Aidants familiaux : une interprétation étroite de la notion de « famille » juridiquement juste, socialement injuste
Avec ce que pourrait devenir notre système de retraites, les contentieux relatifs aux aidants familiaux, aujourd’hui relativement marginaux, pourraient bien devenir beaucoup plus importants, d’où l’intérêt de la présente décision.
Cass. 2e civ., 5 janv. 2023, no 21-15702
La décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 janvier 2023 fait une application des textes basée sur une conception étroite et rigide de la famille d’une personne handicapée (I). Cette conception aboutit en effet à refuser la qualité d’« aidant familial » en niant les réalités sociales (II).
Les faits de l’espèce étaient les suivants. Une personne handicapée, assistée de ses co-curateurs, a formé un pourvoi contre un arrêt rendu de cour d’appel, dans le litige les opposant au président du conseil départemental. Les demandeurs invoquaient que l’intéressée bénéficie de la prestation de compensation du handicap (PCH), au titre de ses besoins en aides humaines, sa mère et son beau-père (M. et Mme [K]) étant ses aidants familiaux et, également, ses curateurs, et que le président du conseil départemental ayant rejeté la demande de dédommagement de Mme [L], mère de M. [K], le beau-père de la demanderesse, comme troisième aidant familial, ils ont saisi d’un recours une juridiction chargée du contentieux de l’aide sociale.
L’intéressée et ses curateurs font grief à l’arrêt de rejeter leur demande tendant à reconnaître Mme [L] comme aidant familial, alors que, selon eux, l’aidant familial est la personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne, et que cette aide régulière peut être prodiguée de façon permanente ou non et peut prendre plusieurs formes (notamment : nursing, soins, accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, démarches administratives, coordination, vigilance permanente, soutien psychologique, communication, activités domestiques). Ils estiment que, « en refusant de reconnaître à Mme [L] la qualité d’aidant familial au motif qu’elle n’était ni la conjointe, ni la concubine, ni la personne avec laquelle l’intéressée avait conclu un pacte civil de solidarité [(pacs)], ni ascendante, ni descendante ou collatérale jusqu’au quatrième degré de cette dernière, ni ascendante, descendante collatérale jusqu’au quatrième degré de l’autre membre du couple alors que la qualité d’aidant familial ne se limite pas au seul lien de parenté mais doit être entendue largement et peut concerner la personne qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, la cour d’appel a violé » les textes applicables1.
La réponse de la Cour est que les personnes handicapées remplissant certaines conditions tenant à leur âge et à leur handicap ont droit à une prestation de compensation2, y compris, le cas échéant, celles apportées par les aidants familiaux3.
La prestation dont elle bénéficie au titre de la compensation du handicap peut être employée, selon le choix de la personne handicapée, à rémunérer directement un ou plusieurs salariés, notamment un membre de la famille4, ainsi qu’à dédommager un aidant familial qui n’a pas de lien de subordination avec la personne handicapée5.
Pour la Cour de cassation, sont considérés comme un aidant familial6 le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle la personne handicapée a conclu un pacs, l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de la personne handicapée, ou l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de l’autre membre du couple qui apporte l’aide humaine7 définie8 et qui n’est pas salarié pour cette aide.
La personne qui avait demandé à être reconnue aidant familiale ne remplissant pas ces conditions, la Cour de cassation lui a refusé ladite qualité, faisant prévaloir une conception étroite et rigide de la famille d’une personne handicapée (I) sur la réalité sociale (II).
I – Une conception étroite et rigide de la famille d’une personne handicapée
Les personnes handicapées ont droit en compensation à diverses prestations (A), dont la possibilité de recours à des aidants familiaux (B).
A – Prestations pour compenser le handicap
Il existe des prestations qui ont vocation à compenser les surcoûts liés à la présence d’un handicap9 et à aider à l’autonomie des personnes handicapées10 ; elles peuvent donc prétendre à diverses aides.
Inventaire, non exhaustif, des aides aux personnes handicapées
Face à une profusion de textes, le législateur décida de procéder à une réorganisation en profondeur du système11. La plupart des prestations accordées aux personnes handicapées sont aujourd’hui confiées aux organismes de sécurité sociale, celles prises en charge par l’aide sociale légale étant devenues assez largement résiduelles et prises en charge par l’État ou les départements. On connaît donc maintenant – entre autres car, pour les personnes handicapées comme pour les autres, ces prestations destinées à les aider forment un ensemble rebelle à tout inventaire véritablement exhaustif12 – la PCH13, qui constitue une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix de l’intéressé, en nature ou en espèces.
