termes, les règles de l’accession n’ont jamais vocation à jouer, au regard des conditions rationae personae, entre copropriétaires ou entre indivisaires. Or, en l’espèce, les concubins ne semblent pas avoir été en indivision.

Du constat de cette première condition tenant aux personnes, la doctrine a très vite vu dans l’indemnisation de l’article 555, une application particulière de l’enrichissement injustifié. Puisqu’il s’agit ici de rééquilibrer les rapports entre un propriétaire et un tiers qui lui a permis d’augmenter la valeur de son bien, il est naturel de faire payer le premier au profit du second. Dans cette logique, l’application de la règle aux concubins est tout à fait légitime et conforme au but qu’elle poursuit : le concubin qui a participé à l’augmentation de valeur du terrain de l’autre peut lui en demander dédommagement7. S’il n’est pas propriétaire, il est alors tiers.

Une première remarque s’impose pourtant ici. Il est difficile de considérer l’enrichissement du concubin propriétaire comme injustifié au regard de l’autre si celui-ci a bénéficié d’un droit de jouissance sur le bien construit. Cette remarque est d’autant plus pertinente que la participation financière du concubin, qui demande indemnisation, était non seulement partielle quant à son montant mais elle était également limitée dans le temps : le remboursement de l’emprunt finançant la construction s’est arrêté pour lui, au moment où avait cessé la vie commune. Il n’aura, au final, payé que tant qu’il profitait lui-même de la construction. L’enrichissement est-il alors dépourvu de toute cause ? La question se pose notamment depuis que le nouvel article 1303-2 écarte l’indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli en vue d’un profit personnel. À y songer, la règle de l’article 555, analysée sous l’angle de l’enrichissement injustifiée, semble mal convenir à la situation des concubins.

Mais le droit à indemnisation de l’article 555 du Code civil peut être lié à un tout autre fondement. Il s’analyserait alors davantage en une revendication de l’accessoire par l’auteur de la construction. Notons ici que ces deux fondements qui lui sont donnés ne sont pas nécessairement opposés. Au contraire, ils se complètent. Pour qu’il y ait enrichissement injustifié, faut-il encore prouver l’appauvrissement du constructeur corrélativement à l’enrichissement du propriétaire du sol. Or si l’enrichissement trouve aisément sa source dans l’acquisition de la propriété grâce à la règle superficies solo cedit8, l’appauvrissement repose en revanche sur la nécessaire considération que les constructions étaient la propriété du constructeur, sans quoi ce dernier ne serait pas légitime à demander une indemnité pour leur perte. L’accession différée joue dans le sens de cette analyse puisque c’est précisément le constructeur qui est propriétaire, ou du moins possesseur, de la chose tant que le droit qu’il a sur le terrain n’est pas éteint9. Cette acception de l’accession immobilière artificielle, proposée par certains auteurs dans les années 196010, est encore aujourd’hui défendue par certains11. Sa logique renvoie à l’idée d’un conflit entre deux droits de propriété. Celui du principal (le sol) entre alors en contradiction avec celui du propriétaire de l’accessoire (la construction). Ainsi conçue, la règle édictée à l’article 555 semble difficilement applicable aux concubins. La propriété de l’accessoire est facilement déterminable lorsque les matériaux qui ont servi à la construction appartiennent exclusivement au tiers. Mais qu’en est-il lorsqu’une partie de ces matériaux appartient également au propriétaire du terrain ? S’agit-il toujours d’un conflit entre deux propriétaires ? À moins d’adopter la thèse de Jean Carbonnier et de considérer le couple comme une entité à part, dotée de la personnalité juridique et surtout de la capacité de s’approprier les choses, il est difficilement concevable de voir ici un droit de propriété différent de celui qui joue à l’égard du sol. En d’autres termes, une partie de l’accessoire a déjà intégré le patrimoine du propriétaire du principal. L’autre concubin n’aurait donc pu valablement en revendiquer la propriété.

Contrairement à ce qu’énonce la Cour de cassation dans cet arrêt, le droit à indemnisation pour construction sur le terrain d’autrui devrait donc être soumis à l’exigence d’une participation exclusive ou, du moins, exclusive de toute participation du propriétaire. L’arrêt commenté n’est alors conforme à l’esprit de la règle qu’en apparence. Sa contrariété aux fondements de l’article 555 se reflète par ailleurs dans son application, puisque la décision vient également contredire les modalités de calcul offertes par le texte.

II – Une évidente contrariété à la lettre du texte

À la différence, par exemple, du mécanisme des récompenses du régime légal de communauté, l’article 555 ne tranche pas entre profit subsistant et dépense faite, mais offre un choix entre plus-value et coût de l’opération estimé au jour du remboursement12. Rappelons ici que la loi du 17 mai 1960 visait précisément à prendre en compte les effets de la dépréciation monétaire.

