Certificat médical actualisé et renouvellement d’une mesure de protection
Au-delà d’être un outil indispensable pour le renouvellement d’une tutelle, la Cour de cassation rappelle utilement que le certificat médical doit être actualisé afin d’établir la persistance de l’altération des facultés mentales de la personne protégée.
Cass. 1re civ., 17 nov. 2021, no 19-14872
1. Une mesure de protection juridique1 peut-elle être renouvelée en l’absence d’un certificat médical2 récent établissant la persistance de l’altération des facultés mentales de la personne vulnérable ? Telle est la question soulevée devant les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 novembre 20213. En cassant et en annulant l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, les juges de la Cour de cassation ont répondu par la négative à la question sus-citée. Par ce fait, ils ont souligné l’importance du caractère récent d’un certificat médical dans le cadre du renouvellement d’une mesure de protection en notant que « si les constatations du certificat médical établi en vue de la révision de la mesure de protection ne valent que pour l’état de santé de Mme [R] à la date de son établissement, soit le 2 décembre 2016, celle-ci n’apporte aucun élément récent venant les contredire, (…) ce certificat faisant état de la persistance de sa pathologie psychiatrique, de sorte qu’est suffisamment caractérisé un état d’altération mentale nécessitant que l’intéressée soit représentée dans toutes les actes de la vie civile. » L’analyse de la position des juges de la première chambre civile nécessite de rappeler les faits du litige. Par jugement du 10 décembre 2012, le tribunal d’instance de Quimper place Mme R sous tutelle pour une durée de cinq ans sur la base d’un certificat médical. Aux termes de ces cinq années, la mesure de protection est renouvelée par jugement du 28 novembre 2017. Cette décision maintient l’UDAF du Finistère comme tuteur de Mme R. C’est contre ce renouvellement que Mme R. interjette appel. Par arrêt du 5 février 2019, la cour d’appel de Rennes confirme le renouvellement de la mesure de protection. Pour la juridiction de Rennes, l’avis médical du décembre 2016 constatant l’état de santé de Mme R. justifie amplement le maintien de la protégée sous tutelle. Mme R. forme alors un pourvoi cette décision. D’après le demandeur au pourvoi, le juge ne peut maintenir un majeur sous tutelle que si, au jour où il statue, il constate la permanence de l’altération de ses facultés mentales et la nécessité d’être représenté de manière continue dans les actes de la vie civile, ce qui n’est pas le cas la concernant. Sur la base des articles 425, alinéa 1er, 440, alinéa 3, et 442, alinéa 1er et 3, du Code civil, la haute juridiction casse l’arrêt de la cour d’appel. En procédant ainsi, la Cour de cassation subordonne le renouvellement d’une mesure de protection spécifiquement de la tutelle à la présentation d’un certificat médical actualisé (I). Au regard des conditions légales d’ouverture et/ou de renouvellement de la tutelle, une telle décision se trouve juridiquement fondée (II).
I – La subordination du renouvellement d’une mesure de protection à la présentation d’un certificat médical actualisé
2. Le juge du contentieux de la protection statuant en matière des tutelles a la possibilité, conformément à la loi, de maintenir, mettre fin ou substituer une mesure de protection. Si la levée, le maintien, la modification ou le renouvellement de la mesure de protection relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge, ce dernier doit toutefois fonder sa décision sur la base d’un certificat médical attestant la pathologie de la personne protégée. À la question de savoir si ce certificat médical peut avoir deux ans d’ancienneté, la haute juridiction répond par la négative. Cette réponse négative est significative du rejet formel d’un certificat médical ancien et de la nécessité de présenter un certificat médical récent attestant la persistance de l’altération des facultés.
3. Dans le cadre de l’affaire soumise devant la première chambre civile de la Cour de cassation, la problématique de la nécessité4 d’un certificat médical se posait-elle ? Aucunement. Car que l’on soit dans le cadre de l’ouverture, du renouvellement ou de la levée d’une tutelle, le certificat médical demeure indispensable. D’ailleurs, l’article 431, alinéa 1er, du Code civil rappelle que « la demande est accompagnée, à peine d’irrecevabilité, d’un certificat circonstancié ». Ici, la problématique a plutôt été celle du caractère actuel dudit certificat. En l’espèce, Mme R., placée sous tutelle, a vu sa mesure de protection être renouvelée par les juridictions de fond sur la base des pièces médicales déjà anciennes. Cela dit, n’ayant pas produit d’éléments nouveaux concernant son état de santé, la cour de Rennes a validé le renouvellement de la tutelle de Mme R. Cette cour a indiqué que le « certificat faisant état de la persistance de sa pathologie psychiatrique, de sorte qu’est suffisamment caractérisé un état d’altération mentale nécessitant que l’intéressée soit représentée dans tous les actes de la vie civile. » En matière de santé mentale, le certificat médical établi il y a plus de deux ans avait-il encore une force probante ? Autrement dit, pouvait-il davantage justifier le maintien d’une mesure de protection ? De prime abord, la réponse pourrait paraître affirmative si l’on procède à une interprétation lato sensu des termes de l’alinéa 2 de l’article 441 du Code civil. Une mesure de protection peut être fixée sur une durée plus longue si l’on constate « que l’altération des facultés personnelles de l’intéressé décrites à l’article 425 n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science ». Ceci semble être le raisonnement adopté par les juges rennais suivant lequel aucun élément récent ne contredisant les constatations du certificat médical de 2016, la tutelle doit être renouvelée ; l’état de santé de Mme R. ne s’est pas amélioré. Toutefois, d’après une analyse approfondie, un certificat médical ancien ne peut justifier le renouvellement d’une tutelle. Ainsi, le renouvellement d’une mesure de protection étant une question d’ordre public mettant en exergue aussi bien la protection des droits fondamentaux que la garantie des libertés individuelles du majeur protégé, plusieurs conditions sont requises pour la mise en œuvre de ce mécanisme. Fort de ce qui précède, le raisonnement des juges de la cour d’appel de Rennes ne saurait prospérer car un élément essentiel en matière de mise sous protection fait défaut : la persistance de la pathologie psychiatrique du futur protégé. Dans cet ordre d’idées, la Cour de cassation tranche : « En se déterminant ainsi, sans constater la persistance d’une altération des facultés mentales de Mme R, et, partant, la nécessité pour celle-ci d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Cette position de la Cour de cassation est conforme à la législation applicable en matière tutélaire.