Destinée à compenser les surcoûts liés au handicap, elle a pour but de garantir à l’intéressé l’accès à l’ensemble des aides dont il a besoin du fait de celui-ci. Elle peut se cumuler avec l’allocation aux adultes handicapés et avec d’autres avantages14. La PCH n’est pas soumise à une condition de ressources. Le demandeur doit résider en France (métropole, DOM et Saint-Pierre-et-Miquelon) de façon stable et régulière15, ne pas être âgé de plus de 60 ans (âge auquel il lui est possible de prétendre au bénéfice de l’allocation personnalisée d’autonomie), avoir un handicap répondant à certains critères et prenant notamment en compte la nature et l’importance des besoins de compensation au regard d’une difficulté absolue pour la réalisation d’une activité ou une difficulté grave pour la réalisation d’au moins deux activités telles que définies dans un référentiel16, les difficultés dans la réalisation de cette ou de ces activités devant être définitives ou d’une durée prévisible d’au moins un an17. La prestation est attribuée par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. Elle est servie par le département dans lequel le demandeur a son domicile de secours ou, à défaut, le département dans lequel il réside18, dans la limite de taux de prise en charge qui peuvent varier selon les ressources du bénéficiaire. Certaines ressources ne sont pas prises en compte19. Les montants attribués au titre des divers éléments de la PCH sont déterminés dans la limite des frais supportés par la personne handicapée, établis à partir de tarifs fixés par arrêtés du ministre chargé des personnes handicapées20.
Pour le contentieux, les décisions relatives à la PCH peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire21, devant certains tribunaux de grande instance spécialement désignés, disposant d’une formation dédiée à ce type de contentieux22 composée du président du tribunal de grande instance ou d’un magistrat du siège désigné par lui pour le remplacer et de deux assesseurs représentant les travailleurs salariés, pour le premier, et les employeurs et les travailleurs indépendants, pour le second23.
Autres aides
D’autres formes d’aide existent, parmi lesquelles on peut citer l’aide aux jeunes handicapés et l’aide aux adultes handicapés.
Aide aux jeunes handicapés
L’aide sociale ne joue plus ici que de manière marginale. Les hypothèses dans lesquelles elle intervient sont rares24, l’essentiel des aides étant fourni soit par l’État (obligation éducative), soit, surtout, par les organismes de sécurité sociale (allocation d’éducation de l’enfant handicapé, frais de soins et d’hébergement dans les établissements spécialisés…). Elles visent notamment l’enfant qui, fréquentant une structure dépourvue de section internat ou n’ayant pu y trouver de place, est hébergé dans une famille d’accueil ou l’enfant placé dans un établissement agréé ou qui n’est pas ayant droit d’un assuré social25. À ces prestations, s’ajoute la prise en charge par les départements de certains frais de transport exposés pour fréquenter un établissement.
Aides aux adultes handicapés
Aides à domicile. Les personnes handicapées bénéficient, en ce domaine, de prestations de service qui se révèlent identiques à celles offertes aux personnes âgées26, notamment des prestations d’aide-ménagère, en nature ou allocation représentative de services ménagers, cette dernière pouvant être cumulée avec l’octroi de la PCH. Elles peuvent bénéficier, le cas échéant, de prestations spécifiques offertes par les services d’auxiliaires de vie, prestations délivrées par un certain nombre de services à domicile : services d’accompagnement à la vie sociale, services d’aide et d’accompagnement à domicile, services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés, services de soins infirmiers à domicile, services de soins polyvalents d’aide à domicile27…
Aides à l’insertion professionnelle. Les adolescents et adultes handicapés qui ne peuvent momentanément ou durablement ni travailler dans une entreprise ordinaire ou un atelier protégé ni exercer une activité professionnelle indépendante ont des possibilités d’activités diverses à caractère professionnel, un soutien médico-social et éducatif et un milieu de vie favorisant leur épanouissement personnel et leur intégration sociale28.
De nombreuses autres aides peuvent être fournies par les collectivités publiques qui contribuent à favoriser l’insertion professionnelle des intéressés : garantie de ressources accordée aux travailleurs handicapés29, rémunération des stagiaires inscrits dans des centres de réadaptation30, etc.
Aides à l’hébergement. Les personnes handicapées peuvent être placées soit chez une famille, soit dans des établissements.
