Débats sur le maintien essentiel des liens au sein de la fratrie

Publié le 27/02/2024
Enfance, Enfants, Famille, Frère et sœur, Fratrie
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La réponse ministérielle n° 11362, publiée au Journal officiel le 26 décembre 2023, met l’accent sur le principe de non-séparation des fratries. Répondant à la question écrite de Cécile Untermaier, députée, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, rappelle que le droit français a déjà mis en place de nombreuses dispositions pour maintenir les liens entre frères et sœurs, raison pour laquelle il estime qu’il n’est pas nécessaire de prévoir de nouvelle réforme législative.

Il est question de fratrie1 pour tous les enfants nés au sein d’une même famille, issus du même couple ou avec un parent commun – il s’agit alors de demi-frères ou sœurs. Il en va de même en cas d’adoption. En effet, donner naissance ou adopter des enfants met en place une fratrie. Il est question de frères et sœurs utérins s’ils ont la même mère ou consanguins s’ils ont le même père, les frères et sœurs germains ayant les mêmes père et mère. Il faut toutefois s’assurer de la création des liens de filiation sans oublier de vérifier qu’il n’y a pas eu d’action en contestation de paternité ou de maternité.

À l’inverse, en cas de famille recomposée, si le nouvel époux ou compagnon s’installe en famille avec un enfant, ce dernier ne fait pas partie de la fratrie des enfants du conjoint ou du partenaire, hormis lors d’une adoption. Si tel n’est pas le cas, il est question de quasi-frères et sœurs, c’est-à-dire d’enfants vivant ensemble et ayant des relations affectives sans avoir les mêmes parents. Ceux-ci ne sont juridiquement pas membres de la même fratrie.

L’essentiel est fait pour que les frères et sœurs puissent créer des liens entre eux en vue de les maintenir au fil du temps (I), même si ce principe connaît parfois quelques exceptions (II).

I – Le principe du maintien des liens au sein de la fratrie

La législation française a été sensibilisée à cette question depuis de nombreuses années, notamment dans le cadre des réformes relatives à la protection de l’enfance. Il est vrai que pendant longtemps le législateur ne s’était préoccupé ni de la situation des fratries, ni de leur sort au sein de la famille ; toutefois de grands changements ont été effectués au fil du temps parce que les relations fraternelles sont familiales, affectives et sociales2. Il est donc important d’être élevé avec ses frères et sœurs, raison pour laquelle il est nécessaire de veiller à ne pas les séparer.

Comprenant qu’il est primordial de prendre en compte l’intérêt de l’enfant, il faut éviter que les liens avec les membres de sa famille s’effacent car la rupture familiale est traumatisante. Dès lors, quand un enfant est en danger au sein de sa famille et que des mesures d’assistance éducative et notamment de retrait familial suivi d’un placement auprès des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont prévues, il est essentiel de trouver des lieux de placement permettant de faire vivre ensemble tous les enfants de la famille. Toutefois, le juge des enfants doit veiller à ce que la mesure de retrait soit indispensable car il peut être préférable de maintenir le mineur dans son environnement, à la maison au côté de sa famille et soutenu par une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO). Si, en revanche, un retrait et un placement sont indispensables, il revient aux services de l’ASE de bien prendre en considération les relations au sein de la fratrie et de faire le nécessaire pour éviter toute séparation (CASF, art. L. 223-1-1). En effet, si des mesures d’assistance éducative sont prises à l’égard de tous les membres d’une même fratrie, le juge doit en principe préserver la communauté de vie existant entre eux.

Le maintien des liens est aussi un principe à mettre en œuvre en cas de séparation des parents, la résidence des enfants choisie par le juge devant être la même pour tous.

Les modes de maintien des relations fraternelles sont variables. Un lieu de vie commun doit être recherché dans l’intérêt des mineurs de manière à maintenir les liens entre frères et sœurs, raison pour laquelle il importe de favoriser leur cohabitation quotidienne. En effet, « l’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs » (C. civ., art. 371-5)3. Si d’aventure un lieu d’accueil commun est introuvable, il faut faire en sorte qu’ils puissent continuer à passer des moments ensemble. Lorsque les enfants sont placés dans des lieux séparés au titre des mesures d’assistance éducative, les juges doivent veiller à ce que soient organisés des moments de réunion entre eux afin d’entretenir le lien familial4.

En outre, quand le service départemental de l’ASE a choisi un lieu commun pour la fratrie faisant l’objet d’une mesure de placement, il a l’obligation depuis la loi du 7 février 2022 de prévenir rapidement le juge s’il doit modifier le placement de certains des enfants et donc de les séparer. Il a en effet 48 heures pour contacter le juge en expliquant pourquoi il doit opérer ledit changement (CASF, art. L. 223-3).