L’alinéa 3 de l’article 555 du Code civil n’envisage donc que deux options : le propriétaire peut décider d’accorder au constructeur la plus-value que ce dernier a apportée à son terrain. Dans cette situation, le calcul est simple car l’indemnité est alors égale à la valeur de la construction. Le propriétaire peut encore décider de rembourser le coût de la construction au jour du remboursement ; dans ce cas, l’indemnité sera cette fois calculée au regard de la valeur des matériaux et de la main-d’œuvre, telle qu’établie par le marché au jour du remboursement. L’article n’encadre que les hypothèses où les constructions ne résultent que du fait du tiers, à l’exclusion de toute éventuelle participation du propriétaire du terrain. Autrement dit, il n’est jamais question d’une indemnisation partielle.

En théorie, rien n’empêche évidemment d’étendre la règle à cette situation, comme le fait la Cour de cassation13. Il s’agit alors d’adapter la règle en offrant au concubin lésé, la fraction de la plus-value ou des matériaux correspondant à sa participation. Un simple rapport de proportion suffirait donc à calculer le montant de l’indemnité. Il convient pourtant d’éprouver cette adaptation en en analysant ses tenants et ses aboutissants.

Calculer la proportion tirée de la plus-value semble de prime abord possible. Si rien ne s’y oppose théoriquement, il convient de constater en réalité que le texte vise expressément la « somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur ». Force est alors de voir ici que l’interprétation proposée par la haute juridiction aboutit à un détournement, pour ne pas dire à une dénaturation, de la règle. Rejaillit alors l’idée déjà ancienne d’une « concubinarisation du droit commun »14.

La situation est en revanche plus aisée lorsqu’il s’agit de rembourser les matériaux et la main-d’œuvre. Il peut certes s’avérer difficile de déterminer quels sont les matériaux effectivement pris en charge par le tiers. Il est cependant possible de considérer, en étendant considérablement le sens du texte, que ces sommes correspondent à la fraction des matériaux et de la main-d’œuvre qui ont effectivement été pris en charge par le tiers. Ce raisonnement en valeur n’est pas incompatible avec le sens de l’article 555 puisque ce dernier vise, non pas les matériaux en nature, mais leur valeur au jour du remboursement. C’est d’ailleurs finalement ce montant qui a été retenu en l’espèce. En définitive, si l’une des options ne peut être adaptée sans une modification du texte, l’autre est en revanche conforme à sa lettre.

Mais si ce dernier mode de calcul de l’indemnité semble acceptable – contrairement au premier – il convient néanmoins de remarquer que l’option, alors offerte au propriétaire entre les deux modes d’indemnisation, disparaît : parce qu’il est impossible de retenir la plus-value, il faut nécessairement appliquer le coût de l’opération. La contrariété de cette solution au texte est alors indéniable15. Plus encore, la cour d’appel a, en l’occurrence, accordé au concubin le remboursement des sommes versées au titre des emprunts. Or celles-ci ne correspondent ni à la plus-value, ni au coût des matériaux au jour du remboursement. Elles peuvent, au mieux, s’analyser comme une fraction de la dépense faite. Mais précisément, l’action en indemnisation d’une construction sur le terrain d’autrui se distingue de l’action de in rem verso, en ce que cette dernière évalue le montant de l’indemnité au jour de la dépense16 quand la première se place au jour du remboursement17.