B – Les aidants familiaux
Les aidants familiaux ont fini par obtenir leur reconnaissance par le droit31. Les règles applicables à ces aidants forment une mosaïque qui est loin de donner naissance à une notion juridique unifiée de « proche aidant ». Le droit français ne consacre pas une notion unique d’« aidant »32. La complexité des règles applicables aux aidants est liée à leur dissémination dans diverses branches du droit33 et à différents niveaux de la hiérarchie des normes qui doivent se combiner entre eux. La personne aidée peut utiliser la PCH pour salarier certains membres de sa famille ou pour dédommager un aidant familial34.
La reconnaissance des proches aidants par le droit est la structuration progressive d’une politique sociale qui s’appuie sur des normes juridiques35 et cherche, entre autres objectifs, à protéger les aidants contre les risques sociaux, notamment contre la désinsertion professionnelle36 et l’épuisement.
La loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants37 est venue instaurer une obligation pour les branches professionnelles de négocier des mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants38. Notre système est maintenant marqué par l’ambition d’accroître les connaissances relatives aux aidants39. On en arrive ainsi à la cristallisation progressive d’un statut juridique des aidants familiaux, pour lesquels la multiplicité des notions et des définitions des « aidants » pourrait tout à fait s’atténuer40. Une définition suffisamment large des « proches aidants » pourrait structurer le fond du droit41. L’accès au droit des aidants en serait simplifié dans la mesure où un régime juridique clairement identifié pourrait découler de cette qualification juridique.
II – Réalité sociale
On sait depuis longtemps que les réalités juridiques et sociologiques42 peuvent être très différentes. C’est le cas pour les aidants familiaux43, leurs rôles44 humains et sociologiques (B) s’étendant bien au-delà des règles juridiques relatives aux critères de leurs conditions de désignation (A).
A – Critères des aidants familiaux
Les conditions de désignation des aidants familiaux s’appuient sur des bases juridiques qui reflètent une conception étroite de la famille du bénéficiaire. L’aidant familial et le bénéficiaire doivent avoir entre eux un lien au titre de la famille proche au sens de textes, qui paraissent bien loin de ce qu’est une famille lorsqu’un membre a besoin d’une aide qui, en pratique, peut être apportée par un proche pourtant parent éloigné juridiquement.
La personne handicapée qui en a besoin peut employer un ou plusieurs membres de sa famille, y compris son conjoint, son concubin ou la personne avec qui elle a conclu un pacs45. À ce titre, est considéré comme un aidant familial le conjoint, le concubin, le partenaire de pacs, l’ascendant, le descendant ou le collatéral – c’est-à-dire les parents qui ne sont pas en ligne directe : les frères et sœurs, les oncles et tantes et leurs descendants, cousins et cousines, jusqu’au quatrième degré – ou l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré, ce qui inclut ainsi les cousins et cousines de l’autre membre du couple46.
B – Rôle sociologique et humain des aidants familiaux
En France, environ 8 à 11 millions d’individus apportent une aide régulière et fréquente à un proche malade, âgé ou handicapé pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne47. Les proches aidants sont désormais inclus « dans la gouvernance et la politique publique au niveau national »48. Mais la reconnaissance des aidants ne doit pas constituer une variable d’ajustement face à des politiques publiques insuffisantes à destination des personnes aidées, ce que montre cette décision, par une interprétation particulièrement rigide de la famille49, bien loin de la sociologie50 actuelle de ce groupe et qui refuse la qualité d’« aidant » à une personne juridiquement éloignée de l’intéressée. Pour cette raison, le pourvoi a été rejeté. Pourtant, du point de vue sentimental, la mère du beau-père, même si elle ne peut pas se prévaloir d’un lien juridique proche au sens des textes, peut très bien être plus proche de l’intéressée que des cousins et cousines qui peuvent avoir avec celle-ci des relations affectives bien lâches ; ce qui montre le manque de réalisme d’une décision préférant une application sacrifiée de la réalité sociologique à une application étroite et rigide des textes sans doute éloignée de la réalité.
Notes de bas de pages
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1.
CASF, art. R. 245-7.
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2.
CASF, art. L. 245-1.
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3.
CASF, art. L. 245-3, 1° – CASF, art. L. 245-12, dans sa rédaction applicable au litige.
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4.
CASF, art. L. 245-1 et s.
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5.
C. trav., livre Ier, titre II, chap. Ier.
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6.
CASF, art. L. 245-12, mod. par L. n° 2019-1446, 24 déc. 2019, art. 14, V.
