Apport de bien commun : éclairages sur la renonciation à la revendication de la qualité d’associé

Publié le 09/10/2024
Apport de bien commun : éclairages sur la renonciation à la revendication de la qualité d’associé
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La renonciation par l’époux à sa qualité d’associé lors de l’apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.

Cass. com., 19 juin 2024, no 22-15851

Res communis cedit sociis1. Dans notre affaire2, MM. [R] et [H] [Y] ont constitué le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) [Y] père et fils. Selon l’article 5 des statuts du groupement, Mme [V], épouse en communauté de biens de M. [R] [Y], « déclare avoir été informée de l’intention de son époux de faire apport des biens de la communauté désignés ci-dessus, consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d’associée du GAEC », et l’article 33 précise qu’elle « ne requiert pas la qualité d’associée ». Cependant, lors de l’assemblée générale du 11 octobre 2012, Mme [V] a été acceptée, à sa demande, comme associée pour la moitié des parts appartenant à la communauté de biens entre elle et son époux. Les juges d’appel considèrent que « pour dire que Mme [V] n’a pas valablement acquis la qualité d’associé du GAEC [Y] père et fils et que l’assemblée générale du 11 octobre 2012 est nulle et de nul effet sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens développés par les parties quant à régularité formelle de cette décision, l’arrêt retient qu’à la lecture des articles 5 et 33 des statuts, Mme [V] a renoncé clairement et sans réserves à revendiquer la qualité d’associé du groupement, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ». La Cour de cassation censure partiellement les juges du fond car en se déterminant ainsi, sans rechercher si les deux associés du GAEC [Y] père et fils n’avaient pas, postérieurement à cette renonciation, manifesté leur consentement unanime à l’entrée de Mme [V] dans le groupement, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. Selon la Cour de cassation, il est absolument impossible pour un conjoint de revenir sur sa décision de renoncer à revendiquer la qualité d’associé. De plus, elle affirme avec éclat que les statuts de la société n’ont nullement besoin de mentionner l’article 1832-2 du Code civil3. En outre, la Cour de cassation, dans sa sagesse souveraine, affirme que les associés, dans un élan d’unanimité et en réponse à la demande du conjoint, peuvent reconnaître ultérieurement la qualité d’associé. On enseigne traditionnellement qu’il n’existe pas de texte qui détermine expressément la nature des parts sociales acquises dans le cadre d’un régime communautaire4. Cependant, l’article 1832-2 du Code civil, dans toute sa grandeur, octroie au conjoint le droit de revendiquer la qualité d’associé lorsque les biens apportés sont communs. Néanmoins, il demeure silencieux et impartial quant à la qualification des parts obtenues en échange de cet apport (I). L’article 1832-2 du Code civil, offre une option élégante au conjoint, lui conférant la liberté souveraine de choisir de ne pas revendiquer la qualité d’associé (II).

I – L’action en revendication de la qualité d’associé

Droit de revendiquer la qualité dassocié. L’action pour revendiquer la qualité d’associé doit respecter des conditions spécifiques (A) et est applicable à des catégories précises de sociétés (B).

A – Conditions de la revendication de la qualité d’associé

Conditions de fond. La possibilité de revendiquer s’étend aux sociétés civiles, aux sociétés en nom collectif, aux sociétés en commandite simple, aux SARL et aux sociétés en participation5. Il va de soi que cette possibilité s’applique également à la forme EURL6. Une société, constituée de façon unipersonnelle, peut devenir pluripersonnelle par la revendication de la qualité d’associé effectuée par le conjoint en cas d’apport d’un bien commun7. En l’espèce, il s’agissait d’un GAEC, forme de société civile qui a été imaginée en 1962 pour regrouper des exploitations et améliorer les conditions de production agricole. Le bien apporté doit être un bien commun au sens de l’article 1401 du Code civil qui dispose que la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. La revendication du conjoint ne peut être exprimée que de manière magnanime et proportionnelle à l’apport des biens de communauté ou à l’utilisation des fonds communs pour l’acquisition. Dans notre affaire, Mme [V], épouse commune en biens de M. [R] [Y], « déclare avoir été avertie de l’intention de son époux de faire apport de biens de communauté ci-dessus désignés, consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d’associé du GAEC », l’article 33 stipulant qu’elle « ne requiert pas la qualité d’associé ».