Finalement, l’arrêt commenté semble répondre au même souci d’équité que celui poursuivi par l’article 555. Pourtant, il est incompatible tant avec ses fondements qu’avec les conditions de sa mise en œuvre. Cette inadéquation du texte à la situation, particulière et pourtant répandue, de l’espèce interroge sur la solution à apporter ici : faut-il refuser aux concubins l’application de l’indemnité pour construction sur le terrain d’autrui ? Ou faut-il adapter celle-ci pour la rendre applicable aux concubins ? Peut-être la règle est-elle en réalité obsolète ou insuffisante18 ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-00002 : Defrénois 30 janv. 2003, n° 37657-1, p. 116, obs. Massip J. ; Dr. famille 2002, n° 141, note Farge M. ; RJPF 2003-3/31, obs. Vauvillé – Cass. 3e civ., 29 avr. 2009, n° 08-11431 : Bull. civ. III, n° 97 ; D. 2009, p. 2595, note Bonnet V. ; JCP 2009, 337, n° 3, obs. Périnet-Marquet  H. ; RLDC 2009/62, n° 3510, obs. Pouliquen E. ; RTD civ. 2009, p. 511, obs. Hauser J. – Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 14-16469 : RTD civ. 2015, p. 589, obs. Hauser J. ; RTD civ. 2015, p. 909, note Dross W.
  • 2.
    Le sol absorbe la surface.
  • 3.
    Cette précision revient ici sur un arrêt de la cour d’appel de Pau qui avait retenu l’inverse : CA Pau, 31 janv. 2011 : Dr. famille 2011, n° 5, 69, obs. Larribau-Terneyre V.
  • 4.
    Cette comparaison proposée à l’origine par Demolombe a très vite trouvé ses défenseurs tant en doctrine qu’en jurisprudence : Demolombe C., Cours de Code Napoléon, 4e éd., t. IX, 1870, nos 572 et s.
  • 5.
    Farge M., « De l’application des règles relatives à la construction sur le terrain d’autrui de l’article 555 du Code civil aux concubins », Dr. famille 2002, chron. 23.
  • 6.
    Pendant un temps regardée comme une opposition entre propriétaire et possesseur des travaux (Cass. 3e civ., 30 nov. 1988, n° 87-12387 : Bull. civ. III, n° 172), la jurisprudence ne vise aujourd’hui que la notion de tiers. Pour son application aux concubins, v. Cass. 3e civ., 13 mai 2015, n° 13-26680 ; D. 2015, p. 1098 ; D. 2015, p. 1863, obs. Neyret L. et Reboul-Maupin N. ; AJDI 2015, p. 794, obs. De la Vaissière F. ; JCP N 2015, 1219, obs. Périnet-Marquet H. ; JCP 2015, 911, obs. Simler P.
  • 7.
    Certains voyaient dans le concubinage, un mode de conjugalité incompatible avec la qualification de l’un des membres du couple en un tiers à l’égard de l’autre. L’argument ne peut vraiment tenir si l’on considère le concubinage comme la relation qui, précisément, se tient en dehors du droit. Il n’est par ailleurs plus réellement combattu depuis les arrêts de 2002 et de 2009 préc. : v. not. Farge M., art. préc. ; et Hauser J., note sous Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 13-26680 : RTD civ. 2015, op. cit.
  • 8.
    On en trouve la traduction légale aux articles 551 et 552 du Code civil.
  • 9.
    Ainsi, le locataire qui a édifié une construction sur le terrain du bailleur en est le propriétaire tant que son droit ne s’est pas éteint c’est-à-dire avant la fin du bail : Cass. 3e civ., 16 déc. 2014, n° 13-25214 : RTD civ. 2015, p. 428, note Dross W. ; Bergel J.-L., « L’accession différée en matière immobilière », Études Malinvaud, 2007, Litec, p. 26 et s.
  • 10.
    Brisse Saint-Macary J., De l’accession artificielle immobilière, Thèse Bordeaux 1929, p. 18 ; Goubeaux G., La règle de l’accessoire en droit privé, 1969, LGDJ, n° 184, p. 268.
  • 11.
    Dross W., Les Choses, 2012, LGDJ-Lextenso, nos 407 et s., p. 749 et s.
  • 12.
    Précision d’importance qui permet de distinguer ce calcul d’indemnité de celui offert par l’enrichissement sans cause puisque l’action de in rem verso prend la dépense faite au jour de la construction et non au moment du remboursement.
  • 13.
    La solution se retrouve d’ailleurs dans les arrêts précités de 2009 et de 2015. L’arrêt, fondateur, de 2002, ne concernait pas la même hypothèse puisque le concubin qui demandait indemnisation avait intégralement financé la construction sur le terrain de l’autre. Il faut encore remarquer que dans les autres arrêts, la participation du concubin lésé n’était certes pas exclusive mais la haute juridiction ne s’était alors pas prononcée sur cet aspect de la question.
  • 14.
    Prothais A., « Le droit commun palliant l’imprévoyance des concubins dans leurs relations pécuniaires entre eux », JCP G 1990, I, 3440 ; dans le même sens : Saulier M., Le droit commun du couple, 2017, IRJS.
  • 15.
    On pourrait par ailleurs se demander ce qu’il advient de l’autre option, offerte par l’alinéa 4, permettant au propriétaire de choisir entre la démolition et la conservation de la construction… L’interrogation relève bien entendu du cas d’école : il est difficilement concevable que le propriétaire qui a, en partie, financé la construction souhaite ensuite sa destruction. Quoi qu’il en soit, l’arrêt semble accueillir la demande du concubin de telle sorte que la démolition ne serait pas envisageable.
  • 16.
    C. civ., art. 1303-4.
  • 17.
    C. civ., art. 555, al. 3.
  • 18.
    D’autres difficultés relatives à son application avaient d’ailleurs été soulevées à l’occasion de l’obstacle créé par un propriétaire qui refuse de choisir un mode de calcul alors que ce choix n’appartient qu’à lui seul et que le juge ne peut s’y substituer : Cass. 1re civ., 17 juill. 1996, n° 94-14669 : Bull. civ. I, n° 196 ; D. 1997, Somm. 20, obs. Robert ; RTD civ. 1997, p. 457, note Zénati F.
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