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7.
CASF, art. R. 245-7, al. 1er.
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8.
CASF, art. L. 245-3.
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9.
A. Triomphe, « La compensation du handicap dans la loi du 11 février 2005. Du mythe à la réalité », RDSS 2005, p. 371.
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10.
F. Kessler, « L’autonomie des personnes handicapées dans la loi du 11 février 2005 (Premières observations) », RDSS 2005, p. 382.
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11.
L. n° 2005-102, 11 févr. 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
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12.
M. Richevaux, « CAF : établissement et récupération des indus de prestations sociales, fond et formes », Actu-juridique.fr 9 mars 2022, n° AJU003c9.
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13.
CASF, art. L. 245-1 et s.
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14.
CASF, art. R. 245-45 et s.
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15.
CASF, art. R. 245-1.
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16.
CASF, annexe 2-5.
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17.
CASF, art. D. 245-4.
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18.
CASF, art. L. 245-2.
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19.
CASF, art. L. 245-6 – CASF, art. R. 245-45 et s.
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20.
CASF, art. R. 245-42.
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21.
CASF, art. L. 134-3 – L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice au XXIe siècle : JO, 19 nov. 2016.
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22.
COJ, art. L. 211-16.
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23.
COJ, art. L. 218-1.
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24.
CASF, art. L. 242-13.
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25.
CASF, art. L. 242-10.
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26.
CASF, art. L. 241-1.
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27.
CASF, art. D. 312-162 à D. 312-176.
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28.
CASF, art. L. 344-2.
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29.
CASF, art. L. 243-4.
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30.
CSS, art. L. 321-1 – CSS, art. R. 481-1 et s.
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31.
A. Cappellari, « La reconnaissance des proches aidants par le droit », GPL 17 mars 2020, n° GPL376a3 ; A. Bugada, « La reconnaissance juridique des proches aidants », JCP S 2018, 1387.
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32.
A. Cappellari, « L’émergence d’une définition juridique des aidants en droit français », in A. Cappellari (dir.), Les proches aidants saisis par le droit. Regards franco-suisses, 2018, PUAM, p. 57-69.
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33.
A. Cappellari (dir.), Les proches aidants saisis par le droit. Regards franco-suisses, 2018, PUAM ; A. Cappellari (dir.), La reconnaissance des proches aidants. Regards comparés franco-suisses et transdisciplinaires, 2020, PUAM.
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34.
CASF, art. L. 245-12.
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35.
D. Gallie et S. Paugam (dir.), Welfare regimes and the experience of Unemployment in Europe, 2000, Oxford University press.
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36.
Projet stratégique pôle emploi 2015-2020, www.pole-emploi.org.
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37.
L. n° 2019-485, 22 mai 2019, visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants, art. 1er.
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38.
C. trav., art. L. 2241-1, 2° bis.
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39.
Agence nationale de la recherche, Horizon 2020, Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, collectivités locales, acteurs du monde de la protection sociale…
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40.
G. Cornu, « Les définitions dans la loi », in Études Jean Vincent, 1981, Dalloz, p. 83.
-
41.
A. Cappellari, « L’émergence d’une définition juridique des aidants en droit français », in A. Cappellari (dir.), Les proches aidants saisis par le droit. Regards franco-suisses, 2018, PUAM.
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42.
J. Carbonier, Sociologie juridique, 2016, PUF.
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43.
M. Rebourg, « La notion de “proche aidant” issue de la loi du 28 décembre 2015 : une reconnaissance sociale et juridique », RDSS 2018, p. 693.
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44.
F. Maisonnasse, L’articulation entre la solidarité familiale et la solidarité collective, 2016, LGDJ, p. 500, EAN : 9782275052793.
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45.
CASF, art. L. 245-12.
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46.
CASF, art. R. 245-7, al. 1er.
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47.
Ministère des Solidarités, dossier de presse, 23 oct. 2019, Agir pour les aidants, Stratégie de mobilisation et de soutien 2020-2022.
-
48.
A. Cappellari, « L’appréhension institutionnelle des aidants en France », in A. Cappellari (dir.), La reconnaissance des proches aidants. Regards comparés franco-suisses et transdisciplinaires, à paraître, PUAM, § I.
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49.
F. Chénedé et a., Droit de la famille, 9e éd., 2022, Dalloz.
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50.
E. Horowitz et P. Reynaud, Se libérer du destin familial, 2013, Dervy.
Référence : AJU008f6