Conditions de forme. Dans la solennité du vide laissé par l’article 1832-2 du Code civil, il apparaît que la revendication doit être proclamée soit par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée, qu’elle soit sur papier ou électronique, requérant l’approbation par avis de réception. En ce cas particulier, il était invoqué que le conjoint de l’époux ayant apporté des biens communs à la société peut manifester ultérieurement son désir d’adhérer en tant qu’associé à part entière.

B – Domaine de la revendication de la qualité d’associé

Présomption de communauté. Le conjoint qui réclame la qualité d’associé est honoré par la présomption de communauté, selon l’article 1402 du Code civil. Ainsi, il incombe au tiers contestataire de démontrer avec éloquence le caractère propre des fonds utilisés pour souscrire aux droits sociaux ou les acquérir. Certaines sociétés requièrent de leurs membres qu’ils exhibent une capacité extraordinaire, adaptée à la spécificité de leurs activités8. Ainsi, les sociétés civiles professionnelles ne sont accessibles qu’aux personnes justifiant de la qualification et des titres requis pour l’exercice de la profession « sociale »9. Dans l’arrêt rapporté, selon la loi10, peuvent être membres d’un groupement agricole d’exploitation en commun les personnes qui font à ce groupement un apport en numéraire, en nature ou en industrie afin de contribuer à la réalisation de son objet. Les associés doivent participer effectivement au travail en commun. Toutefois, une décision collective des associés peut, au cours de la vie du groupement, accorder à titre temporaire des dispenses de travail pour des motifs fixés par décret.

Problématique. Peut-il être envisagé de refuser au conjoint la possibilité de revendiquer la qualité d’associé lorsque l’époux associé exerce une profession distincte au sein de la société et que la détention des parts sociales est jugée indispensable à cette fin ?11. Les statuts de la société peuvent prévoir des conditions spécifiques pour l’adhésion en tant qu’associé, y compris des critères relatifs à la participation active dans le fonctionnement de la société. De plus, si l’époux associé exerce une profession essentielle pour la société et que la détention des parts sociales est jugée cruciale pour cette activité, cela pourrait être un argument légitime pour restreindre la revendication de la qualité d’associé par le conjoint. Le conjoint a généralement le droit, en vertu de l’article 1832-2 du Code civil français, de revendiquer la qualité d’associé lorsque des biens communs sont apportés à la société. Cependant, cela peut être sujet à interprétation en fonction des circonstances spécifiques et des implications pour la société. En conclusion, il n’y a pas de réponse universelle à cette question et elle nécessiterait une analyse approfondie des lois applicables et des statuts de la société, ainsi que des considérations sur la gestion et les intérêts des parties impliquées. D’aucuns estiment qu’« on pourrait envisager de se fonder sur les dispositions des articles 223 et 1421, alinéa 2, du Code civil pour faire échec au droit de revendication prévu à l’article 1832-2 dudit code »12.

II – Renonciation à la revendication de la qualité d’associé

Modalités. Lors de la fondation de la société, le conjoint de l’époux apporteur ou souscripteur de parts peut, de sa propre initiative ou à la demande de ce dernier, renoncer par écrit de manière irrévocable au droit de revendiquer la qualité d’associé (A). Cela étant, une proposition émanant du prestigieux 118e congrès des notaires de France devrait permettre d’améliorer la situation de l’action en revendication de la qualité d’associé.