II – Une décision juridiquement fondée
4. L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation est un arrêt de cassation. En censurant dans toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel et en renvoyant les parties devant la cour d’appel de Caen, la haute juridiction a accueilli favorablement le moyen formé par Mme R. suivant lequel le jour où le juge statue, il doit constater la persistance de l’altération des facultés d’une part et, d’autre part, faire observer la nécessité d’une représentation continue dans les actes de la vie civile. Plusieurs textes de loi ont alors fondé la décision de la haute juridiction : les articles 425, alinéa 1er5, 440, alinéa 36, et 442, alinéas 1er et 37, du Code civil. Une lecture croisée de ces textes de loi met en exergue trois considérations. Primo, la possibilité offerte au juge de renouveler la mesure de protection. Secundo, la nécessité d’une mesure de tutelle pour assister8 et représenter9 une personne protégée dans l’accomplissement des actes de la vie civile. Tertio, la constatation médicale de l’altération des facultés mentales et corporelles de la personne protégée. Une question mérite d’être soulignée à ce niveau. La majeure vulnérable a-t-elle été auditionnée lors de l’audience de renouvellement, c’est-à-dire lors de l’audience de 2017 ? Aucun élément d’information ne le mentionne. Cependant, d’après les faits du litige, le certificat médical produit lors de cette audience a été établi le 2 décembre 2016, soit plus d’une année avant le jour du jugement. Dans la pratique notamment en fonction des tribunaux10, la requête de renouvellement d’une mesure de protection, à laquelle sont jointes diverses pièces justificatives aux premiers desquels le certificat médical, doit être déposée sept à huit mois à l’avance. Force est donc de constater que, datant de plus d’une année, le certificat médical n’était particulièrement pas récent. Il ne l’était pas davantage lorsque la cour d’appel de Rennes statuait, c’est-à-dire en 2019. Au vu de ce qui précède, la position de la haute juridiction est juridiquement fondée car conforme à la législation applicable en matière tutélaire : l’altération des facultés doit être « médicalement constatée ». Cette constatation médicale de l’altération des facultés d’une personne vulnérable a pour but d’attester la persistance de ces altérations.
5. La position adoptée par la première chambre civile de la Cour de cassation ne semble pas nouvelle en ce qui concerne cette problématique. Dans un arrêt rendu le 5 novembre 200811, afin de rejeter la demande de main levée d’une mesure de protection, la haute juridiction, dans sa même composante, avait souligné « qu’en se déterminant ainsi, sans constater la persistance d’une altération des facultés mentales de l’intéressé, le tribunal de grande instance n’a pas donné de base légale à sa décision ». Dans un autre arrêt rendu le 15 avril 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation, pour casser l’arrêt ayant débouté une personne protégée de sa demande de levée d’une mesure de protection, avait relevé « qu’en se déterminant ainsi, sans constater la persistance de l’altération des facultés mentales de l’intéressée et la nécessité pour celle-ci d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
6. En définitive, il convient de souligner l’importance de cet arrêt de la Cour de cassation en matière du droit des majeurs protégés. En effet, la vérification de la persistance de l’altération des facultés des protégés est vitale quelle que soit la nature de leur vulnérabilité ; l’enjeu ici demeure la garantie de leurs droits fondamentaux12.
Notes de bas de pages
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1.
La tutelle, la curatelle et la sauvegarde de justice constituent des mesures judiciaires de protection juridique.
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2.
F. Fresnel, « Le certificat médical, une pièce maîtresse de la mesure de la mesure de protection des majeurs », D. 2010, p. 2856.
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3.
Cass. 1re civ., 17 nov. 2021, n° 19-14872 : « Preuve de la persistance de l’altération : l’effet ou la cause », AJ fam. 2022, p. 52.
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4.
« La Cour de cassation 1ere chambre civile s’est prononcée sur la nécessité du certificat médical en date du 15 juin 1994 », D. 1995, p. 37, note J. Massip.
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5.
« Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre. »
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6.
« La personne qui, pour l’une des causes prévues à l’article 425, doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle. »
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7.
« Le juge peut renouveler la mesure pour une même durée. (…) Le juge peut, à tout moment, mettre fin à la mesure, la modifier ou lui substituer une autre mesure prévue au présent titre, après avoir recueilli l’avis de la personne chargée de la mesure de protection. »
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8.
Le mandataire judiciaire à la protection des majeurs assiste la personne protégée dans le cadre de la curatelle.
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9.
En matière de tutelle, le mandataire judiciaire à la protection des majeurs représente le vulnérable dans les actes de la vie quotidienne.
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10.
Tribunal de proximité ou tribunal judiciaire.
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11.
Cass. 1re civ., 5 nov. 2008, n° 07-17907 : Defrénois 15 mars 2009, n° 38910, p. 557, obs J. Massip ; RTD civ. 2009, p. 94, obs. J. Hauser.
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12.
Le majeur protégé est représenté dans tous les actes de la vie. Dans le cas d’espèce, se pose en filigrane la problématique de la vente de sa maison par l’UDAF du Finistère.
Référence : AJU003z0