II – Les exceptions au principe du maintien des liens au sein de la fratrie

Par principe, l’intérêt de la fratrie à continuer de cohabiter malgré les troubles vécus en famille fait l’objet d’une présomption simple ; toutefois il arrive parfois que la séparation soit préférable, raison pour laquelle le principe de non-séparation connaît un certain nombre de dérogations.

Il importe effectivement de tenir compte de l’intérêt de l’enfant, intérêt apprécié souverainement par les juges du fond5. À ce titre, il ressort de l’article 375-7 du Code civil relatif au placement (modifié par L. n° 2022-140, 7 févr. 2022)6 que l’enfant « est accueilli avec ses frères et sœurs en application de l’article 371-5, sauf si son intérêt commande une autre solution ». Il arrive effectivement que les enfants ne souhaitent pas maintenir de relation au sein de leur fratrie.

Selon les cas, il faut prendre en compte les sentiments de l’enfant, en lui donnant la parole, mais maintenir les liens entre frères et sœurs peut aussi être impossible lorsque les mineurs sont victimes de violences subies par ces derniers ou lorsqu’un membre de la fratrie entend soutenir le parent violent.

Une autre exception repose sur l’absence de lieu d’accueil disponible pour l’ensemble des enfants de la famille, notamment s’ils sont trop nombreux. Quand le placement de toute la fratrie au même endroit n’est pas possible (C. civ., art. 371-5), il faut nécessairement en tenir compte. En effet, le ministre de la Justice a rappelé dans sa réponse ministérielle que la loi prend « non seulement en compte le bien-être de l’enfant mais aussi les conditions matérielles qui peuvent parfois empêcher, de manière temporaire, le maintien d’un enfant avec ses frères et sœurs ». Cela peut malheureusement générer beaucoup de souffrance aux enfants lors de ces placements7.

Dans ces deux cas, il faut toutefois que le service départemental de l’ASE justifie sa décision et en informe le juge (CASF, art. L. 223-3, al. 2)

Pour le ministre de la Justice, les règles juridiques relatives à la protection de l’enfance sont déjà bien adaptées aux relations fraternelles, raison pour laquelle il estime que la question écrite, qui entend imposer au juge de tenir compte de la fratrie, n’a pas besoin d’être prise en compte dans le but qu’une nouvelle loi vienne imposer au juge de veiller à la non-séparation de celle-ci. En effet, les décisions du juge des enfants déjà sont motivées (CPC, art. 455) et ce dernier fait assurément le nécessaire pour maintenir les liens entre frères et sœurs, sauf lorsque ce n’est pas possible ou qu’une telle mesure est contraire à l’intérêt des enfants.

La réponse ministérielle du garde des Sceaux, publiée le 26 décembre 2023, montre bien qu’il ne serait pas pertinent de changer la loi pour faire du principe de non-séparation des fratries une mention obligatoire. Effectivement, les dispositions actuelles étant déjà conformes au respect des relations entre frères et sœurs, elles suffisent à garantir le respect du principe de non-séparation de celles-ci. Cela dit, le ministre a rappelé que l’enfant est accueilli avec ses frères et sœurs sauf si son intérêt commande de mettre en place une autre mesure. Il est en effet primordial de respecter ce qui s’est construit au fil du temps durant la vie des membres de la fratrie.

Notes de bas de pages

  • 1.
    K. Agbenoto, « La fratrie », LPA janv. 2022, n° LPA201i6.
  • 2.
    C. Bouvier-Müh et R. Rezzesi (dir.), La fraternité : entre mythe et espérance, Actes de la journée d’étude de la faculté de philosophie de l’université catholique de Lyon de juin 2021, 2022, L’Harmattan.
  • 3.
    L. n° 96-1238, 30 déc. 1996, relative au maintien des liens entre frères et sœurs : JO, 1er janv. 1997 ; S. Charpentier, « Réflexions sur le nouvel article 371-5 du Code civil », Revue de droit sanitaire et social 1988, p. 34 ; J. Massip, « La loi du 30 décembre 1996 tendant à éviter la séparation des frères et sœurs », Defrénois 15 août 1997, n° 36616, p. 897 ; P. Murat, « La loi du 30 décembre 1998 relative au maintien des liens entre frères et sœurs ou comment resurgit la question des droits de l’enfant », Dr. famille 1997, chron. 4.
  • 4.
    CA Lyon, 27 mai 2014, n° 14/00013.
  • 5.
    Cass. 2e civ., 19 nov. 1998, n° 97-12472 : Dr. fam. 1999, n° 26, note P. Murat.
  • 6.
    JO, 8 févr. 2022 ; I. Corpart, « Nouvelles avancées en matière de protection des enfants », Dalloz actualité, 14 févr. 2022 ; I. Maria et L. Mauger-Vielpeau, « Enfance – La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants », Dr. fam. 2022, étude 10.
  • 7.
    En effet, « grandir sans amour est ce qui peut arriver de pire à un enfant » : M. Blonzel, Les oubliés de l’enfance, un demi-siècle d’omerta, 2022, éd. Sydney Laurent.
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