A – L’irrévocabilité de la renonciation à la revendication de la qualité d’associé

Forme de la renonciation. L’article 1832-2 du Code civil traite de la possibilité pour le conjoint d’un époux apporteur ou souscripteur de parts de revendiquer la qualité d’associé dans certaines conditions. En ce qui concerne la renonciation, rien dans l’article 1832-2 du Code civil ne permet de soutenir véritablement que la renonciation doit être expresse. La renonciation tacite à la qualité d’associé, bien qu’elle ne soit pas expressément prévue par l’article 1832-2 du Code civil, peut être envisagée dans certains contextes. Une renonciation tacite se caractérise par des comportements ou des actes qui manifestent clairement l’intention de renoncer, sans qu’il y ait besoin d’une déclaration écrite formelle. C’est ainsi que la Cour de cassation13 a censuré les juges du fond au visa de l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-129 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, ce qui est une façon d’insister sur l’absence de formalisme encadrant la renonciation. La Cour de cassation, avec élégance, proclame : « La renonciation à un droit peut être tacite, pourvu que les circonstances révèlent de manière indubitable la volonté ferme et manifeste de renoncer »14. Et il est de notoriété que, en l’absence de dispositions spécifiques, la renonciation n’a nul besoin d’être explicite ni de se conformer à un quelconque formalisme rigide. Ainsi, nous pouvons une fois de plus saluer la sagesse et la perspicacité du raisonnement adopté par la Cour de cassation15.

Caractères de la renonciation. Certes, la renonciation peut revêtir un caractère tacite, mais il est impératif qu’elle soit absolument certaine et, en tout état de cause, dénuée de toute ambiguïté. En l’espèce, la cour d’appel a retenu qu’il résultait des articles 5 et 33 des statuts du GAEC, lesquels stipulent respectivement que Mme [V] « reconnaît ne pas avoir la qualité d’associé du GAEC » et qu’étant intervenue aux statuts, « elle précise qu’elle ne requiert pas la qualité d’associé », que Mme [V] aurait « renoncé, clairement et sans réserves, notamment à la faculté de devenir associé ultérieurement, à revendiquer la qualité d’associé du GAEC au titre de l’apport effectué audit GAEC par son époux [?] sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ».

Irrévocabilité de la renonciation. En l’espèce, pour les mêmes motifs impérieux, la conclusion s’imposait avec éclat : une fois actée, la renonciation ne peut être que définitive – autrement, elle perdrait toute sa force et son effet. Par conséquent, il convient d’applaudir la décision de la Cour de cassation qui établit avec autorité que le renonçant est irrévocablement lié par sa résolution.

B – Proposition du 118e congrès des notaires de France

Abrogation de larticle 1832-2 du Code civil. Les notaires, lors de leur 118e congrès, en 2022, ont proposé une réforme du régime actuel de l’article 1832-2 du Code civil. En effet, les notaires relèvent qu’actuellement cet article permet au conjoint d’un époux qui a apporté des biens communs à une société de revendiquer la qualité d’associé. Cette disposition vise à protéger les droits du conjoint en cas d’apports de biens communs dans une société. Les notaires ont proposé d’abroger cet article, c’est-à-dire de supprimer cette disposition du Code civil. En contrepartie, ils ont suggéré des modifications qui pourraient offrir des protections et des avantages similaires aux époux communs en biens16.

Transfert de la qualité dassocié entre époux. Les notaires proposent de permettre aux époux mariés sous le régime de la communauté de biens de transférer la qualité d’associé entre eux. Cela signifie qu’un époux pourrait céder sa qualité d’associé à son conjoint sans que cela nécessite la dissolution de la société ou la création de nouvelles parts.

Extension de larticle 1424 du Code civil. L’article 1424 actuel du Code civil traite des conditions dans lesquelles un époux peut disposer des droits sociaux et gérer les affaires de la société. Les notaires proposent d’étendre cet article pour qu’il couvre tous les titres de sociétés non cotées, offrant ainsi une plus grande flexibilité et sécurité juridique aux époux. Cette extension signifierait que les époux pourraient plus facilement gérer et transférer leurs participations dans les sociétés non cotées (celles qui ne sont pas sur le marché boursier), tout en bénéficiant des protections prévues par le régime de la communauté de biens.

