« C’est un véritable service public tutélaire qui devrait être créé »

Publié le 28/09/2017

À l’occasion de la parution de la 9e édition de l’ouvrage Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, aux éditions LGDJ, nous avons demandé à son auteur, Annick Batteur, professeure à l’université de Caen Normandie, de dresser un bilan des dernières réformes en la matière et surtout de nous donner son avis sur les chantiers à venir. Entretien.

Les Petites Affiches – Quelles sont les dernières réformes intervenues depuis la dernière édition ?

Annick Batteur – On s’attendait, au début du quinquennat de François Hollande, à une grande réforme du droit de la famille (ou des familles…). Mais pour les raisons politiques que l’on sait, et notamment les réactions très vives après l’adoption de la loi sur le mariage des personnes homosexuelles en 2013, une réforme d’ampleur n’était plus possible. Il n’en demeure pas moins que le droit des personnes et de la famille a été réformé par touches successives. Bien sûr, la loi J21 constitue la réforme la plus importante, fortement médiatisée au demeurant : introduisant pour la première fois en France un divorce non judiciarisé, elle constitue une petite révolution. Mais il y a eu bien d’autres aspects du droit qui ont évolué, soit du fait du législateur (notamment la réforme de l’administration légale et l’introduction de l’habilitation familiale opérée par l’ordonnance du 15 octobre 2015, la réforme de la fin de vie dans le Code de la santé publique). La jurisprudence, quant à elle, exerce un rôle capital au regard du principe de proportionnalité qu’elle a étendu à tous les domaines du droit des personnes, des familles et des majeurs protégés.

LPA – Les réformes semblaient-elles indispensables, et bien pensées ?

A. B. – Vaste question ! La mode est à la critique des méthodes législatives et aux louanges, plus ou moins modérées, adressées au juge judiciaire, qui tente de donner une certaine cohérence à un ensemble disparate. Je suis plutôt perplexe face à ce pessimisme ambiant. Tout n’est pas à approuver (notamment la réforme de l’administration légale, qui sacrifie la protection des mineurs de façon peu admissible). Les textes sont souvent des compromis, qu’il n’est pas facile d’accepter comme tels (je songe à la loi sur la fin de vie, qui a changé si peu de choses !). Mais qui est responsable ? N’avons-nous pas les parlementaires et les gouvernants que nous méritons ?

LPA – Selon vous, quels seront les prochains grands chantiers indispensables ?

A. B. – Il est certain qu’il faut entièrement revoir l’adoption. L’existence de deux formes d’adoption, calquées sur le modèle de la filiation biologique et le renvoi pour l’adoption simple aux textes de l’adoption plénière ne permet pas de répondre aux grands problèmes de notre société. En droit des personnes, il faudra s’attaquer à la question du genre, pour donner un statut non stigmatisant aux personnes qui ne sont ni du sexe féminin, ni du sexe masculin. Et la question de l’incapacité du mineur, qui a été atteint à de nombreuses reprises par des réformes souvent laissées inaperçues, mériterait bien d’être revue.

LPA – Que pensez-vous de l’annonce de l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires ?

A. B. – Il est temps de réformer sur ce point le Code de la santé publique. Il est incohérent d’ouvrir l’adoption aux femmes célibataires, mais de leur refuser la PMA. La création d’une cellule familiale monoparentale n’est certes pas l’idéal, mais dès lors que le désir d’enfant est reconnu comme une valeur digne de respect, peut-on faire autrement ?

LPA – Et la GPA ?

A. B. – La gestation pour le compte d’autrui n’est aujourd’hui prise en compte (et encore, que partiellement) que lorsqu’elle est réalisée à l’étranger. Celles intervenues en France restent interdites. Il est probable que ce statu quo subsistera encore de nombreuses années, et c’est une bonne chose…

LPA – La population vieillissant, pensez-vous que notre société soit suffisamment armée juridiquement pour faire face à ce défi des personnes et des familles ?

A. B. – Le droit de la protection des majeurs a été renouvelé en 2007. Mais on est loin d’une réforme d’ampleur. C’est un véritable service public tutélaire qui devrait être créé. Les juges des tutelles font le plus souvent ce qu’ils peuvent pour sauvegarder les libertés individuelles et adapter les mesures prononcées aux situations de fait. Mais c’est une politique beaucoup plus globale qui est devenue indispensable, ce qui nécessiterait des moyens financiers importants… Le plus préoccupant reste sûrement la question de la fin de vie : le législateur n’a pas su apporter les réponses demandées par la majorité des personnes, et il faudra bien un jour s’ouvrir aux revendications les plus pressantes.