Objectifs et implications. La proposition vise à simplifier le droit des sociétés et à moderniser les relations patrimoniales entre époux dans le cadre des sociétés. Elle permettrait aux époux de gérer leurs biens et leurs participations sociales de manière plus flexible et adaptée à leurs besoins. En abrogeant l’article 1832-2, les notaires cherchent à offrir une alternative qui continue de protéger les droits des conjoints. Le transfert de la qualité d’associé et l’extension des dispositions de l’article 1424 visent à garantir que les époux ne perdent pas leurs droits ou leur contrôle sur les biens communs investis dans les sociétés. La possibilité de transférer la qualité d’associé entre époux sans formalités complexes ou dissolution de la société pourrait réduire les démarches administratives et juridiques. Cela rendrait les transactions internes entre époux plus fluides et moins coûteuses. En somme, cette proposition des notaires vise à réformer et moderniser le régime des biens communs des époux dans le cadre des sociétés, en offrant plus de flexibilité tout en maintenant une protection juridique adéquate pour les conjoints17.

Conclusion. L’apport de biens communs et la renonciation à la revendication de la qualité d’associé éclairent magnifiquement les voies de la cohésion sociétaire, où la décision est sculptée par la sagesse partagée et la volonté commune, garantissant ainsi la solidité et l’harmonie au sein de la société.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le bien commun revient aux associés.
  • 2.
    « Apport de biens communs : irrévocabilité de la renonciation du conjoint à la qualité d’associé sauf accord unanime des associés », DEF 4 juill. 2024, n° DEF220w4 ; B. Lemercier, « La qualité d’associé de l’époux : précisions sur l’application de l’article 1832-2 du Code civil », Le Lamy Droit des Affaires 2024 ; Q. Monget, « Apport de biens communs : la renonciation à la qualité d’associé est irrévocable sans l’accord unanime des associés », Dalloz actualité, 2 juill. 2024 ; « La reconnaissance de la qualité d’associé au conjoint de l’associé unanimement reconnue », JCP E 2024, n° 26.
  • 3.
    B. Lemercier, « La qualité d’associé de l’époux : précisions sur l’application de l’article 1832-2 du Code civil », Le Lamy Droit des Affaires 2024.
  • 4.
    JCl. Sociétés Traité, Encyclopédies, fasc. 8-30, Vo Capacité des contractants, associé marié ou partenaire, 27 sept. 2021, . Collard, Lexis 360 Intelligence.
  • 5.
    Rép. sociétés Dalloz, Vo Société entre époux, janv. 2019 (actualisation : oct. 2022), nos 116 et 118, C. Barreau.
  • 6.
    Rép. sociétés Dalloz, Vo Société entre époux, janv. 2019 (actualisation : oct. 2022), nos 116 et 118, C. Barreau.
  • 7.
    JCl. Entreprise individuelle, Synthèse, Vo Sociétés unipersonnelles ; JCl. Sociétés, fasc. 82-10, Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), J. -J. Daigre, Lexis 360 Intelligence.
  • 8.
    Rép. sociétés Dalloz, Vo Société entre époux, janv. 2019 (actualisation : oct. 2022), nos 116 et 129, C. Barreau.
  • 9.
    Rép. sociétés Dalloz, Vo Société entre époux, janv. 2019 (actualisation : oct. 2022), nos 116 et 130, C. Barreau.
  • 10.
    C. rur., art. L. 323-7.
  • 11.
    Rép. sociétés Dalloz, Vo Société entre époux, janv. 2019 (actualisation : oct. 2022), nos 116 et 134, C. Barreau.
  • 12.
    Rép. sociétés Dalloz, Vo Société entre époux, janv. 2019 (actualisation : oct. 2022), nos 116 et 134, C. Barreau.
  • 13.
    Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26203.
  • 14.
    https://lext.so/znAbMS.
  • 15.
    Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26203.
  • 16.
    B. Lemercier, « La qualité d’associé de l’époux : précisions sur l’application de l’article 1832-2 du Code civil », Le Lamy Droit des Affaires 2024.
  • 17.
    118e congrès des notaires de France, « L’ingénierie notariale au service du projet de l’entreprise », 2022.
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